Non, je n’ai pas 99 ans et 25 arrière-petits-enfants. Et non, je n’ai pas connu Martin Luther King personnellement et pris le thé avec Jane Austen (j’aurais adoré). Mais il se trouve que j’ai un stimulateur cardiaque. Ou un pace-maker. Ou une pile.
D’abord, un stimulateur cardiaque (à partir de maintenant, « pace » pour les intimes, a.k.a. les abonnés au service rythmologie du CHU le plus proche), qu’est-ce donc ? Ça ne ressemble pas à ça, mais plutôt à ça :
Un pace est donc un boîtier relié au cœur par des câbles ou sondes et qui permet au cœur de battre correctement. Souvent, on l’associe à un rythme originel trop lent, mais c’est faux ! Enfin, ce n’est pas toujours le cas. Il y a des rythmes trop rapides. Et surtout, des problèmes d’arythmie (c’est pour les gens funky). (J’ai l’impression d’être dans C’est pas sorcier.)
Un marathon dès la naissance
Comme vous pouvez le vérifier sur mon profil madmoiZelle, je suis née le 11 mai 1986 et mon premier pace a été posé quelques jours plus tard. Un pace pour bébé importé de Boston, oui madame, ce qu’on fait de mieux ! J’ai eu un pace parce qu’au 5ème mois de grossesse, on a découvert que je souffrais de communication interauriculaire. On a proposé à ma mère d’avorter. Ce qu’elle n’a pas fait parce que j’étais son premier bébé (merci Maman !) (et si j’avais été le deuxième ?!). Et à partir de là, ça a été le marathon !
Au départ, on ne savait pas si j’allais survivre à l’accouchement, qui s’est finalement bien passé. Premier pace, donc. Mais la batterie n’a pas duré longtemps. À trois mois, nouveau pace, d’adulte cette fois (première en Europe, voire au monde), parce que la batterie durait plus longtemps. J’ai commencé à marcher un peu tard mais il paraît que c’est dû au ballon de rugby que j’ai pris dans la tête à un an parce que j’étais trop près du terrain, donc aucun rapport. Après, on ne savait pas si j’allais entrer à la maternelle ou encore une fois finir au cimetière mais NON ! Nouveau changement de pace, entrée à la maternelle sur les chapeaux de roux (pardon, accès d’humour. Je m’abstiendrai) roues, donc, où j’ai pu gratifier la maîtresse et toute la classe de mon interprétation très personnelle de Fanchon. Entre-temps, j’avais eu droit à une magnifique opération à cœur ouvert vers l’âge de 18 mois, pour reboucher le trou. Mais finalement, j’avais encore besoin du pace. Apparemment, 30 battements par minute, c’est pas ce qu’on attend d’un être humain lambda. Ça tombe bien, je ne suis pas lambda !
Et puis ça a continué. À neuf, dix-sept et vingt-six ans (il y a bientôt 3 mois, donc). Je vous épargne les détails, mon dossier fait 1000 pages. Non, je ne l’ai pas lu.
Un stimulateur cardiaque, au quotidien, ça change quoi ?
Maintenant, la grande question que tout le monde se pose est : comment vit-on avec un stimulateur cardiaque ? Eh bien, comme tout le monde !
J’ai moi aussi été fan de G-Squad et je connaissais leur single par cœur en CM2 (Aucune fille au monde n’est plus belle, oh non) (je ne l’ai pas chanté de tête). J’ai été abonnée à la collection complète des magazines Bayard (de Léo et Popi à Muse). J’ai essayé d’enlever son slip à Ken parce que les copains de rugby de mon père ne le gardaient pas le dimanche soir, eux. Et je pensais que Barbie ne serait pas contente. Je suis tombée amoureuse de Valentin en CP, de Thomas en CE2, de Thomas en CM1 et au collège-lycée, c’est encore douloureux et pathétique. (RIP mes premiers amours.)
Mes parents m’appelaient Miss Wonder et mes copains d’école… Energizer, oui oui ! J’ai pris des cuites à l’embuscade et au vin chaud au jus d’orange le jeudi soir. Et le vendredi soir et le samedi soir et le dimanche après-midi devant les matches de rugby des copains. J’adore manger de bons trucs, comme le McDo, même si je suis au régime sans sel. Je tutoie mes cardio (Patou et Benoît, si vous me lisez) et ils m’engueulent quand je ne fous rien à la fac et que mon mec du moment est un connard, selon eux.
Je me fais fouiller aux aéroports (au cas où). J’ai une vie sexuelle normale (et je lis Gérard Leleu, d’ailleurs), et plutôt cool en général. J’ai appris à bien connaître mon corps, ses limites, et à les dépasser dans la mesure du raisonnable
. J’ai un diplôme d’éducatrice de rugby, j’entraîne à mi-temps (à cause de la fac) une vingtaine de petits gars de 7 et 8 ans. J’ai vécu dans 4 pays différents, en plus de la France. J’adore aller en festival de musique. Les courses de fauteuil roulant, c’est marrant (quelques jours). Mais je n’ai jamais eu le droit de jouer au rugby (au grand désespoir de mon père et de moi-même : j’étais un génie tactique et j’aimais foncer dans le tas), ni à tout autre sport de combat (amalgame ?). J’ai récemment appris que je n’avais pas non plus le droit au basket, ni au hand (je ne jouerai jamais avec les Experts !) (oui, c’est une équipe d’hommes, et alors ?)… Bon, je sais que je vous vends du rêve en barres ! Alors, sortez vos mouchoirs, voilà du lourd.
J’ai 25 ans, et je n’en aurai peut-être jamais 30
Il y a deux ans, j’ai trouvé que je ne respirais pas super bien. Bon en fait, c’était juste de l’asthme. Et puis on a vérifié le cœur. Il y avait bien un problème. J’aurais eu besoin de deux sondes, une dans le ventricule, une dans l’oreillette. Mais la seconde n’a pas tenu. Du coup, mon cœur se fatiguait et avec l’asthme en plus… Branle-bas de combat ! On (les médecins, toujours) ne savait pas trop quoi faire, ça traînait, et moi, j’en avais marre. Du coup un jour, j’ai dit : sérieux les gars, j’ai prévu de commencer ma carrière un jour, j’aimerais assez qu’on règle ça.
Couplez ça avec le fait qu’un de mes amis d’enfance, qui souffrait lui d’une double affliction cœur-poumons, est mort à peu près à cette époque, à 25 ans (je vous avais prévenues pour les mouchoirs) et que mes médecins me sortaient l’air de rien que j’avais déjà de la chance d’en être arrivée là (alors que ça n’avait jamais trop été un sujet de discussion auparavant) : vous imaginez mon état.
J’avais toujours bien vécu ma condition (ou mon handicap). J’avais bien vécu avec les cicatrices, avec le fait que ma poitrine était moins tenue parce qu’ils ont coupé les tendons lors d’une opération (bonus : j’ai droit à de la chirurgie réparatrice gratuite et suis remboursée à 100%, merci la Sécu), mes séjours à l’hôpital et mes rendez-vous réguliers, le fait que je ne pouvais pas faire certaines choses. Mais soudainement, j’ai réalisé que j’avais 25 ans et que je n’en aurai peut-être jamais 30. Que suivant l’opération qu’on me proposait de faire, ce pouvait être une boucherie en règle, que je mettrais des mois à m’en remettre, et que je risquais fort de ne jamais me réveiller.
Ce n’est pas dans mon caractère de fonctionner comme une pauvre chose aux portes de la mort. On m’a proposé une opération, certes plus lourde que d’habitude, mais beaucoup moins risquée que celle que j’aurais pu avoir (j’ai l’impression d’être Indiana Jones, là). Bon en vrai, j’ai reçu un courrier le 3 janvier où on me disait que je serais opérée le 8 et que j’avais rendez-vous le lendemain à 9 heures pour une phlébographie (une cartographie des veines). Ou les joies de l’administration pénitentiaire hospitalière. Alors je vous passerai les détails. Cependant, que vous le sachiez quand même, ça peut servir :
- introduire une sonde ou un liquide dans le cœur, ça donne l’impression de faire pipi, là, sur la table, mais c’est juste une impression. Faire se bidonner les infirmières parce qu’on s’excuse de s’être fait dessus : check.
- Il n’y a pas de vieux beaux riches sur le point de rendre l’âme et le testament à l’hôpital PUBLIC.
- Faire une opération à artères ouvertes en anesthésie locale, c’est intéressant, sauf à la fin quand on te recoud à vif parce que « Désolée, hein, ça a pris plus de temps que prévu, je vais pas refaire une picouse pour ça » tout en commandant son sandwich aux infirmières (ceci dit, j’adore la cardio qui m’a opérée, on a parlé de ses blessures de hockey, elle a trois ans de plus que moi).
J’ai passé trois jours à l’hosto, plus 10 jours pendant lesquels je n’ai pas pu faire grand-chose toute seule. Ma mère m’a lavée, habillée, coupé mon cordon bleu. Je dormais la porte ouverte, au cas où je me sentais mal pendant la nuit, sans parler des toilettes (adieu, intimité). Les copains n’osaient pas venir me voir parce que ça les mettait mal à l’aise de me voir comme ça et j’étais trop fatiguée pour être occupée longtemps. Je me suis découvert une passion pour les séries Dolmen (dont j’ai enfin pu voir la fin) et Méditerranée. Et une copine m’a envoyé Games of Thrones (Laura, si tu me lis, merci !) et Girls. Ma liste de choses interdites s’est tellement rallongée que je préfère regarder la liste des trucs autorisés (c’est tellement plus positif). En bref, j’ai découvert les joies du vieillissement prématuré, et je n’ai pas trouvé ça hyper funky.
J’ai donc reconsidéré pas mal de choses.
Always look at the bright side of life
J’ai une chouette famille. De chouettes amis un peu partout. J’ai déjà accompli énormément sans vraiment considérer tout ça comme des exploits.
Qu’est-ce que j’avais encore envie d’essayer ?
Je ferai mon road-trip aux États-Unis pour voir tous mes copains après mes études. Je trouverai un job sympa, qui me plaît à moi, et tant pis si je ne gagne pas de quoi m’acheter une maison en Normandie (nous, Normands, sommes de grands explorateurs, nous pouvons vivre dans la Creuse ! Viking power !). Je me vois bien émigrer à Toulouse, parce que je ne connais pas le Sud de la France (pour moi, ça commence au sud… de Paris, on est d’accord), et puis pour le RUGBY ! J’aimerais bien avoir des enfants un jour, même si ça aussi, ça risque d’être le bazar, une belle aventure pleine de rebondissements de fous !
Je n’ai pas été élevée dans le culte de mon nombril/stimulateur cardiaque. Je ne suis pas une victime. Je ne suis pas complètement handicapée non plus. Je me dis souvent, et les gens me prennent pour une folle, que toute cette histoire m’a apporté plus de belles choses que de mauvaises. Je ne m’arrête plus à des choses qui ne me semblent pas hyper importantes (genre rater une année de fac ; parce que la raison qui pousse CE gars à ne pas répondre à mon texto, par contre, c’est vital…). Je prends le temps de me reposer (3 mois sans sport, en ce moment, je n’ai pas le choix, mais j’ai pris l’habitude de me poser), de regarder autour de moi et de m’arrêter un peu pour profiter plus.
Un jour, comme tout le monde, je mourrai
Et je n’ai plus peur de mourir. Je sais qui je suis, et pourquoi, et comment. Je sais que j’ai fait ce que je voulais et que je vais continuer à faire ce que je veux, tranquillement, parce que j’ai toujours su m’adapter (et que mon seuil de douleur est très élevé : je pigne quand on change le pansement mais j’ai pas peur des piqûres !). J’aurai sans nul doute une vie heureuse, parce que j’ai décidé que ça allait se passer comme ça et pas autrement.
Alors oui, je vais mourir. Dans 5 ans, 15 ans ou 50 ans. Personne ne sait. Un jour, mon cœur va lâcher. Ou j’aurai un cancer. Ou je traverserai l’autoroute à cloche-pied un samedi de Pâques. Ou je dirai stop, plus d’opération, plus de changement, laissez-moi attendre la syncope. Même moi, je n’en ai absolument aucune idée. Comme tout le monde, mon cœur va arrêter de battre, un jour (ou peut-être une nuit… hum, blague risquée). Mais ce jour-là, je n’aurai aucun regret. Parce que contrairement à tous les pronostics, moi, j’ai eu mon bac !
Et au prochain carnaval/anniversaire déguisé, je mets ça :
https://youtu.be/evf3dZn9a_E
(C’est tout moi !)
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Les Commentaires
Je suis ravie de t avoir dans ma petite vie