Cette semaine, un terrible scandale a secoué la sphère madmoiZelle : un spoiler de How I Met Your Mother a été relayé. QUOI, COMMENT ? Horreur, stupéfaction, ne peut-on plus se balader innocemment sur l’Internet sans risquer la tentation ultime ? Votre magazine préféré mérite-t-il d’être traîné devant les tribunaux populaires pour gros spoilage ?
En vérité, ce spoiler est le spoiler le plus inutile de toute l’histoire des spoilers – c’est comme s’il nous disait « HEY, devinez quoi ? L’épouse de Ted est une femme ! ». Je vais vous avouer un truc : je suis une dingue de spoilers, je clique compulsivement sur Et en fait à la fin, j’ai toujours l’espoir de voir apparaître un truc bien croustillant dans les Saturday Spoilers de Séries addict… Je vous jure : même dans Les Anges de la téléréalité, ce que je préfère, c’est le « dans le prochain épisode des ANGES… » ! Bref : le spoiler d’HIMYM m’a frustrée tant le niveau de révélation est bas.
M. Night Shyamalan, réalisateur spécialiste des twists de fin.
Quoi qu’il en soit, que vous soyez pro ou anti spoil, l’affaire du spoiler maudit était une trop belle occasion pour farfouiller les études psychosociales et dénicher quelque chose sur le sujet. BINGO : figurez-vous qu’une recherche, publiée dans le journal Psychological Science en 2011, se penche sur le délicat sujet des spoilers. Selon ses auteurs, les chercheurs en psychologie sociale Nicholas Christenfeld et Jonathan Leavitt, connaître la fin d’une histoire avant de la découvrir ne gâcherait pas le plaisir que nous prendrons à la parcourir l’histoire – en fait, nous pourrions même l’apprécier davantage, ce serait le « paradoxe du spoiler » (par exemple, le fait que je vous ai d’ores et déjà informé-e-s de la conclusion de leur étude ne fout pas forcément en l’air le plaisir que vous prendrez à lire les détails qui suivent, hé).
Pour parvenir à ces conclusions et déterminer si les spoilers pourrissent notre plaisir, les chercheurs ont mené trois expériences, à l’aide d’histoires courtes de genres différents écrites par des auteur-e-s relativement connu-e-s (Agatha Christie, John Updike, Roald Dahl…).
Pour chacune des histoires, les chercheurs ont écrit un paragraphe-spoiler qui présentait les grandes lignes de l’histoire et révélait son déroulement final. Ces paragraphes étaient soit présentés comme un texte indépendant, soit comme une introduction.
!!!!!! SPOILER ALERT !!!!!!
819 participant-e-s ont pris part à ces trois expériences, dans lesquelles ils ont donc lu trois types d’histoires (histoires aux twists ironiques, histoires mystérieuses, histoires littéraires évocatrices). Parmi les trois histoires, deux étaient spoilées (soit par le paragraphe présenté comme un texte indépendant, soit par le paragraphe incorporé à l’introduction) et une non-spoilée.
Après avoir lu les histoires, les participant-e-s évaluent combien ils ont apprécié celles-ci, sur une échelle de 1 à 10, et peuvent compléter leur note par une « réponse libre ». Lorsque les sujets indiquent qu’ils-elles connaissaient l’histoire avant de la lire pour l’expérience, leurs données sont exclues des analyses – de ce fait, les chercheurs étudient seulement l’impact du spoiler sur une histoire inconnue.
Après exploitation des résultats, il s’avère que pour chaque type d’histoire, les participant-e-s semblent préférer les versions spoilées aux versions non spoilées – en tout cas lorsque le spoiler leur est présenté séparément de l’histoire (à l’inverse, les spoilers incorporés au texte n’auraient pas d’effet sur les évaluations)… Ainsi, connaître la fin d’une histoire avant de la lire nous ferait davantage apprécier notre lecture, même si le spoiler nous révèle un bien gros mystère ou un bien gros twist ?
Spoiler : Juliette n’est pas sur le point de faire des trucs coquins avec Roméo et de la cire chaude.
MAIS POURQUOI ? A-t-on un côté masochiste un peu trop développé ? Peut-on prendre du plaisir à lire une histoire dont nous connaissons la fin ?
Selon les interprétations de Christenfeld et Leavitt, connaître le déroulement de l’histoire nous permettrait d’organiser cognitivement les développements, d’anticiper les implications des évènements, de résoudre les ambiguïtés… En d’autres termes,
lorsque l’on connaît le déroulement final, ce serait cognitivement plus confortable, plus facile, et cela nous permettrait de nous concentrer sur une compréhension plus profonde de l’histoire. Ce qui serait par ailleurs en accord avec l’idée que nous pouvons relire certains ouvrages avec le même plaisir !
Puisque l’on sait ce qu’il va se passer, l’émotion va prendre le pas dès le début : nous allons vouloir comprendre comment cela arrive, quand est-ce que le twist va avoir lieu, comment les personnages vont réagir… Finalement, nous allons les accompagner vers un destin inéluctable – ouais, c’est un peu mélodramatique. Disons que nous regardons un bon vieux film d’horreur : lorsque l’on arrive au plan serré et à la musique inquiétante, on SAIT que le tueur va probablement surgir dans la seconde… ce qui ne nous empêche pas de sursauter et de frémir à l’instant où il surgit effectivement !
Lorsque nous ne sommes pas spoilé-e-s, toutes ces questions ne se posent pas – nous recevons l’histoire au fur et à mesure, sans pouvoir prêter attention aux détails importants. Pour Christenfeld, « Les intrigues sont juste des excuses pour une grande écriture. Ce qu’est l’intrigue est (presque) hors sujet. Le plaisir est dans l’écriture ».
Dans L’Incroyable destin de Harold Crick, le héros se rend compte qu’il n’est que le personnage d’une fiction, et se fait donc spoiler… sa vie. Sympa.
BON. Bien sûr, l’étude a ses limites : elle manque de répliques (peu d’études se sont penchées sur la question et ont entrepris une recherche similaire), elle se centre sur des histoires qu’on lit (le même effet existe-t-il avec les films, les séries ?) et auxquelles on n’attache pas une importance capitale (les participant-e-s n’avaient probablement pas d’attente particulière en lisant les textes… en revanche, nous accordons parfois une importance démesurées à nos séries préférées) (lorsque l’un de mes amis proches m’a spoilée un élément très important de Dexter, j’ai bien cru que j’allais lui faire manger mon ordinateur). Reste qu’elle nous apporte des éléments de réponse : le spoiler ne serait pas le Mal et le spoilage ne serait pas un acte cruel… mais presque un service !
Pour aller plus loin :
- L’article des auteurs, Story spoilers don’t spoil stories
- Un article de Psychology Today
- Un article de The Atlantic revenant sur une recherche qui tendrait à expliquer le contraire : pourquoi détestons-nous les spoilers ?
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