Madmoizelle. Comment est venue l’idée de ce documentaire ?
Sophie de Chivré. Fin 2017, j’étais enceinte de cinq mois quand j’ai appris que ma petite fille avait une malformation cardiaque qui ne pourrait être soignée. Trois ans plus tard, j’ai lancé Au Revoir Podcast et Anaïs a vécu son IMG quelques semaines après. En cherchant des témoignages, elle est tombée sur le podcast et m’a contactée. On a eu envie de faire un documentaire sur l’IMG en premier lieu pour rompre la solitude des personnes qui le vivent. Ces histoires individuelles entrent toutes en résonance les unes avec les autres. C’est précieux de se reconnaître dans les mots des autres parce que parfois, les mots, on ne les a pas. Voir ces femmes, qui ont vécu une IMG il y a quelques années, toujours debout, permet aussi d’avoir un peu d’espoir.
À lire aussi : « Un deuil de projections, un deuil de rêves » : la souffrance des mères qui vivent un deuil périnatal
Beaucoup de gens ignorent ce qu’est une IMG. C’est une décision difficile qui nécessite réflexion et qui n’a rien d’un caprice ?
On se rend compte à quel point l’IMG est méconnue, alors qu’elle est pourtant inscrite dans la loi Veil depuis 1975. Nous avons voulu décrire le processus, cette temporalité très particulière dont les gens n’ont pas conscience et montrer effectivement que ce n’est pas un caprice ni une solution de facilité. En France, on peut prendre deux directions quand on voit que le fœtus est atteint d’une pathologie d’une particulière gravité et incurable au moment du diagnostic : soit on poursuit la grossesse, soit on décide de l’interrompre. C’est précieux d’avoir ces deux possibilités. Même si c’est bien souvent une décision de couple, il faut respecter ce que les femmes décident, car c’est de leur corps dont il s’agit et parce que c’est aussi un deuil qu’on vit dans notre corps. Encaisser l’annonce du diagnostic alors que tu sens ton bébé bouger est extrêmement violent et prendre cette décision pour le bébé à naître est un déchirement complet… Mais c’est vraiment une manière de l’accompagner de la façon qui nous semble la plus juste pour lui et pour nous.
C’est un choc quand ces mères découvrent qu’elles vont devoir accoucher. Donner vie à un bébé qui est mort est impensable pour beaucoup…
C’est complètement antithétique. Quand cela m’est arrivé, je ne comprenais pas comment ça allait se passer concrètement, j’imaginais peut-être que j’allais être endormie. On m’a alors expliqué que ce serait « un accouchement par voies basses, comme n’importe quel accouchement ». Pour moi, ç’a été un décrochage complet : je me suis dit « mais pourquoi on m’inflige ça ? ». Dans le film, nous avons voulu montrer que notre psychisme a besoin de remettre les choses dans l’ordre et que, quand on est dans une telle sidération, à trop se précipiter, on risque de faire les choses sans bien prendre conscience de ce qu’on vit. Trois semaines environ sont passées entre le diagnostic et mon accouchement. Ce temps a été extrêmement précieux. J’avais besoin de me dire que je n’étais pas uniquement spectatrice de ce qui arrivait, mais aussi actrice. Je ne regrette absolument pas d’avoir accouché par voies basses parce que paradoxalement, c’est devenu un beau moment.
Comment dit-on au revoir à son bébé ?
Il n’y a rien de figé. On nous a expliqué ce qu’il était possible de faire, donner un prénom au bébé sur le moment, le voir ou pas… Au début, on ne savait pas si on le ferait, et puis, petit à petit, je me suis réapproprié tout cela et j’ai dit à mon mari que j’aurais besoin de la voir, et que lui ferait comme il voudrait. Nous avons vu notre petite fille tous les deux et cela nous a permis de ne pas avoir que de la douleur. Il y a des couples qui ne le feront pas et d’autres qui ne pourront pas. Il y a plein de manières de faire, et pas seulement dans une salle d’accouchement, cela peut être des au revoir plus symboliques, longtemps après.
Et puis vient l’épreuve supplémentaire, le retour à la maison avec ce « berceau vide »…
C’est une étape qui est très violente pour toute personne qui vit un deuil périnatal. On a l’impression que c’est « retour à la case départ ». Comme si tu n’avais jamais été enceinte. Comme si tout est fini parce que tu as accouché. Et non, rien n’est fini et au contraire, c’est autre chose qui commence. Un no man’s land. C’est le retour à une réalité où les gens continuent leur vie et toi, tu es en post-partum, sans bébé dans les bras. C’est une violence d’être confrontée au silence des autres et au manque d’accompagnement.
C’est aux parents de faire exister ce bébé aux yeux des autres ?
Dans le regard de beaucoup de monde, tu passes de maman ou de future maman à rien du tout. Quand tu es enceinte, l’attention est dirigée vers la grossesse et le bébé et là, d’un coup, tu n’as plus ton ventre, il n’y a plus de grossesse et plus de bébé ! Le vide. Il s’agit donc aussi de faire exister ta peine et de rendre légitime ce qui pourrait sembler presque illégitime aux yeux des autres : la durée du chagrin, du deuil, le fait que tu es en post partum. La chute d’hormones quand tu es en deuil, c’est très compliqué. Et puis, tu as l’impression que les gens ne parlent pas du bébé parce qu’ils n’y pensent pas, mais souvent, ils y pensent et ne savent pas comment t’en parler… Nous avons toutes vécu des situations horribles à cause de la maladresse des gens, que ce soit dans la sphère pro, amicale ou familiale.
Justement, quels conseils donner pour accompagner une amie, une sœur, une collègue qui vit un deuil périnatal ?
Il n’y a pas une seule façon d’accompagner le deuil. Les soignants le disent : il faut toujours s’ajuster et s’adapter aux personnes en face, et c’est pareil quand on est un proche. Le plus important, c’est de ne pas fermer les yeux et de ne pas se boucher les oreilles. Cela peut être dur de se confronter à la peine de quelqu’un, de le voir pleurer, de dire ces mots à haute voix, en face à face… mais un message, ça ne demande pas un courage énorme ! On peut simplement lui écrire : « je suis là et je pense à toi ». Et être vraiment là.
Un message à celles qui ont dû affronter cette épreuve ?
Quand on vit ça, on se dit « mais qu’est-ce que j’ai fait ? », « pourquoi moi ? ». On se retrouve vraiment plongée dans une solitude énorme et c’est un événement de vie qui fait rupture : on n’est plus jamais la même après. Je leur dirai donc « vous n’êtes pas seules » : nous sommes des milliers à l’avoir vécue et nous sommes toujours là. Il ne faut pas hésiter à aller chercher de l’aide et à se faire accompagner si on en ressent le besoin. On a toutes besoin de choses différentes et le plus dur c’est de trouver ces ressources : n’hésitez pas à nous écrire ou à contacter d’autres femmes qui font un travail de sensibilisation sur le deuil prénatal sur Instagram, car cette entraide existe.
Comment la société peut-elle évoluer sur le sujet ?
À partir du moment où la société décrète qu’il ne faut pas évoquer le deuil périnatal, car c’est trop effrayant, on entretient le tabou. C’est vraiment une question de santé publique : il faut prendre conscience du fait que c’est l’intégrité corporelle et psychique des femmes qui est en jeu. Selon moi, il y a vraiment un enjeu féministe parce que l’IMG se passe quand même dans le corps des personnes qui portent le bébé. Si on ne s’y intéresse pas, ça veut dire qu’on laisse sur le côté de la route des femmes qui vivent des choses extrêmement dures. Mais encore faut-il, pour ne pas projeter des choses fausses sur l’IMG et le deuil périnatal, connaître la vérité de celles qui l’ont vécu. Il faut donc non seulement les laisser parler mais surtout les écouter.
*« Le berceau vide » à retrouver jusqu’au 16 novembre en replay sur France.tv
Pour témoigner sur Madmoizelle, écrivez-nous à :
[email protected]
On a hâte de vous lire !
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires