Je suis arrivée au Texas un peu (beaucoup) par hasard…
En fait non, plutôt par crétinerie maintenant que j’y pense. J’étais partie pour un bus trip au travers des grandes villes de l’Est américain et un manque de lucidité total vis-à-vis des distances (quand on voyage en Europe, tout est à petite échelle) m’a fait dire : « Tiens, Washington-Austin, ça doit se faire fingers in the nose en bus, je vais faire un petit (sic) détour pour faire un coucou aux copains qui vivent là-bas ! ».
Bref. Quatre jours (sans douche) de bus plus tard, me voilà paumée en plein milieu du Texas par 40° à l’ombre, des idées reçues plein le sac à dos. Parce que pour moi le Texas… C’était ça :
Je suis un viril cow boy conservateur qui bouffe du bœuf aux hormones et tâte du gun dès qu’il le peut. God bless America !
Autant vous dire que j’y allais VRAIMENT pour voir mes potes. Et pour laver mes fringues qui commençaient doucement à schlinguer se faire sentir après un mois de backpacking. Je tiens d’ailleurs à préciser que concernant Austin, je ne pouvais pas davantage me planter : c’est en réalité un véritable îlot de hippies progressistes planté au milieu de cet état républicain.
C’était il y a une semaine, le 25 juin plus précisément, jour de la flibuste parlementaire de Wendy Davis. À mon grand dam, je n’étais pas du tout au courant de ce qui se passait dans la ville à ce moment-là puisque je voyage sans moyen de communication (comprendre portable, smartphone, tablette ou pigeon voyageur ; je renvoie d’ailleurs au passage sur ma crétinerie mentionnée plus haut dans cet article). J’ai donc pris connaissance des faits après coup, pestant et jurant de ne pas avoir été présente lors d’un événement aussi important.
Heureusement, le gouverneur Rick Perry a lancé une nouvelle session parlementaire et le mouvement Stand With Texas Women a organisé ce lundi 1er juillet une grande manifestation pour protester contre les restrictions que la nouvelle loi engrangerait concernant l’accès et le droit à l’avortement. L’occasion pour moi d’assister à une manifestation aux USA pour une cause qui me tient à cœur. ???? Je suis arrivée au Capitole vers 13 heures, pile poil pour la prise de parole par Wendy Davis devant l’édifice, face aux quelques milliers de manifestants en orange. L’orange du Texas.
?On ne déconne pas avec le dress code aux States.
Inutile de préciser que ma tenue verte et moi-même avons fait sensation.
La foule est remontée, les pancartes sont brandies, les sneakers roses flashy à la Wendy Davis côtoient les tongs (il fait chaud… TRÈS chaud). Autour de moi, des jeunes oui, mais pas que.
Un cow-boy moustachu hisse mon mètre cinquante-trois sur une rambarde pour que je puisse mieux voir, une mère et sa fille arborent chacune une pancarte se désignant mutuellement « I brought my mom/daughter to support women’s right » (« J’ai amené ma mère/ma fille pour soutenir les droits des femmes »), un peu partout des cintres estampillés « Never Again » (« Plus jamais ») rappellent les heures sombres de l’auto avortement, quand les femmes qui n’avaient pas d’autre choix s’enfonçaient un cintre jusque dans l’utérus pour se débarrasser du fœtus.
Plaisante surprise à mes yeux, les personnes handicapées ou trop âgées pour tenir debout dans la foule sont menées au premier rang dans leur chaise roulante, juste devant l’estrade où s’expriment les intervenants — et ce n’est pas pour l’image, les caméras sont plus loin et ne peuvent pas les avoir dans leur champ.
Énormément d’hommes sont là aussi en guise de soutien car comme le signale la pancarte de l’un d’entre eux : « She is someone‘s sister/wife/mother/daughter » (« C’est la sœur/la femme/la mère/la fille de quelqu’un »). C’est un festival de tenues et de style qui s’étale sur l’esplanade : hippies tendance hipsters (ou l’inverse), gros bras tatoués, mamies adepte du yoga, grands blacks blasés, adolescentes en fleur, familles plus ou moins nombreuses, tous sont là pour soutenir les femmes du Texas.
Et portée par cette foule immense, la sénatrice Wendy Davis s’approche du micro… C’est à ce moment là qu’un type m’aborde :
– Hey, you sure are visible all in green like that ! (Hey, on te remarque bien avec tout ce vert !) – Yeah I guess… I’m French, I didn’t know about the dress code. (Oui, j’imagine… je suis française, je ne savais pas pour le dress code) – Oh you’re french ! Bonjour je suis Matthew, je parle un peu le française ! – Hahaha ! Nice ! – Attends je te faire place pour que tu vois bien le sénatrice d’accord !
??????BADAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAASS !
Les cris et les encouragements reprennent de plus belle, la foule scande le prénom de cette blondinette de cinquante ans et puis le silence se fait pour lui laisser la parole…
Le discours de Wendy Davis
Pour voir le discours en vidéo, cliquez ici. Je vous l’ai traduit ci-dessous !
?Merci. Vous êtes tous merveilleux et je suis si contente que soyez tous ici et que nous puissions être ensemble à VOTRE Capitole. J’ai entendu beaucoup de gentilles déclarations ces derniers jours et j’en suis à la fois touchée et reconnaissante. Mais la vérité, c’est que c’est à vous que des personnes comme moi et tant d’autres doivent le renouvellement de notre force.
Moins d’une semaine auparavant, vous étiez présents à la croisée des chemins de l’histoire du Texas. Vous avez rejoint les rangs composés d’hommes et de femmes courageux qui aiment cet état et qui se sont battus pour leurs libertés et pour la protection des valeurs du Texas.
Ce sont vos voix — que vous m’avez prêtées — qui m’ont permis de tenir debout pendant ces 13 heures. Au cours des deux dernières heures, mes collègues Démocrates, des personnes brillantes, passionnantes, éloquentes, ont pris la relève. Chacun d’entre eux a été extraordinaire.
?Et pourtant même eux n’ont pu nous mener à la ligne d’arrivée. À seulement 20 minutes de la fin, vous, après avoir patiemment subi en silence l’abandon constant des règles et traditions du Sénat, vous n’avez pu vous taire plus longtemps : vos voix, n’en formant plus qu’une, rugissant contre ce que nous avons tous perçu comme un pur abus de pouvoir, assurèrent la victoire.
Quoi de mieux que « la flibuste du peuple » pour mettre en garde les politiciens actuellement au pouvoir ?
Les Texans attendent de l’honnêteté et du respect de la part de leurs élus et reprendront sans hésiter les pouvoirs qu’ils leur ont accordés si ceux-ci s’avèrent utilisés de manière irrespectueuse et à de mauvaises fins. Ce sont votre force, votre courage, votre détermination qui me font dire aujourd’hui « Je crois au Texas plus que jamais ! ».
Le Texas est le plus grand des pays de notre grande nation. Il n’existe pas de meilleur endroit pour vivre, travailler et fonder une famille. C’est encore un endroit où l’on peut réussir à force de travail et de confiance en soi.
Comme plein d’autres petites filles du Texas, j’ai grandi sans beaucoup d’avantages. Ma mère était une mère célibataire de quatre enfants qui n’était pas allée plus loin que la 6ème dans ses études. Et à mon adolescence, ma vie commençait à ressembler à la sienne. J’étais une mère célibataire également. J’avais terminé le lycée mais je n’avais aucune idée de comment réussir dans la vie.
L’éducation a tout changé pour moi. J’ai fini par obtenir mon diplôme à l’école de droit d’Harvard et j’ai par la suite eu l’honneur d’être élue pour servir les habitants de Forth Worth.
?J’ai eu la chance, au cours de ma vie, d’avoir eu la capacité de prendre des décisions qui, je le savais, marcheraient pour moi. Et je ne regrette pas un seul instant les choix que j’ai pu prendre concernant mes filles, mon éducation ou mon choix de vie.
C’est pour cela que nous nous battons aujourd’hui. Pour un Texas où chaque femme a la possibilité de surmonter des défis uniques puisqu’elle aura les mêmes choix et les mêmes opportunités que j’ai pu avoir.
Pendant des années, trop de politiciens texans ont essayé de promouvoir leur carrière au détriment des femmes qui ont besoin de soins et d’aide pour leur santé.
Ils ont restreint l’accès aux IRM, aux moyens de contraception voire aux contrôles prénataux pour les femmes. Ceux qui sont au pouvoir ont refusé de la part de l’État fédéral des millions et des millions de dollars destinés à aider les femmes ici, simplement pour faire du tort à une organisation dédiée à la cause et la santé de la femme.
Nous nous sommes battus pendant des années pour convaincre ces politiciens que le meilleur moyen de prévenir les grossesses non désirées est de fournir aux femmes un réel contrôle de leur vie, en investissant dans de bons services de plannings familiaux et en garantissant une éducation sexuelle honnête, efficace et en adéquation avec leur âge pour nos enfants.
Et nous nous sommes battus pour payer les femmes de manière égalitaire pour qu’elle puissent elles-mêmes choisir de leur destinée.
C’est ce que nous voulons pour la session parlementaire spéciale à venir et nous avons besoin de votre aide.
?Des sénateurs unis et responsables sont en ce moment même à l’œuvre pour réintroduire la loi equal-pay-for-equal-work (même salaire pour même travail) au Texas puisque la parité dans les salaires de nos familles vaut la peine de se battre pour elle. Le Gouverneur Perry a posé un veto sur cette loi, affirmant par ce geste qu’il croit que les femmes ici ne le méritent pas. Il a tort sur tant de niveaux.
Il ne s’agit pas juste des femmes, il s’agit de nos familles et de nos valeurs. Il y a au Texas tellement de familles dépendantes du travail des mamans et des papas. Et chacun des deux parents doit être payé de manière équitable.
Rappelons à Rick Perry que l’équité est, et restera toujours, une valeur fondamentale du Texas.
Les Texans méritent quelqu’un qui les défendra toujours eux et leurs valeurs. Qu’une personnalité publique défende et se batte pour les hommes et les femmes qui l’ont élue ne devrait pas être un fait inhabituel. Cela devrait être une exigence de l’emploi. Mais maintenant, notre état est en danger. À toutes les échelles, les bureaux sont tenus en otage par des politiciens qui se préoccupent plus de leur futur personnel que de celui de leur compatriotes Texans. Il est donc trop rare que les jeunes Texans atteignent leurs plus grands rêves.
Durant cette dernière décennie, nous avons assisté presque quotidiennement aux actions menées par nos politiciens pour mettre le Texas dans l’embarras et restreindre nos rêves. Ils ont depuis longtemps oublié ce que les vrais Texans veulent ou réclament, oublié que plein de gens ne sont pas d’accord avec eux sur plein de problèmes.
Ils ont oublié le devoir de tous nous représenter, nous les gens qui travaillont chaque jour.
Ils ont oublié les personnes dont la qualité de vie dépend de la qualité de la tête de l’État.
Ils ont oublié les Texans de la base qui comptent sur leurs politiciens pour s’occuper d’eux.
Nous avons besoin de personnes en politique qui aiment cet endroit autant que nous. De personnes qui souhaitent construire un meilleur Texas, pas juste quelqu’un qui souhaite rajouter une ligne à son CV politique.
Un grand nombre d’entre nous se sent découragé par la tournure des choses ici. Certains d’entre nous en deviennent fous. Mais aujourd’hui c’est différent. Aujourd’hui nous avons de l’espoir. Nous avons eu l’opportunité d’être inspirés par les actions de tout un chacun dans notre démocratie. Nous avons été témoins de tout ce que nous pouvons accomplir lorsque nous reprenons notre pouvoir.
Les Texans sont fiers de leur état. Les Texans sont des leaders. Ensemble, les Texans peuvent se rassembler au-delà des partis politiques et créer un futur qui inclut l’ensemble de notre État. Nous avons prouvé en travaillant ensemble que nous pouvons faire ?passer d’importantes lois bénéficiant aux deux partis, des lois telles que l’equal-pay-for-equal-work.
Le Texas est plus grand que l’ambition personnelle et quelques intérêts extrémistes, plus grand qu’un simple parti politique. Ensemble, nous pouvons accomplir ce qu’ils ne peuvent pas faire, nous pouvons nous défendre les uns les autres, défendre ce qui est juste et défendre le Texas.
?J’en connais une qui prépare des élections décisives dans les années à venir…
https://youtu.be/_DZ3_obMXwU
Tonnerre d’applaudissements, les premières notes de Respect d’Aretha Franklin retentissent. Wendy Davis et les autres intervenants lèvent le poing et commencent à danser, bientôt rejoints par une foule survoltée.
Et puis c’est la fin, la foule se disperse, bien disciplinée. Matthew m’aide à descendre de mon perchoir et me dit au revoir. Une mère de famille m’offre une part de pizza sous prétexte que je suis trop maigre (je veux bien croire qu’un mois de voyage en mode pauvresse ça creuse un chouïa les joues mais quand même). Et là… je tombe sur la meilleure pancarte de toute la manif !
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