Précédemment dans #62jours : Pour définir ma zone de respect, je dois apprendre à dire « non »
Pardon de vous déranger, mais j’ai une petite question à vous poser : ça vous arrive, parfois, de vous excuser alors… que vous n’avez strictement rien fait ? Désolée si vous trouvez la question intrusive, je ne voulais pas vous paraître indiscrète. Toutes mes excuses si c’est le cas !
Challenge : placer encore plus d’expressions de l’excuse en trois phrases ou moins. À vous ! Notez le « petite » question, qui s’inscrit directement dans ce registre : je n’ai pas une question légitime et importante (sinon pourquoi la poserais-je?) j’ai une « PETITE » question, qui ne mérite pas votre attention.
L’excuse permanente. C’est un tic de langage tellement profondément cousu dans mon expression que je ne l’avais même pas remarqué. Et pourtant, j’en abuse.
L’excuse permanente, infusée dans mon expression
Des excuses, y en a plein mes emails :
- Pardon pour le délai de réponse…
- Je suis désolée de te déranger…
- Pardon d’insister, mais pourrais-tu s’il te plaît…
- Toutes mes excuses pour ça !
On dirait que je suis Madame Gaston Lagaffe, incapable de faire quoi que ce soit sans me foirer. La preuve, je m’excuse de quelque chose dans toutes mes communications !
C’est simple : chez moi, « désolée » en serait presque devenu une ponctuation. À l’oral, ça donne :
- Alors, je suis désolée, mais…
- Désolée de revenir sur le sujet…
- Je suis désolée, mais ça, ça ne passe pas
- Désolée pour ça, je m’en occupe
- Ah mais pardon, j’avais mon casque !
- Sur ce point, désolée, mais tu te trompes
- Pardon, mais je ne suis pas d’accord.
Mais pourquoi je fais ça ?! Qui j’offense en ayant un avis divergent ? Quand j’interviens pour réparer quelque chose, pallier un manquement, pourquoi je m’en excuse ? C’est pas mon erreur, et je fais mon boulot. Alors ?
Pourquoi je m’excuse à tout bout de champ ?
Comme la plupart de mes tics de langage, l’excuse infusée en dit long sur moi. Je suis loin d’être la seule à souffrir de cet état d’esprit, c’est un type d’expression très répandu chez les femmes. Une vague histoire d’éducation genrée sexiste, qui conditionne les filles à « être polies », et par extension, à s’excuser de déranger.
Donc, je confonds tout simplement excuse et politesse. Exemple pratique : une collègue est en train d’exprimer une idée, et je ne suis pas d’accord avec elle. J’attends qu’elle ait terminé sa phrase, puis je prends la parole. Au choix :
- Pardonne-moi si je te coupe, mais je ne suis pas d’accord avec toi
- Excuse-moi, mais je ne suis pas d’accord avec toi
- Pardon, mais sur ce point, je ne vais pas être d’accord avec toi
…À la limite, la première pouvait passer, si je lui avais effectivement coupé la parole. Sinon, c’est superflu. La prochaine fois, je dirais ça :
Sur ce point, je ne partage pas ton avis.
Tout simplement.
Sans m’excuser.
Car: ce n’est pas une faute ! Ce n’est pas une agression ! Ce n’est pas méchant ! J’ai un avis divergent et j’ai le droit de l’exprimer sans avoir à m’en excuser !
Prends-en de la graine, Clémence.
Pourquoi j’ai tout intérêt à arrêter de m’excuser pour rien
Après tout, pourquoi en faire une affaire d’état ? Mieux vaut s’excuser un peu trop que pas assez, non ? Ça dit de moi que je suis hyper empathique, je ne veux surtout pas blesser l’autre, donc je lui demande pardon de ne pas partager son avis, au cas où ça le vexerait. Où est le mal ?
La réponse m’est venue instantanément, et j’ai retrouvé en 3 clics cet article de Slate au sujet duquel je suis restée dans le déni.
Publié en 2014, il reprenait l’expérience menée par une journaliste américaine, Gabrielle Moss. Pendant un mois, elle s’est donné pour challenge d’arrêter de s’excuser au travail. Je ne peux que vous recommander la lecture de cette synthèse, réalisée par Vincent Manilève pour Slate.
Voici la conclusion de Gabrielle Moss :
« Pendant longtemps je me suis inquiétée de ne pas être assez maligne ou douée pour trouver ma place dans le monde du travail, et avec cette expérience, je me suis rendue compte que j’exprimais justement ce sentiment-là à mes patrons en m’excusant constamment. »
C’est ça, le problème. C’est ce que je dégage, en général, à m’excuser tout le temps, et surtout quand je n’ai strictement rien à me reprocher. Je reprends toutes mes erreurs à mon compte, mais aussi toutes celles des autres, toutes les conséquences de ces erreurs.
Mais bien sûr, quand j’accomplis quelque chose, là, c’est jamais grâce à moi ! J’ai eu de l’aide, de la chance, « ça s’est bien goupillé », non mais j’ai pas fait ça toute seule !
Tu le vois, le problème ? Je suis désolée de ne pas être à la hauteur… Mais je ne serai jamais à la hauteur si je sabote ma confiance en moi de la sorte.
Je n’ai pas à m’excuser de faire respecter les frontières de ma zone de respect
Venons-en aux faits. Depuis le 1er août, je cherche à définir les frontières de ma zone de respect. Mon « non négligeable ».
Alors, en théorie, c’est facile : respectez-moi. Tout ce qui est un manque de respect, devient de facto une violation de ma zone de respect.
Mais je me manque de respect à moi-même lorsque je m’excuse alors que je n’ai pas à le faire. C’est encore une forme d’auto-dépréciation, qui vient taper directement dans le capital de confiance en moi.
Je suis vraiment trop cruche. Je suis vraiment pas assez bien organisée. Je manque vraiment de rigueur. Conclusion ? Je suis désolée de ne pas être à la hauteur. CQFD.
Les frontières de ma zone de respect, je n’ai pas à m’excuser de les faire respecter. Je ne suis pas parfaite, c’est un fait, il est acté. Je peux donc arrêter, au quotidien, de m’excuser d’être imparfaite. Et je peux VRAIMENT arrêter de le faire dans une phrase sur trois.
Je ne suis pas désolée d’exister. Je ne suis pas désolée d’user de mon libre arbitre. Je ne suis pas désolée d’avoir un avis (ni d’en changer, au passage) Je ne suis pas désolée d’avoir des convictions Je ne suis pas désolée de les exprimer Je ne suis pas désolée d’être imparfaite Je ne suis pas désolée d’avoir tort, parfois Je ne suis pas désolée d’avoir raison, parfois Je ne suis pas désolée de faire mes propres choix Je ne suis absolument pas désolée de conclure ce billet par un gif de lama.
Ne nous emballons pas, mais j’aime ton attitude.
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
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