Les livres pour enfants
Queoua ? Faire lire Stephen King à un bambin ? Bonjour le traumatisme ! Et pourtant, si la lecture de Ça ou Simetierre pourrait effectivement garantir à nos chères têtes blondes un aller simple en psychothérapie, King a publié des livres à destination des enfants.
Le plus connu et le plus abouti est Les Yeux du Dragon, qu’il a écrit après s’être rendu compte que sa fille de treize ans n’avait lu aucune de ses œuvres ; d’ailleurs, deux personnages secondaires portent les noms de Naomi (la fille de King) et Ben (le fils de son ami Peter Straub). Dans ce conte « à l’ancienne », on retrouve le personnage de Flagg, une figure récurrente qui représente en quelque sorte le Mal incarné (on le voit notamment dans la saga La Tour Sombre). Dans le royaume médiéval de Delain, il est ici un mage noir, premier conseiller du vieux roi Roland, et vise à écarter le « meilleur » (beau, grand, fort, droit, intègre, aimant, etc., n’en jetez plus la coupe est pleine) fils, Peter, héritier du trône, pour confier la succession au médiocre Thomas, le petit frère, gros balourd timide qui ne saurait résister à l’influence de Flagg et le laisserait précipiter le royaume dans le chaos. Tous les ingrédients d’un bon conte sont ici réunis, et beaucoup de thèmes chers à la littérature jeunesse (le lien avec les membres de sa famille, la perte des parents, le mensonge et la lâcheté, le courage, le dépassement de soi) sont abordés, ce qui fait des Yeux du Dragon un parfait livre de chevet. Et pour vous dire la vérité, ça marche aussi sur les grandes personnes, même si l’œuvre est logiquement plus édulcorée qu’un roman fantasy pour adultes.
Dans un tout autre registre, les enfants apprécieront aussi La petite fille qui aimait Tom Gordon. Ce court roman détonne dans le parcours de Stephen King ; il y raconte l’histoire de Trisha, une petite fille de neuf ans qui se perd dans les Appalaches lors d’une randonnée en famille. Pendant dix jours, elle va errer dans la forêt, affamée et effrayée, se raccrochant à sa petite radio portative pour écouter les matchs de baseball de son idole, le joueur Tom Gordon, et y trouver un peu de réconfort dans la terreur qui l’entoure. Entre surnaturel et hallucinations, Stephen King frôle très justement la frontière qui sépare l’impossible du possible, et on se prend rapidement d’affection pour Trisha, petite casse-cou perdue dans un monde hostile qui effraierait plus d’un adulte.
D’autres œuvres de Stephen King ont pour héros des enfants : Ça, Shining, Désolation, Carrie ou diverses nouvelles publiées dans les recueils Différentes Saisons, Brume ou Coeurs perdus en Atlantide mettent à l’honneur de jeunes personnages. Mais les intrigues, plus sombres, conviendront plutôt aux (pré-)adolescents.
« Les monstres sont réels. Les fantômes aussi sont réels. Ils vivent en nous, et parfois, ils gagnent. »
Écrire sur l’écriture
Stephen King est un auteur à la vie riche et complexe. Dans son essai Écriture : Mémoires d’un métier, il donne des conseils aux aspirants écrivains et traite de son rapport aux mots, ainsi que des évènements chaotiques de sa vie : son addiction aux drogues dures, à l’alcool, l’accident qui faillit lui coûter la vie en 1999 et les doutes et déceptions qui ont jalonné son parcours d’écrivain « populaire », la littérature fantastique étant, encore aujourd’hui, parfois considérée comme un « sous-genre ».
Plusieurs de ses œuvres ont pour héros des auteurs, dont l’inspiration et la passion deviennent souvent sources de problèmes. Le plus représentatif est probablement La Part des Ténèbres, dont le héros, Thad Beaumont, écrivain peu connu, ne rencontre le succès qu’à travers les livres sanglants qu’il publie sous le pseudonyme de George Stark. Lassé de la supercherie, il décide de dévoiler le pot-aux-roses à la presse et va jusqu’à organiser le faux enterrement de son « double ». Peu après, des meurtres en tous points similaires à ceux des aventures d’Alexis Machine, le héros tueur de Stark, ont lieu dans l’entourage de Beaumont, dont les empreintes sont retrouvées sur les scènes de crime. Autant vous dire que ça sent le roussi pour lui, même s’il se sait innocent. Lorsqu’il constate que la tombe factice de George Stark est ouverte, visiblement de l’intérieur, Thad lui-même s’interroge sur la réalité de ce double issu de son imagination.
Au-delà de son intrigue prenante et complexe, La Part des Ténèbres trouve un écho dans la vie de Stephen King, qui a publié cinq romans sous le pseudonyme de Richard Bachman, voulant mettre à l’épreuve son talent en le dépouillant de toute notoriété. La supercherie ayant été révélée en 1985, King avait lui aussi déclaré Bachman mort (d’un « cancer du pseudonyme ») et lui dédicace même certains de ses livres (schizophrénie du jour, bonjour). Ce qui ne l’a pas empêché de publier deux romans « posthumes » de Bachman, prétendument trouvés par sa veuve, en 1994 puis en 2006, ni d’interpréter dans la saison 3 de Sons of Anarchy
un personnage nommé Bachman. Les écrivains et leurs personnalités multiples, c’est du sérieux.
Le personnage de l’auteur, qu’il soit ou non le héros, est omniprésent dans l’œuvre du King of Horror. On croise au fil de ses livres des machines à écrire magiques, de petits êtres vivant chez les écrivains pour leur donner de l’inspiration, des héros de fiction qui prennent corps (à l’image de George Stark), des fans qui pètent un plomb (Misery), des accusations de plagiat… Stephen King, quand on lui demande pourquoi il choisit d’écrire des histoires d’horreur, répond « Qu’est-ce qui vous dit que j’ai le choix ? » : l’écriture est pour lui davantage qu’un métier ou une passion, c’est une partie intégrante de lui-même, sur laquelle il n’a que peu de contrôle.
Johnny Depp interprétant un écrivain accusé de plagiat dans le film Fenêtre Secrète, adapté de la nouvelle de Stephen King Vue imprenable sur jardin secret
Loin de l’horreur et du fantastique
On ne le surnomme pas le King of Horror pour rien : l’auteur venu du Maine a en effet consacré la plus grande partie de son œuvre au fantastique, à la peur et aux terreurs rituelles de l’espèce humaine. Difficile d’oublier le clown tueur de Ça, le rictus meurtrier de Jack Torrance (Shining) ou la folie glaciale d’Annie Wilkes (Misery). Mais si l’horreur est son fil conducteur, Stephen King ne perd rien de son talent lorsqu’il laisse de côté surnaturel et frissons.
Les deux (très bons) films que sont La ligne verte (The Green Mile) et Les Évadés (The Shawshank Redemption) sont des adaptations de Stephen King ; s’il est vrai que le premier contient un soupçon de fantastique et quelques scènes insoutenables, on reste très loin de la dose d’horreur à laquelle on pourrait s’attendre. L’auteur s’essaie au thème de l’espace dans diverses nouvelles parues dans les recueils Danse macabre et Brume, avec un style très étonnant qui rappelle fortement les Chroniques martiennes de Ray Bradbury. La nouvelle Un élève doué, parue dans le recueil Différentes saisons et adaptée au cinéma avec Ian McKellen (Magneto, Gandalf, tout ça…), raconte le morbide chantage qu’un adolescent bien sous tous rapports fait peser sur un vieil homme du voisinage après avoir découvert qu’il s’agissait d’un ancien criminel nazi. Dolores Claiborne, accusée du meurtre de sa riche patronne dans le roman éponyme, raconte la difficile vie d’une petite île de la Nouvelle-Angleterre à travers ses dépositions à la police. Marche ou crève imagine un futur où cent jeunes hommes se portent volontaires pour la « Longue Marche » annuelle, une « épreuve » où chaque candidat interrompant ses pas est abattu, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’un.
Il est donc presque impossible de ne pas trouver son bonheur parmi les deux cent nouvelles et romans publiés par Stephen King, toujours en activité à ce jour (la suite de Shining est prévue pour 2013 !), à moins de n’être friande que de chick-lit façon Le Diable s’habille en Prada (là, oui, on a une bonne excuse pour ne pas aimer Stephen King). Un auteur à redécouvrir sans modération !
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Les Commentaires
Un libraire m'a dit y a pas longtemps qu'il était démodé,mais je vois que pas tant que ça, en lisant les commentaires.
"Simetierre" m'a empêchée d'éteindre la lumière pour dormir pendant un bon bout de temps !
J'ai lu et aimé "Les yeux du dragon", mais pas accroché à "La tour sombre", voilà.