— Publié pour la première fois le 8 novembre 2014
Quand je suis à l’étranger, j’aime aller au cinéma, et comme je me trouvais début septembre au riant Japon, j’en ai profité pour jeter un coup d’oeil au dernier Ghibli qui sortira le 14 janvier 2015 en France : Souvenirs de Marnie. Ne parlant pas franchement le nippon, j’ai au préalable dévoré le livre sur lequel est basé le film, When Marnie was there, et je me suis dit, du coup : « faisons donc un Du livre à l’écran » !
Ne vous inquiétez pas : pour une fois, je m’abstiendrai de spoiler !
https://youtu.be/lO79qkKDUNY
Un roman « jeunesse » appréciable à tout âge
When Marnie was there est un excellent petit roman. Admirablement construit, il raconte l’histoire de la jeune Anna, une petite fille extrêmement renfermée qui peine à communiquer avec sa famille adoptive. Suite à une crise d’asthme violente, sa tutrice qu’elle appelle « auntie » l’envoie chez des amis dans un village du Norfolk, juste au bord de la mer. Là, Anna se redécouvre elle-même et réapprend à communiquer, faire confiance et pardonner grâce à la mystérieuse Marnie, sa première véritable amie.
Alternant les réalités et brouillant les limites temporelles, le roman nous laisse pourtant certains d’une vérité : la force des sentiments. Les relations d’Anna avec les autres personnages sont poignantes et j’ai rarement vu exprimé avec autant de justesse le vide béant des solitudes de l’enfance. Avec des mots simples, l’auteure sait communiquer des réalités psychologiques très complexes et l’intrigue m’a d’ailleurs fait beaucoup penser aux travaux et études des thérapeutes familiaux. Enfin, les descriptions de ce bord de mer bien anglais sont très efficaces : on est entraînés avec Anna à travers les dunes…
Un film plus complexe qu’il n’en a l’air
Comme le roman, le film raconte une histoire bien moins simple qu’elle n’y paraît. On ne voit au départ qu’un récit d’amitié déjà admirablement conté, et on finit, lors de l’ultime révélation, par réaliser le travail d’artisan d’une équipe de scénaristes qui tisse sa toile avec précision, efficacité et délicatesse.
Cependant, quelques changements ont tout de même été effectués lors de l’adaptation — bien que, contrairement à d’autres romans véritablement transformés après un passage chez Ghibli, comme Le château de Hurle (dont l’adaptation est cool quand même) ou Les contes de Terremer (dont l’adaptation est à chier), When Marnie was there reste bien identifiable.
Tout d’abord (pour être plus accessible au public japonais sans doute), le cadre a été modifié et on passe du Norfolk à Hokkaido. On assiste même à la fête japonaise des étoiles, Tanabata. Malgré tout, l’idée d’un village côtier et un peu isolé est respectée et on reconnaît bien les personnages, qui changent tous de nom et d’origine — à l’exception d’Anna et Marnie dont les traits occidentaux accentuent l’étrangeté.
Ces changements ne nuisent pas vraiment à l’histoire, qui a un côté intemporel et même universel, mais d’autres modifications transforment, elles, la perception que l’on peut avoir des événements, voire réduire l’impact de ce qui est raconté. En effet, la construction d’un scénario de film n’a pas les mêmes exigences que celle d’un roman et si la plupart des moments-clés du livre se retrouvent dans l’adaptation, ils n’apparaissent pas dans le même ordre afin de créer un vrai climax.
Ce climax est, dans le roman, un moment de bascule et n’est pas situé vers la fin de l’histoire mais au milieu. Cette manipulation permet aussi de faire apparaître le personnage de Marnie sur une plus longue durée, ce qui est sans doute plus vendeur : après tout, elle est le symbole du film, mais en modifie également l’ambiance et les enjeux.
Bref, la force du récit est, à mon sens, un peu altérée par l’adaptation qui, au lieu de respecter une construction en miroir, étend la première partie dont il exploite tout le potentiel mais néglige la seconde, amputée de certains personnages et développements. Néanmoins, ces choix sont parfaitement compréhensibles et ne nuiront probablement qu’à ceux qui, comme moi, connaissaient le livre…
Un film très intimiste loin des Ghibli iconiques
Pour ce premier film Ghibli sans Miyazaki, on a tâché de se démarquer. Le design des personnages, toujours semi réaliste, se distingue des standards des films de Miyazaki et Kondo, et on verse peut-être dans une émotion plus « brute » que pour les films du maître.
Du côté de la bande-son, que j’écoute régulièrement depuis septembre, on pense par contre beaucoup aux travaux de Joe Hisaishi,même si le compositeur Takatsugu Muramatsu a été choisi pour s’en distinguer. Notons également la participation de la chanteuse américaine Priscilla Ahn qui, contrairement à Cécile Corbel pour Arrietty, le petit monde des chapardeurs, n’a pas composé toute la bande-originale mais reste présente au générique dans une jolie balade qu’on entend dans le trailer. Elle a aussi composé un très joli album qui prolonge l’ambiance du film.
https://youtu.be/WD7eOgBp6UU
Souvenirs de Marnie tient plus d’Omoide Poroporo ou de Si tu tends l’oreille que de Princesse Mononoké ou du Château ambulant. Plus réalistes et introspectifs, ces films ont, certes, des séquences spectaculaires mais elles servent d’allégories et trahissent les troubles intérieurs de leurs héros.
La limite est toujours floue chez Ghibli entre rêve et réalité, mais on peut tout de même souligner une ligne plus épique chez Miyazaki et plus réaliste chez Takahata, bien que les deux se mêlent. Si le réalisateur Hiromasa Yonebayashi se plaçait plus dans la lignée du maître Hayao pour Arrietty et le petit monde des chapardeurs, son travail sur Souvenirs de Marnie le rapproche plus d’Isao Takahata ou du regretté Yoshifumi Kondo. Ces oeuvres, hélas, ont été traduites très tardivement (Le DVD de Si tu tends l’oreille vient à peine de sortir) et peinent à trouver leur public en France. Moins accessibles peut-être, car plus intimes, ils sont considérés à tort comme des films mineurs des studios Ghibli…
Pourtant, je dois le dire, ils font partie de mes favoris, et j’ai même eu vrai gros coup de cœur pour Marnie ! Aux débauches d’effets spéciaux épiques, je préfère la beauté du quotidien ; aux exploits héroïques et aériens de héros jeunes et purs, je préfère la sublimation d’une imagination au service de l’expérience intime de personnages, certes jeunes, mais déjà tourmentés.
Vous l’aurez compris, Souvenirs de Marnie, cette histoire en apparence simple et touchante, m’a prise aux tripes. Vu que le film a été un échec commercial au Japon, je ne peux que vous recommander d’y jeter un œil quand il sortira… Dans un monde idéal, ça suffirait à remettre Ghibli sur les rails, parce que dans ces studios, il n’y avait pas que Miyazaki qui avait du talent !
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Les Commentaires
C'est vraiment dommage qu'il n'ait pas marché. Mon copain n'a pas adoré, il a trouvé ça beau, mais il accrochait plus avec les Miyazaki un peu barrés. En fait il l'a trouvé long. Il a aimé la fin, mais il s'est un peu ennuyé... J'imagine qu'il faut aimer les longueurs, les développements psychologiques. En tout cas moi j'ai adoré, Marnie est intrigante et tu te poses plein de questions tout du long. Quand les réponses arrivent enfin, toi aussi tu as l'impression de te faire emporter par des vagues, comme Anna.
Du coup si vous avez l'occas' d'aller le voir, n'hésitez pas ! Il vaut tellement plus que le maigre succès qu'il a eu !