Il n’y a pas longtemps, j’essayais de vous parler en un seul article du vaste genre de la fantasy. S’il y aurait encore beaucoup à en dire, beaucoup de références à citer et de détails sur lesquels s’appesantir, il avait au moins un mérite : celui de bien faire comprendre à quel point il est difficile de catégoriser les divers styles et courants qui alimentent le genre. Enfin, j’espère.
Un de mes premiers réflexes est d’établir une frontière entre fantasy et science-fiction, qui sont les deux genres phares du petit monde joyeux des littératures de l’imaginaire. C’est assez simple de réussir à les opposer si on part sur un principe : la fantasy s’apparenterait au passé, tandis que la science-fiction serait relative à toute idée de futur. Ça marche la plupart du temps.
Malheureusement, les écrivains de l’imaginaire, et les écrivains en général d’ailleurs, aimant bien s’amuser à tout retourner dans tous les sens pour s’amuser avec, le temps s’avère être une notion particulièrement compliquée dans ce domaine. À force de jouer avec les paradoxes temporels, les sauts dans le temps, les réécritures de l’Histoire, extrapolations, interprétations, spéculations et autres « Et si… », le steampunk devait bien finir par arriver.
Peut-être que ce mot vous parle – si vous n’êtes pas déjà complètement fans et cosplayé-e-s en victorien-ne-s un poil déjanté-e-s à chaque Comic Con. Peut-être que sans avoir lu de roman steampunk, il vous évoque époque victorienne, cuivre, machines bizarres, passé un peu futuriste… Oh, et puis, je vais vous dire : même si ça vous fait penser à un punk à vapeur, vous n’êtes pas si loin du compte.
« Steampunk », qu’est-ce que c’est exactement ?
Bon, je plaisante, ôtez-vous cette image de punk à crête qui fait de la fumée par les oreilles. À la limite, « punk » dans ce contexte fait référence au slogan « no future » et à son caractère dystopique. L’utilisation du mot prend tout son sens avec le « cyberpunk », un sous-genre de la science-fiction que le steampunk était censé parodier à l’origine. Mais prenons les choses dans l’ordre.
Le cyberpunk, contrairement au steampunk, fait clairement partie de la science-fiction — c’est même le genre poussé à l’extrême. Il présente des mondes dystopiques, des futurs proches ou éloignés qui ont la particularité d’avoir accès à une technologie très avancée (« cyber », de cybernétique)… et d’être dans le caca. Ou, pour dire les choses plus joliment, un univers lugubre, désabusé, et dans lequel l’humanité semble être arrivée à une impasse.
« Steampunk » est un jeu sur ce genre d’anticipation : on garde « punk » pour l’idée futuriste un peu sombre, et on le colle à « steam » (vapeur) pour plutôt faire une référence à l’époque victorienne du XIXème siècle, qui se caractérise notamment pour sa révolution industrielle où l’invention de la machine à vapeur est devenue le symbole de l’avancée du progrès vers le futur. En gros, un âge victorien futuriste.
On doit l’invention du terme aux écrivains K.W. Jeter, Tim Powers et James P. Blaylock, qui, dans les années 80, cherchaient un nom pour les « fantaisies victoriennes » qu’ils prenaient plaisir à écrire, et qui ne rentraient dans aucune case. Ce serait en plaisantant que Jeter parodia alors le terme « cyberpunk » pour en faire le « steampunk ».
Blague ou non, il n’a pas été le seul à vouloir s’amuser à exploiter les promesses de l’appellation… et ainsi, un genre était né… grâce à son nom… qui allait rejoindre la cour des grands des littératures de l’imaginaire.
Le steampunk a étendu ses ailes mécaniques pour devenir, effectivement, des « fantaisies victoriennes ». Des récits se déroulant au XIXème siècle, le plus souvent à Londres, qui se jettent parmi les victoriens avec un regard décalé. Pourquoi l’époque victorienne ? Ça aurait pu être autre chose. Mais la fascination qu’exerce cette période si paradoxale, si ancrée dans les traditions du passé tout en regard vers l’avenir et le progrès, fait que non seulement ce choix ne me surprend pas… mais qu’en prime, il me paraît tout à fait adapté pour un jeu entre magie et science.
Mais faisons clair pour l’instant. Le steampunk, c’est un nombre infini de réponses à la question : « Et si la révolution industrielle ne s’était pas faite avec la machine à vapeur ? ».
Uchronie, dystopie, fantasy ou science-fiction ?
« Le steampunk », disent-ils si bien sur Les Sentiers de l’Imaginaire, « c’est en quelque sorte la science-fiction d’hier, vue avec un regard actuel ». Dans la première acceptation du terme, le steampunk est un jeu de réécriture de l’Histoire, où au lieu de creuser uniquement les possibilités des machines à vapeur, on découvrirait les propriétés du cuivre, de l’éther… De cette façon, le « progrès » prend un tout autre visage, tout en restant futuriste !
On peut donc fatalement parler d’uchronie, ou « histoire alternative », puisqu’il s’agit bien de notre Histoire à nous, jusqu’au moment de césure, une divergence où, au lieu de prendre la direction qui nous a menés à aujourd’hui, on part dans un tout autre délire. Mais si le steampunk, ce n’était que ça, on le rangerait dans la catégorie « uchronie » et puis basta.
par l’artiste Alex Broeckel
En fait, le steampunk ne se focalise pas sur la réflexion historique comme le fait l’uchronie – la césure, le « et si.. ? » n’est qu’un prétexte, et très souvent implicite (dans le sens où aucun lien n’est jamais fait avec notre dimension actuelle, ou rarement). Le but est d’avoir le contexte victorien, et de développer une intrigue au milieu d’anachronismes, de progrès technologique alternatif voire prématuré, de savants un peu fou, pour mélanger le tout à la société victorienne classique.
Par exemple, on trouvera un Londres dont le ciel est plein de zeppelins mais où les classes sociales sont tout aussi marquées malgré les automates qui servent le thé.
Dans ce cas-là, me diriez-vous avec raison, pourquoi ne parle-t-on pas tout simplement de science-fiction ? C’est compliqué. Déjà, parce que c’est un passé
futurisco-alternatif. Et aussi parce que les réponses à « et si… ? » sont nombreuses. Si bien que la plupart du temps, cette science imaginaire développée dans un roman de steampunk est au moins implicitement mêlée à la magie. Il faut dire que la question « où s’arrête la magie et où commence la science », et inversement, est au coeur de bien des réflexions de l’imaginaire !
Ceci sans compter le fait qu’une fois le décor posé, le récit peut prendre des allures de romance, de romans policiers, de thrillers, de parodies, de fantasy urbaine… Le steampunk ressemble plus à un univers qu’à un genre bien précis, ce qui le rend délicat à définir dans toutes les possibilités qu’il offre.
Ainsi, si on peut avoir l’image des dirigeables, des pistolets bizarres, des styles vestimentaires victoriens, des engins en cuivre pleins de boulons, en bref, un univers industriel avec une touche de baroque… la porte est ouverte à bien d’autres interprétations. Une sorte de niche qui s’est ouverte à mi-chemin entre la nostalgie de la fantasy et la science-fiction désabusée, ou, comme on le qualifie souvent, de « futur antérieur ».
Non, je n’ai pas de réponse claire pour vous : le steampunk, ce n’est ni de la fantasy, ni de la science-fiction, c’est un peu des deux à la fois. C’est un courant qui part d’un même point, l’époque victorienne avec l’esprit Jules Vernes, pour piocher un peu partout. C’est même devenu un style vestimentaire à part entière, voire un style tout court, à base de lunettes d’aviateurs, de chapeaux et jupons victoriens pleins de sangles et de corsets améliorés. Bref. Un monde à part.
Les références du steampunk
C’est bien beau tout ce blabla, mais sans une illustration pratique de la théorie, vous allez juste me balancer des boulons à la gueule avant d’aller vous prendre un Doliprane. Je vous jure, le plus compliqué dans le steampunk, c’est sa quantité de possibilités ! D’ailleurs, la question qu’on se pose le plus souvent, c’est « Machin, c’est du steampunk ou pas ? ».
Si vous avez envie de tester cette littérature bizarre, je vous propose quelques références, en commençant par les grands classiques fondateurs du mouvement, avant de vous proposer quelques-uns de mes chéris un peu plus actuels. Cette fois encore, vous êtes invité-e-s à proposer vos titres préférés dans les commentaires, et ainsi contribuer à noyer les tables de chevet de vos confrères et consoeurs internautes sous des piles de livres ! On n’a jamais trop à lire.
On commence avec Les Voies d’Anubis, par Tim Powers, auteur prolifique et pas des moindres. Si ce nom vous dit quelque chose, ça peut avoir un rapport avec le fait qu’il fait partie du trio mentionné plus haut, qui est à l’origine du steampunk. C’est un roman absolument génial, et aussi très bizarre, qu’on ne penserait pas tout de suite à classer dans cette catégorie… c’est de la « fantaisie victorienne » dans toute sa splendeur.
Et rappelez-vous de K.W. Jeter, qui illustre la catégorie qu’il a nommée, avec son Machines Infernales, le roman qui vous donnera satisfaction si vous cherchez de l’automate, de la machine et l’atmosphère un peu « what-the-fuck il se passe quoi » du steampunk.
Un autre exemple célèbre est La Machine à différences par William Gibson et Bruce Sterling, où Londres continue de s’étendre, sillonnée par des inventions de toutes sortes, des automobiles aux ordinateurs… à vapeur.
La liste des septs de Mark Frost vous fera découvrir l’auteur de Sherlock Holmes sous un autre angle, Le Cycle d’Oswald Bastable du si prolifique Michael Moorcock envoie ses dirigeables dans les Empires Coloniaux, et L’Équilibre des paradoxes de Michel Pagel sortira un peu de Londres pour une folle histoire de paradoxes temporels…
Il y en a bien d’autres qui ne me reviennent pas ou que je ne connais pas – las ! j’admets mon ignorance, et je la chéris comme on chérit l’idée d’avoir une éternité de livres devant soi. Je découvre notamment les Français, dont Mathieu Gaborit et Fabrice Colin qui se sont associés pour écrire Confessions d’un automate mangeur d’opium, du steampunk qui cette fois choisit comme capitale Paris… Un peu comme Johan Héliot avec son La Lune seule le sait, d’ailleurs. Tour Eiffel et extra-terrestres changeant le cours de l’Histoire, ça vous dit ? Ou quand le steampunk se lâche et se fait moins prévisible.
Dans l’ensemble, j’ai comme l’impression que ce sous-genre déjanté inspire davantage les nouveaux auteurs français que la fantasy classique ! Mais que ce soit en France ou ailleurs, ce qui ressemble à un genre à part entière, ce mouvement qui s’étend au-delà de la littérature, est définitivement en ébullition du haut de l’infinité des histoires alternatives qu’il propose.
Et vous, le steampunk, ça vous inspire un bon vieux gentleman victorien avec ses lunettes d’aviateur sur un dirigeable ? Vous reprendrez bien quelques conseils lecture pour essayer d’y voir plus clair ?
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Les Commentaires
D'après-vous la saga des Orphelins Baudelaire est-elle une oeuvre que l'on peut rattacher au genre du steampunk ?
Visuellement cela me semble cohérent mais je n'ai pas l'impression que la saga remplit tous les critères.