Dans le premier, il explique comment il vit sa surdité et dans le second, ses confrontations sociales. Il revient aujourd’hui sur son parcours. Et des choses ont changé depuis.
Tu peux trouver les deux précédents textes ci-dessous :
La vie a suivi son cours depuis mon premier témoignage, paru en 2014, et le second, en 2017.
À ces dates, je ne voulais pas envisager de solution me permettant de « mieux entendre ». Les choses ont évolué depuis.
Une surdité toujours assumée
J’aime rencontrer des gens et comprendre leurs histoires. Mais parfois, je perds patience lorsque mon interlocuteur parle vite.
Je suis satisfait de mes discussions avec les sourds mais je souhaite davantage approfondir mes relations avec les entendants, découvrir davantage la richesse de leur monde, partager davantage.
J’ai une soif insatiable de rencontres, je veux profiter aussi bien du monde des entendants que du monde des sourds.
La curiosité joue également un grand rôle. Bien que je ressente les ondes vibratoires, certains bruits m’échappent. J’ai envie de découvrir mes musiques, mes films favoris sous un nouvel angle, de remettre en question ma vision du monde.
Ce sont les fondements de ma réflexion concernant l’implant cochléaire, auxquels s’ajouteront d’autres éléments.
Choisir l’implant cochléaire pour soi
L’implant cochléaire est un appareillage auditif nécessitant une opération, qui peut permettre d’entendre de nouveaux sons.
J’ai mis presque une année entière à me poser les bonnes questions afin de prendre ma décision, en-dehors des pressions sociales.
Tout d’abord, de nombreuses personnes sourdes s’inquiètent de l’implantation de plus en plus fréquente chez les bébés sourds.
Le dépistage de la surdité chez le jeune enfant a lieu dès le premier mois. Si l’enfant s’avère être sourd, alors survient toute une batterie de tests se focalisant sur l’implantation, souvent au détriment de la transparence…
Lors de mes passages à l’hôpital et chez l’ORL, les médecins m’ont toujours poussé à me faire implanter, parfois avec insistance.
Je peux comprendre que le corps médical fasse des propositions mais ceci doit être fait en toute neutralité.
L’implant cochléaire, un choix ayant des impacts sociaux
Cette vague d’implantation peut aussi remettre en question la langue des signes.
Imaginons que tout le monde s’implante sans apprendre la langue des signes. Cette dernière serait-elle vouée à disparaître ?
La question mérite d’être posée, les réponses ne sont pas si évidentes. La technologie peut affaiblir tout comme elle peut renforcer.
Il y a également un enjeu social. Je citais dans mon premier article Bernard Mottez :
« Nous ne sommes pas handicapés, c’est la société qui nous handicape. »
Est-ce que c’est toujours aux sourds de s’adapter aux entendants ? Je ne crois pas ! Un sourd a le droit de ne pas choisir d’appareillage, c’est son choix.
Par ailleurs, je me suis également rendu compte que mes frustrations n’étaient pas toujours liées à ma surdité, mais à ma personnalité, à mon passif familial, à mon profil intellectuel…
J’ai entamé un travail personnel à ces niveaux.
L’implant cochléaire, un outil qui ne doit pas être unique
Je me ferai donc implanter en ce début 2019. L’implant sera pour moi un outil avant tout, qui ne doit pas être le seul.
Il va me permettre de redécouvrir certains sons et différemment. À 30 ans, je vais donc reprendre les cours avec l’orthophoniste, pour appréhender ce nouvel environment.
Par contre, j’ai posé mes limites dès le début, je ne m’acharnerai pas à reconnaître tous les bruits.
J’ai déjà un passif de plus de 15 ans d’orthophonie, avec des heures d’exercices ayant parfois lieu à la place de la récréation ou d’une deuxième langue vivante…
Ces cours m’ont permis d’arriver à une élocution orale proche des entendants, mais à un certain prix.
En effet, je cause tellement bien que les gens oublient ma surdité et parlent vite, m’obligeant alors à faire plus d’efforts en terme de lecture labiale !
Il m’arrive souvent de fermer mes appareils le soir après une dure journée de boulot (et son lot de réunions), pour communiquer uniquement en langue des signes.
L’importance de la langue des signes
L’implant cochléaire n’est pas la solution ultime, je resterai sourd. Les nouveaux sons perçus resteront mécaniques, la sollicitation mentale et la lecture labiale seront toujours là.
Donc j’espère que celles et ceux qui connaissent une personne implantée dans leur entourage feront toujours des efforts pour communiquer.
Du coup, de mon point de vue, la langue des signes n’est pas une option selon moi : c’est un complément obligatoire. Elle permet à la personne sourde de communiquer sans efforts, sans lecture labiale et sans sollicitation mentale.
Elle facilite l’apprentissage dès le plus jeune âge.
Elle sert de soupape de sécurité à l’épanouissement de la personne sourde ou malentendante.
À chaque solution technique, il devrait avoir des solutions complémentaires.
Il ne faut pas jeter l’opprobre sur la technologie. Bien qu’elle ne soit pas parfaite, elle peut amener son lot d’avantages… à condition de savoir s’en servir intelligemment !
La surdité possède plusieurs facettes
La langue des signes française (LSF) n’est pas toujours connue chez les sourds. Seulement 15% de la population dite « déficiente auditive » la maîtrise.
D’une part, elle n’est pas systématiquement enseignée durant le parcours éducatif de l’enfant sourd, il y a des cours en français oral/écrit mais pas en langue de signes.
D’autre part, les formations en-dehors du parcours scolaire sont rares et chères. Les personnes qui ont appris la LSF peinent parfois à trouver des moyens pour pratiquer cette langue.
La cause de cette faible accessibilité est surtout liée la pression sociale. Les écoles pour jeunes sourds étaient rattachées au ministère de la Santé, les professeurs privilégient l’oral sans pourtant connaître les signes de base.
Actuellement, les écoles pour sourds présentant un cursus totalement en LSF se comptent sur les doigts d’une main.
La langue des signes est aussi une jeune langue manquant de références (peu de livres de syntaxe par exemple…).
En effet, elle a toujours existé mais la normalisation n’a commencé qu’à partir du XVIIeme siècle et continue encore maintenant.
La langue des signes difficilement accessible
Ces facteurs font que beaucoup de personnes pratiquent leur propre version de la langue des signes, apprise au fil des rencontres.
Les interprètes font souvent un gros travail d’adaptation en fonction du niveau en langue des signes de leur interlocuteur.
À cause de ce constat, de nombreuses personnes sourdes envisagent uniquement l’implant.
Selon eux, la langue des signes n’est pas un facteur d’intégration mais d’exclusion. Or le problème n’est pas la langue en elle-même, mais le manque de moyens et la fixation de la société sur la norme et la réparation de la surdité.
Il existe de nombreuses personnes sourdes pratiquant uniquement la langue des signes, qui ont un parcours de vie plein de réussite, tout comme de nombreuses personnes sourdes oralistes, ou malentendantes.
https://www.youtube.com/watch?v=ZKSWXzAnVe0
Une diversité au sein de la communauté sourde
La surdité est une différence parmi tant d’autres, englobant tout un tas de profils différents comme ceux évoqués dans le premier article : sourds pratiquant la langue des signes, sourds pratiquant le français signé, sourds oralistes, malentendants, sourds LPCistes* (*language parlée complétée : cette langue permet d’associer un phonème à un signe, donc à mi-chemin entre la langue orale et la langue des signes).
Cette diversité n’est pas forcément acceptée chez tous les sourds, entraînant une forme de communautarisme.
Lors de la journée du handicap, une étudiante en journalisme sourde a pu participer à une présentation télévisée en parlant normalement. Cette présentation a fait des débats au sein des gens pratiquant la LSF !
Certains la voyaient comme un animal de cirque exhortant les vertus de l’oralisme, certains ne la considèrent pas comme une personne sourde ….
Il y a donc une dictature de la norme « sourde » au sein même d’une communauté considérée comme « hors-norme » dans la société ?
De nombreuses personnes oscillent culturellement entre le monde des sourds et le monde des entendants, c’est un droit et ceci ne signifie pas une perte d’identité mais une identité plurielle, dépassant le cadre physiologique de la surdité (perte de perception auditive).
J’ai même quelques amis entendants pratiquant la langue des signes qui sont plus à l’aise au sein de la communauté sourde, et à l’inverse je connais des personnes sourdes plus à l’aise parmi les entendants.
Bien sûr, il peut y avoir des difficultés en termes d’identité, d’où la nécessité d’approcher les deux mondes et de trouver son équilibre personnel.
La nécessité d’un monde solide mais moins binaire
Ma propre expérience personnelle ainsi que la littérature m’ont permis de voir le monde d’une manière plus nuancée et moins sujet aux stéréotypes. J’adore comprendre tous les points de vue afin de me forger ma propre opinion.
Certains avis ou actions sont parfois considérés extrêmes, mais sont nécessaires pour faire avancer la société et bousculer les lignes.
Sans extrême, on arriverait à un statut quo. On a donc besoin de tout.
J’invite les gens à un esprit de tolérance et diversité, à voir au-delà des stéréotypes et à agir comme ils le sentent, en adéquation avec leurs valeurs.
Les choses évoluent dans le temps, tout comme les idées.
Chaque sourd doit avoir le droit de choisir sa ou ses méthodes de communication lui permettant de s’épanouir en société, en dehors de l’oppression sociale.
Chaque alternative se devant être transparente et fiable, tout en sachant qu’il n’y a pas d’option exclusive ou de solution parfaite.
La langue des signes et ses autres formes se doivent d’être accessibles à tous et toutes.
https://www.youtube.com/watch?v=Br5UNhteh-Qx
À lire aussi : J’ai testé pour vous… être malentendante
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