« Le gynécologue m’a simplement dit ‘ah oui, vous avez un aspect SOPK. Continuez d’essayer, et si ça ne marche pas, je vous donne le numéro de la PMA de l’hôpital’. Je n’ai eu aucune solution alternative, on ne m’a presque rien expliqué ». Flora, 28 ans, est atteinte du syndrome des ovaires polykystiques. Après des mois d’errance médicale et de symptômes douloureux comme de l’acné, des cycles longs et des difficultés à tomber enceinte, la jeune femme a fini par obtenir un diagnostic, livré brutalement par un médecin peu averti.
Comme Flora, une femme sur 10 dans le monde est concernée par le SOPK. Loin de se limiter à des cycles irréguliers ou à un trouble de la fertilité – qui concerne au moins 50% des patientes – ce syndrôme est à la fois reproductif, central, endocrinien, psychologique et métabolique.
Selon les femmes et leur parcours, ces symptômes varient en nature et en intensité. Parfois jusqu’à des cas graves avec des risques cardiovasculaires ou psychologiques : des chercheur·euses ont démontré que le taux de tentatives de suicide est jusqu’à 7 fois plus élevé chez les femmes atteintes. Vu l’ampleur du problème, on penserait que la recherche pour un traitement définitif est une priorité internationale. Sauf que non : on propose seulement de masquer certains symptômes.
Comment expliquer cette réponse, alors qu’au moins 380 millions de personnes sont concernées ? Les causes sont variées, entre le manque de financement de la recherche et les difficultés à soigner un syndrome aussi complexe. Mais aussi parce que le SOPK est traité avec un double biais sexiste.
Des souffrances minimisées
« De façon générale, tout ce qui touche à la santé de la femme est déjà marginalisé, un peu sous-étudié. » C’est le constat de Dr. Nour Mimouni, neuroendocrinologue spécialiste du SOPK qui collabore avec l’Inserm à Lille et l’université Columbia à New-York. Son observation est loin d’être isolée. Dans l’ouvrage Mauvais traitements, Delphine Bauer et Ariane Puccini exposent comment la santé des femmes est négligée par la science : les médicaments sont rarement pensés pour elles, mal prescrits, et peuvent même avoir des conséquences néfastes, comme dans le cas du Médiator ou du Levothyrox.
L’enquête démontre comment les souffrances des femmes sont minimisées par une grande partie du corps médical. Le SOPK ne fait pas figure d’exception : les personnes concérnées étant majoritairement des femmes cis (des hommes trans et des personnes non-binaires avec ovaires peuvent aussi être touché·es), cette maladie est traitée avec sexisme. Pour de nombreuses patientes, cela se traduit notamment par une errance médicale et un manque d’écoute.
C’est ce qu’a vécu Flora, 28 ans, diagnostiquée il y a deux ans quand elle a arrêté la pilule par désir d’enfant. Alors qu’elle a développé d’un coup des symptômes majeurs du SOPK, elle a pourtant dû batailler pour obtenir un diagnostic :
« Mon médecin traitant m’a dit de ne pas m’inquiéter, et qu’on ne faisait pas de démarche avant deux ans. Mais je m’étais renseignée au préalable sur Internet, j’avais vu que ça correspondait au SOPK. J’ai décidé de prendre rendez-vous à l’hôpital avec un gynécologue. Encore une fois, on m’a dit que, non, tout allait bien. Donc j’ai forcé pour avoir une échographie. C’était en février 2021, j’avais arrêté la pilule en juin 2020 ».
Flora, 28 ans.
La détermination de Flora paye : elle obtient une réponse, mais aucune solution ni explication.
Désormais en assistance à la procréation, Flora constate un parcours ponctué de réflexions « assez mal placées » du corps médical, avec très peu de soutien psychologique : « Personne ne m’a conseillé de groupe de parole ou de spécialiste pour m’aider ». Elle déplore également que de nombreuses patientes soient diagnostiquées seulement quand elles essayent d’avoir un enfant : « A 20 ans, ça pourrait être un examen de routine gynécologique de consulter notre AMH et nos ovaires, ça ne coûte rien. Ça ferait gagner beaucoup de temps à beaucoup de femmes. »
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Sois mère et tais-toi
Si la prise en charge du trouble de la fertilité est perfectible, il reste le symptôme le plus traité du SOPK, via la stimulation ovarienne par cachet, la chirurgie ou les parcours FIV et AMP (aide médicale à la procréation, nouveau nom donné à la PMA). Pour les autres conséquences, on cherche plutôt à les masquer avec des traitements inégaux, parfois dangereux.
Par exemple, pour apaiser l’hyperandrogénie, qui touche 70% des patientes et peut entraîner une acné sévère, de l’hirsutisme ou la chute des cheveux, les médecins proposent de prendre la pilule, de l’Androcur, ou « d’adapter l’hygiène de vie ». Sauf que toutes les patientes ne supportent pas la pilule : une étude suédoise vient par exemple de démontrer que les femmes adultes sous pilule avaient 92% de risques en plus de faire une dépression. Pour l’Androcur, ce médicament peut causer des tumeurs au cerveau, malignes dans 30% des cas, comme le rappelle l’ouvrage Mauvais Traitement. Pour les changements d’hygiène de vie, efficaces quand ils sont personnalisés, ils sont souvent suggérés sans accompagnement médical ou psychologique. Laissant les femmes désemparées et culpabilisées, voire en danger.
Cette négligence pour les symptômes autres que l’infertilité est-elle due à une vision archaïque de la féminité, valorisée uniquement à travers la maternité ? « Aujourd’hui, on a vraiment une concentration de l’attention sur la fonction reproductive. C’est un constat partagé par les gens qui s’intéressent au sujet, les spécialistes avec qui on travaille et les associations de patientes. » affirme Clara Stephenson. Cette ancienne avocate atteinte du syndrome a créé Solence, un programme d’accompagnement digital basé sur la médecine du mode de vie pour atténuer le SOPK.
Kelly Lescure, présidente de l’association SOPK Europe, appuie : « Effectivement, ce biais entre en jeu. Jusqu’à récemment, la femme était vue comme l’objet de la procréation, donc on va appuyer sur ça ». Cette concentration de l’attention sur la fertilité des patientes, malgré un éventail de symptômes largement documentés et mal pris en charge, illustre que les femmes sont ramenées à leur fonction reproductive. Une vision essentialiste qu’on penserait dépassée en 2023, qui nie la diversité des femmes, de leurs désirs et de leurs souffrances, parfois mortelles : rappelons que les maladies cardio-vasculaires, notamment favorisées par le SOPK, sont la première cause de décès féminins en France.
Autre double standard : si l’assistance à la procréation est heureusement remboursée, les autres soins directement liés au SOPK – suivi psychologique, produits anti-acné, pilule…- ne le sont majoritairement pas. Pour Kelly Lescure, « Encore une fois, ce qu’on inculque à la patiente c’est : vos traitements ou vos rendez-vous ne sont pas remboursés parce qu’on considère que ce n’est pas grave. Pour les symptômes psychologiques, qu’une thérapie ne soit pas prise en charge alors qu’on sait très bien qu’il y a une prévalence aux troubles anxieux, dépressifs, et aux tentatives de suicide, c’est vraiment dire que ce n’est pas suffisamment important ».
Cette inégalité de financement indique que la société accorde plus d’importance à la capacité des femmes à enfanter, qu’à leur bien-être psychologique.
Le défi scientifique est réel
Ce double biais sexiste (négligence de la santé des femmes et concentration sur la maternité) affecte la vie des patientes et ralentit la recherche d’un traitement curatif. Mais Kelly Lescure, Clara Stephenson et Dr. Nour Mimouni soulignent que, lentement, le corps médical s’investit : « Le programme de médecine a un peu évolué. À l’époque c’était très protocolaire, aujourd’hui c’est plus complexe. C’est encore mince, mais la jeune génération de médecin est très curieuse sur les questions de santé féminine, donc on observe du mieux. » constate la présidente de SOPK Europe. Il y a aussi un engagement chez des pionniers, comme le Dr. Paolo Giacobini qui dirige les recherches de l’Inserm, Prof. Catteau Jonard et Prof. Didier Dewailly au CHU de Lille, ou l’endocrinologue Prof. Michel Pugeat, qui soutient notamment Solence.
Malheureusement, un obstacle de taille demeure : les scientifiques qui se mobilisent pour traiter le SOPK constatent que c’est une maladie extrêmement complexe. « La difficulté des syndromes comme celui-ci, avant même de trouver un traitement, c’est de comprendre quelle est la cause de la maladie. C’est ce que nos recherches essayent de mettre en lumière. Je pense que ça pourrait répondre à beaucoup de questionnements et aider à personnaliser les diagnostics et les traitements. C’est un challenge que le corps médical et les chercheurs essayent de relever, mais ça n’est pas facile » détaille Dr. Nour Mimouni.
Selon la neuroendocrinologue, il faut absolument une coopération transdisciplinaire pour étudier au mieux le SOPK. Donc réunir des endocrinologues, des diabétologues, des psychologues… Pour ça, il faut de l’argent, mais comme l’explique la scientifique, le manque de financement dans la recherche française freine l’étude de problèmes qui nécessitent une approche pluridisciplinaire. Les chercheur·euses doivent donc s’adapter et limiter les collaborations avec d’autres spécialistes. Une situation qui doit évoluer, car comme le résume Kelly Lescure : « Avoir un traitement curatif plutôt que suspensif du SOPK, ça demande de l’investissement dans la recherche. Ça prendra peut-être dix, quinze ou vingt ans. Mais si on ne le fait pas, ça en prendra trente ».
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Les Commentaires
Suite à ça, on m'a fait une échographie et des analyses de sang. Je n'ai pas le SOPK, mais j'ai des petits ovaires, et j'ai un taux de testostérone trop élevé. Je suis donc sous androcur depuis que j'ai 17 ans (aujourd'hui j'en ai 42) en plus d'une pilule. Les poils ont bien diminué. Les règles, elles vont elles viennent. Là, ça fait environ une dizaine d'année que je ne les ai pas vues et ça ne me manque pas...
J'ignore si je peux ou pas avoir des enfants mais comme ni mon mari ni moi n'en voulons, ce n'est pas grave... même si j'avoue que je me pose la question : je n'en veux pas, c'est bien mais si je changeais d'avis, est-ce que je pourrais en avoir ?