Stop fishas, c’est le nom d’un groupe fraîchement créé qui lutte contre les comptes fishas, ces comptes Telegram, Instagram ou Snapchat qui affichent des photos intimes de jeunes filles (ou garçons) sans leur consentement, et leur font vivre une descente aux enfers.
Des photos à caractère sexuel sont échangées le plus souvent dans le cadre d’une relation amoureuse, puis transmises à des comptes qui les diffusent à grande échelle par vengeance à la suite d’une rupture.
Ce phénomène porte un nom, le revenge porn
, et explose pendant le confinement.
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Wassila et Lucie se sont toutes deux courageusement engagées au sein de stop fishas et ont accepté de partager avec moi leur vécu et leur combat contre un phénomène infâme.
Qui êtes-vous et comment avez-vous rejoint le groupe stop fisha ?
Lucie – J’ai 48 ans et je suis maman d’une fille de 17 ans, qui a été « fisha » en 2018. Je lutte depuis pour elle et pour les autres. J’ai rejoint le groupe stop fisha après avoir vu un reportage de Vice sur la question, dans lequel je me suis reconnue.
Au final, le groupe a eu un franc succès et a reçu le renfort de nombreuses personnes qui se sont senties concernées de près ou de loin. Nous avons réussi à créer un noyau très dur.
Wassila – J’ai 18 ans et je suis la maman d’une petite fille de 8 mois. J’ai décidé de rejoindre stop fisha pour elle, et pour ma grande sœur qui a été victime d’un compte fisha il y a 5 ans.
A la base je signalais des comptes fishas dans mon coin, et j’ai entendu parler de Shanley, à l’origine du mouvement, que j’ai contactée.
Nous avons été nombreuses et nombreux, parce qu’il y a aussi des garçons, à nous rassembler sur une conversation Instagram, puis le groupe est né, avec un compte Instagram et un compte Twitter.
Comment fonctionnent les comptes fishas ?
Lucie – Les comptes fishas tirent leur nom du fait « d’afficher » les autres. Il s’agit d’afficher des personnes qui l’ont, selon ceux qui diffusent les photos, « bien mérité ». Je dis cela avec de gros guillemets, car personne ne mérite cela.
Le plus souvent, ce sont des photos qu’une jeune fille avait envoyé à son petit-ami, un peu naïvement, parce qu’elle l’aimait très fort et qu’elle pensait que lui aussi l’aimait très fort.
Et puis la relation ne dure pas, et l’ex petit-ami décide de se venger en envoyant les photos intimes à des comptes fishas, dans un jeu très malsain
Wassila – Le plus souvent, les créateurs de comptes fishas sont des mecs qui veulent « faire du buzz », faire des vues. Ils demandent alors aux gens de leur envoyer des nudes (des photos intimes).
Parmi les détenteurs de comptes fishas, je pense qu’il y a beaucoup de jeunes de la même tranche d’âge que les personnes affichées, qui n’imaginent pas les conséquences que cela peut avoir.
Et puis il y a les comptes sur Telegram, qui sont encore pires. J’ai été extrêmement choquée de ce que j’ai pu voir sur cette plateforme.
Ça va beaucoup plus loin que l’affichage d’ados, y trouve par exemple du contenu relevant de la pédopornographie.
Les victimes du revenge porn sont souvent des jeunes filles dont se vengent leur ex, comme l’a dit Lucie, mais le phénomène s’étend à un public beaucoup plus vaste : des garçons, des femmes ou des hommes plus vieux, et même des enfants.
Avec stop fisha, nous avons réussi à faire sauter certains de ces comptes Telegram, ce dont nous sommes très fières, car ce sont aussi les plus difficiles à faire supprimer : il existe peu de recours contre cette plateforme cryptée.
Telegram est une application de messagerie sécurisée sur laquelle les utilisateurs peuvent échanger des messages, des photos, des vidéos et des documents sans limite de taille.
Telegram utilise un système de cryptage complexe et se pose ainsi en champion de la liberté d’Internet et de la confidentialité des utilisateurs, selon cet article de 20 Minutes.
Ce qui en fait un outil vivement critiqué, accusé entre autres de servir les intérêts des terroristes et de toutes sortes d’activités illégales.
Pourquoi les comptes fishas explosent-ils pendant le confinement ?
Wassila – Enfermés, les harceleurs n’ont plus le moyen de s’exprimer autrement, en hélant les filles dans la rue par exemple.
Ils tournent en rond, s’emmerdent, et au lieu de nuire dans la vraie vie, ils vont se mettre à nuire sur Internet.
Lucie – Oui, l’ennui décuple la bêtise et des vices pré-existants.
Comment stop fisha lutte-t-il contre le revenge porn ?
Lucie – Nous faisons supprimer un maximum de comptes fishas en les signalant.
D’ailleurs, tout le monde peut signaler les comptes directement sur Instagram ou Snapchat, ou en les signalant sur la plateforme gouvernementale Pharos.
Le problème, c’est qu’en ce moment cette plateforme est submergée. On s’adresse aussi à Net Ecoute, un autre organisme d’Etat, qui peut faire sauter les comptes beaucoup plus vite que nous en les signalant.
Wassila – Via Instagram, nous offrons avec stop fisha un soutien psychologique, une écoute aux victimes qui viennent nous parler.
Ensuite nous leur offrons un soutien juridique en leur expliquant quels sont leurs recours, en les encourageant à aller porter plainte et en leur expliquant comment ça marche.
Par exemple, nous leur indiquons la marche à suivre pour faire une pré-plainte en ligne, vu qu’il peut être plus compliqué de porter plainte pendant le confinement, surtout pour des mineures chez leurs parents.
Enfin, nous leur donnons le contact d’une avocate qui peut les aider.
Quelles sont les conséquences pour les victimes de comptes fishas ?
Lucie – Les conséquences sont terribles, personne n’est préparé à ça. Cela peut aller jusqu’au suicide, et même si la victime est bien entourée, soutenue, écoutée et forte, ça laisse des traces indélébiles. On ne s’en remet jamais totalement.
Voir des photos de son intimité révélées à ses proches et à des milliers d’inconnus sur Internet touche à son image, à son sentiment de soi.
Imaginez que même si je considérerai toujours ma fille comme mon bébé, les images de son intimité sont parvenues jusqu’à moi.
Comment ces filles vont-elles pouvoir avoir des rapports sains avec les hommes, après ça ?
En plus de cela, la victime n’est pas considérée comme victime, et met souvent très longtemps, voire n’arrive jamais, à se voir comme tel : elle intègre que c’est de sa faute, qu’elle l’a mérité.
Ma fille s’est faite frapper et insulter au collège, elle a été traitée de salope, de pute, elle s’est faite harceler jusqu’à devant notre porte, sous nos fenêtres : nos coordonnées avaient été diffusées.
Une fois, une de ses camarades l’a arrêtée dans la rue pour hurler en boucle devant tout le monde : « sale pute ta race ! ». Tétanisée, elle a eu la chance d’être aidée par un monsieur ce jour-là, mais le plus souvent, les gens n’ont rien fait.
Cela fait presque deux ans que ça a commencé, et aujourd’hui encore, ma fille a peur. Elle me demande souvent de venir la chercher à la fin des cours.
Wassila – En plus de cela, certaines filles se retrouvent isolées pendant le confinement, sans aucun soutien de leur famille et aucun échappatoire.
Via stop fisha, nous dialoguons avec des filles qui ne peuvent pas en parler à leurs parents car, s’ils l’apprenaient, ils ne leur parleraient plus.
Même en dehors confinement, les filles à qui ça arrive se retrouvent extrêmement isolées car leurs copines leur tournent souvent le dos.
Les filles se retrouvent avec une étiquette de « pute » qui leur colle à la peau.
Malheureusement, même si nous réussissons à faire supprimer des comptes fishas, une fois qu’une image s’est retrouvée sur Internet, même quelques minutes, c’est assez pour qu’il soit trop tard et qu’elle continue de circuler car cela a laissé le temps aux gens de faire des captures d’écrans.
Parfois, certaines vidéos se retrouvent même sur des sites pornographiques comme PornHub, et la victime se fait reconnaître dans la rue par des inconnus.
C’est vraiment terrible.
Quelles mesures devraient être prise pour lutter contre les comptes fishas et le revenge porn ?
Lucie – Il faut que la mentalité des gens change, il faut changer le regard de la société sur les victimes de revenge porn.
Je pense que les établissements scolaires ont besoin de plus d’intervenants, et que le corps enseignant devrait être davantage sensibilisé, car leur gestion du problème est très aléatoire.
Au début, dans le collège de ma fille, le corps enseignant a cherché à étouffer l’affaire. Ils ont viré ceux qui ont diffusé les images de ma fille, mais ont fermé les yeux sur le harcèlement de ma fille par les autres élèves.
Heureusement, par la suite, j’ai eu affaire à d’autres personnes qui ont pris de vraies mesures.
Selon moi, il serait également utile de mettre en place des espaces dédiés aux victimes, filles comme garçons, où elles puissent être écoutées et aidées sans jugement.
Du point de vue juridique, la loi est là, mais très peu de filles osent porter plainte, en grande partie à cause du fait qu’elles ne se considèrent pas victimes, mais coupables.
Et quand elles arrivent jusqu’au commissariat, c’est une nouvelle épreuve, car elles doivent revivre les faits en subissant parfois le jugement des forces de l’ordre.
J’ai emmené ma fille porter plainte, et un policier lui a dit : « Mais tu te rends compte de ce que tu as fait ? » Cela m’a mise en rage. Imaginez qu’une jeune fille qui se rend au commissariat sans être soutenue par sa famille entende ça !
Wassila – Comme le disait Lucie, la loi existe, mais je n’ai jamais vu le détenteur d’un compte fisha passer en procès et se faire condamner. Ou en tout cas, c’est extrêmement rare.
On se sent démunies ! Il faudrait une condamnation exemplaire, car les auteurs de revenge porn agissent avec un sentiment d’impunité !
Il faudrait également plus de mains, plus de moyens pour gérer les signalements. Faire supprimer un compte prend énormément de temps, et ça n’est pas normal. On perd un temps précieux.
Quels sont les projets de stop fisha pour la suite ?
Lucie – Après le confinement, on veut tout d’abord se rencontrer en vrai pour pouvoir poser les choses ! Le groupe s’est formé pendant la crise sanitaire et nous travaillons ensemble via les réseaux sociaux.
Wassila – On aimerait mener des actions politiques et faire entendre notre voix auprès du gouvernement !
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