Je suis étudiante en électronique et traitement du signal et image dans une école d’ingénieur. Chaque année, je dois trouver des stages liés à mon domaine d’expertise, sauf en fin de première année, où j’ai le droit de faire un « stage de découverte ».
J’en ai profité pour partir dans une ferme au Népal, que j’ai découvert sur le site du WOOFing qui recense les coordonnées des fermes partenaires.
Depuis mon canapé, ma vision de l’autre bout du monde se résumait à quelques reportages avec des cartes et des chiffres. Mais durant ce bénévolat en Asie, j’ai été observatrice et actrice dans un environnement qui m’était totalement inconnu.
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Une ferme au sommet de l’Himalaya
Atteindre à la ferme s’apparente déjà à un véritable pèlerinage ! Perchée à 1000 mètres d’altitude, elle est située à plus de 200 km de la capitale, Katmandou.
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Les routes pour y parvenir chatouillent les sommets l’Himalaya et je suis déjà foudroyée par la puissance de ses montagnes, l’aspect sauvage de la flore, par la beauté vénusienne du décor.
Une étrange magie y règne ; je ne parviendrai jamais à m’y habituer.
Après avoir volé, roulé, navigué, dormi, à nouveau roulé, grimpé et roulé encore, je pose enfin le pied sur une terre meuble et assouplie par la mousson.
Je suis trempée, mais j’ai cessé de m’en soucier pour profiter de la vue qui s’offre à moi comme une récompense suite à des heures de voyages.
Un peu perdue, je demande mon chemin et par chance, j’ai choisi d’aller travailler avec un fermier très connu dans le coin : Surya, un prénom qui signifie Soleil en népalais.
Pionnier de la permaculture dans la région, propriétaire d’une ferme de café et d’environ 200 variétés de fruits et légumes et d’une dizaine de bêtes, cet agriculteur (mais aussi guérisseur) est un homme très respecté.
Une journée-type à la ferme dans l’Himalaya
Quand j’atteins la ferme, plusieurs travailleurs laissent tomber leurs tâches pour m’accueillir, ravis de recevoir de la main-d’œuvre. Ils commencent déjà à m’expliquer le fonctionnement des lieux et en quoi consiste le travail à la ferme.
Je vais vivre avec les propriétaires, Surya, son épouse Saraswoti et tous leurs animaux, dans leur maison faite d’argile.
Il n’y a pas d’électricité hors du village (situé à 5km de là), alors tout fonctionne au feu de bois, à la lumière du soleil et à l’huile de coude.
Dès le lendemain, commence le refrain du travail dans les champs dont le tempo est donné par la mousson, la seule véritable maîtresse des récoltes.
On se lève un peu avant le lever du soleil. C’est l’occasion de l’accueillir avec une séance de médiation et de yoga.
Il est entre 5h et 5h30. J’enchaîne les « salutations au soleil » et les postures du guerrier en imitant les habitués, derrière Surya qui tient un poirier sur la tête depuis déjà une bonne demi-heure.
Le chef des lieux trait les chèvres et les buffles (qui n’acceptent que lui) pendant que je rejoins les fermiers pour la coupe quotidienne des plants à la faucille.
Le champ d’à côté sert de garde-manger et on y prépare le repas des animaux : de hautes herbes assaisonnées à la rosée du matin.
Plus tard, on retourne dans la maison d’argile de Surya pour réceptionner le riz brut des fermes voisines, qu’on pré-trie en le faisant voltiger sur un tamis en osier tressé.
La maison en argile de Surya et sa famille.
Chacun charge 20kg de riz sur son dos et nous formons une longue file indienne pour le porter jusqu’au village, où la graine sera séparée de son enveloppe.
En mettant un pied devant l’autre, on vient à bout du calvaire qui peut durer plusieurs heures.
Les tâches s’enchaînent mais vers 19h, le soleil se couche et il est temps de ranger nos instruments avant d’encercler religieusement le seul repas de la journée.
« Dal Bhat power, 24 hours ! »
Ce repas ? Un généreux et délicieux Dal Bhat préparé à l’huile de coude et qui sera mangé à la main. Je saisis alors tout le sens de la maxime népalaise « Dal Bhat power, 24 hours ! ».
Voilà à quoi ressemble à un bon Dal Bhat. (Source : flickr)
La faim calmée, il ne reste plus qu’à frotter la vaisselle avec des cendres tirées du feu qui a cuit le repas.
« Good clean, good health », me répétait Saraswoti (en français : « bien nettoyer pour rester en bonne santé ») juste avant une légère toilette à l’eau de pluie.
Enfin, je m’abandonne aux bras de Morphée, allongée sur ma paille et fin prête à une nuit de sommeil réparateur.
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L’apprentissage d’une nouvelle vision de la vie
En travaillant à la ferme, avec des moyens relativement archaïques, j’ai pensé aux machines utilisées en Europe ou aux États-Unis.
Certains trouveraient intéressant de transformer les techniques agricoles de la ferme de Surya mais les fermiers se montrent réticents au changement de leurs habitudes de travail.
Un après-midi, nous désherbions la zone des plants de café, quand un petit groupe de personnes de la ville nous abordent.
Ce n’est pas la première fois qu’elles rendent visite aux fermiers : elles espèrent leur vendre du matériel comme des outils, de petites machines, ou encore des bâches…
Mais les agriculteurs se tournent vers les traditions et préfèrent les techniques manuelles ancestrales. Lorsque les vendeurs sortent une ceinture dorsale de leur sac, c’est comme un tour de magie qui se réalise sous les yeux des gens de la ferme.
L’un des marchands tente une démonstration et réussit à les convaincre… jusqu’à ce qu’il parle d’efficacité, de bénéfice et de productivité. La surprise tourne alors à l’aversion !
Plus tard, un fermier m’expliquera qu’il considère que les ressources de la Terre doivent s’exploiter à une vitesse d’humain, et non d’humain augmenté par des outils et des machines.
Les travailleurs de la ferme sont d’une humilité exceptionnelle. Difficile de résister à ce sentiment face à ces montagnes si grand et si majestueux dans lequel on se sent minuscule.
J’ai appris beaucoup des relations et des codes sociaux dans le groupe de la ferme. Du côté de la parité, il n’y a aucune règle de quota, ni aucune réglementation.
Tout le monde porte la même quantité de riz, parcourt la même distance, et ce quel que soit le nombre d’hommes et de femmes dans l’équipe.
Seules les capacités comptent. Devant la tâche, nous sommes à égalité.
Mère-nature, vraie reine du labeur
Dans la ferme de Surya, la nature règne : le soleil délimite les journées de travail, les saisons dictent les cultures et habillent le paysage, le relief trace les itinéraires et dessine le canevas des champs.
Mais surtout, les pluie de la mousson s’octroient le privilège de renverser l’ordre des tâches de manière intempestive.
Les fermiers doivent constamment s’adapter aux averses et se trouvent parfois en danger face aux fréquentes inondations qui fragilisent les habitations.
Parfois, des torrents de boue se forment sur les rives et emportent ceux qui n’ont pas de prise à portée, des éboulements soudains menacent d’assommer à coups de troncs d’arbres ou de pierres et de bloquer les chemins.
Quand elle est n’est pas aussi dangereuse, la pluie promet de l’eau en abondance pour les récoltes et toute la ferme la bénit pour cela.
Lorsque la pluie se met à moucheter le sol, certains fermiers se tournent paisiblement vers d’autre tâches comme mettre les grains au sec, ajuster les bambous d’irrigation ou encore ouvrir tous les récipients destinés à conserver une partie de la précieuse denrée.
Se découvrir dans les contreforts de l’Himalaya
Chaque jour, je m’adonne à une séance de méditation devant le lever du soleil sur vallées de l’Himalaya.
Cela me donne l’occasion de découvrir le paysage. C’est ainsi que j’ai pris conscience de la volonté de fer nécessaire pour apprivoiser les terres afin d’en faire des rizières et des terrasses.
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Je m’approche, un jour, d’une travailleuse qui ajuste le système d’irrigation pour lui demander : « Comment faites-vous, chaque année pour simplement COMMENCER ce travail herculéen ? »
Après avoir précisé qui était Hercule, je l’entends me délivrer le secret :
« Tu l’as dit toi-même, il faut simplement commencer.
Nous savons que nous parviendrons à bout de cette tâche et qu’il nous faut l’effectuer de toute façon. Alors nous prenons un plant et nous le plantons, avant de passer au suivant et ce jusqu’au dernier. »
Je me remémore souvent ces paroles depuis dans ma formation d’ingénieur et j’espère qu’elles peuvent servir à celles et ceux qui aspirent à gravir des montagnes !
Grâce à ce stage de découverte et au WWOFing, j’ai découvert un fragment de vie, à travers le quotidien de personnes nichées dans les contreforts de l’Himalaya.
J’y ai découvert des qualités humaines, des modèles à suivre pour donner du sens aux valeurs telles que la solidarité, la tolérance, l’humilité, l’équipe mais aussi le courage.
Je me suis découverte moi aussi. On pourrait croire qu’en aidant les autres on s’efface ; mais l’expérience encourage à la rétrospection !
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