Le 21 février 2013 — Vous avez été plusieurs à nous soumettre l’idée de parler de l’histoire de Pop, dont on parle beaucoup ces jours-ci dans les médias, soulevant des débats au sein du sujet Veille Permanente Sexisme. Pop a 6 ans, il est suédois et ses parents ont décidé de l’éduquer sans lui indiquer si c’est un garçon ou une fille. Cette histoire fait écho à celle de Storm, un petit Canadien. Maïa Mazaurette y avait consacré une chronique en mai 2011, où elle évoque d’ailleurs Pop. L’occasion de vous la re-proposer.
Le 28 mai 2011 — Bleu-chou pour les garçons, rose-rose pour les filles : la séparation des genres commence au berceau. Les études s’accumulent et prouvent toutes la même chose : on conditionne les bébés dès leur naissance, si ce n’est pas dans l’utérus. Le même bébé qui pleure sera considéré comme triste ou en colère, le même bébé qui sourit sera qualifié de joli ou de sûr de lui, selon son sexe… ou l’idée que les gens se font de son sexe (l’expérience a été tentée avec des bébés indifférenciés habillés en jaune et les proches traitaient différemment ce qu’ils estimaient être un garçon ou une fille… déjà, ça commence bien pour quelqu’un de né depuis trois minutes).
Ce qu’on impose aux nouveaux-nés s’accentue avec l’âge : on donne moins la parole aux filles, on interdit aux garçons de (trop) pleurer, on oriente les filles vers les matières littéraires pendant qu’on pousse les garçons à faire des activités de plein air et des maths… Vous avez sans doute lu ça mille fois. Parce que c’est vrai. Vous avez sans doute recraché votre burger sur les rayons des supermarchés qui proposent le repassage aux gamines et la conquête de l’espace aux mouflets mâles. Parce que le conditionnement vous fait horreur et qu’en 2011 on en est toujours au même point. C’est épuisant et croyez-moi, j’ai bien conscience de rabâcher l’évidence en écrivant cet article (mais zyva, lisez la suite). Même si on essaie de résister au quotidien, on se prend toute la société en pleine tête. Comment faire pour protéger ses enfants des rôles prédéfinis ? On ne va pas les enfermer dans des caves avec leurs Legos « édition mixte ».
Donc il y a des parents qui en ont marre et qui ont trouvé une solution certes radicale, mais fascinante. Un couple de Suédois avait fait débat l’an dernier en refusant de divulguer le sexe de leur enfant, et cette fois, ce sont des Canadiens qui s’y collent.
Le bébé s’appelle Storm (orage, en anglais) et déchaîne déjà les passions… haineuses. On ignore si c’est un garçon ou une fille. De fait, avant la puberté, on devrait s’en moquer pas mal, mais ça n’empêche pas les commentateurs de hurler à la vie détruite de Storm et de ses deux grands frères qui kiffent le rose et les tresses.
Storm va non seulement pouvoir choisir ses fringues et ses jouets, mais il évitera aussi de se prendre en pleine poire ce que la société attendra de lui ou d’elle. Parce que la société ne saura pas quoi attendre.
Bien sûr, c’est compliqué, ça pose un tas de questions et ça ne pourra pas durer éternellement. Il/elle n’ira pas à l’école et ça me semble dommage mais réaliste : au bout de combien de jours les autres l’entraîneraient dans les toilettes pour le/la foutre à poil ? C’est une humiliation à laquelle sont confrontés beaucoup d’intersexes ou tout simplement de personnes ambiguës, alors Storm, qui attire déjà l’attention de la presse, ne tiendrait probablement pas trois minutes. On est dressés pour avoir besoin de répondre à la question du genre. Et les enfants intègrent rapidement cette norme : tu es ce que tu as dans le slip.
On pourrait débattre à l’infini sur les joies et les malheurs qui attendent Storm. Mais pour l’instant, on n’en sait rien, donc je propose qu’on ne dresse pas de plans sur la comète. En revanche, on peut soutenir la famille qui tente quelque chose de nouveau, et rappeler aux sympathiques personnes qui hurlent au loup quelques faits historiques pas si éloignés de notre modernité :
- Les enfants de divorcés étaient censés ne jamais se remettre de la séparation de leurs parents (depuis, on a lâché l’affaire),
- Les enfants de gays et lesbiennes étaient censés, en gros, être condamnés (depuis, il semble qu’ils aillent plutôt… mieux que les autres gamins).
Personnellement, c’est un sujet qui me touche. Mes parents ont refusé de me donner une éducation spécifique et m’ont élevée aux jouets mixtes (mon grand-père tentait les poupées chaque année, que je jetais à la poubelle dans la foulée), au point que mon premier carnaval s’est terminé avec moi déguisée en chèvre (authentique) au milieu de princesses et de cow-boys. Je suis entrée en maternelle parfaitement déconditionnée puisque je n’avais pas la télé, et il m’a fallu un peu de temps avant de comprendre quel était le problème et pourquoi je devais me faire chier à jouer à l’élastique. Scoop : j’ai survécu. Même pas difficilement. Et je pense (vous aurez tout loisir de vous foutre de moi si je me plante lamentablement) que Storm a une chance incroyable.
Je sais que ça fera débat. Mais je ne peux pas, avec mon vécu, passer sous silence le fait que là-bas, en Suède, au Canada, des parents essaient d’offrir à leurs marmots une existence que j’aurais aimé avoir. Bon courage à toi, Storm, et merci de faire bouger un monde dans lequel tu viens de débarquer !
Vous aimez nos articles ? Vous adorerez nos newsletters ! Abonnez-vous gratuitement sur cette page.
Les Commentaires