La société chargée d’assurer le service du déjeuner au sommet international sur la sécurité nucléaire nous a fourni un cas d’école, permettant d’analyser trois préjugés sexistes très répandus.
Le traiteur a préféré une équipe exclusivement masculine pour assurer le service du déjeuner servi lors du sommet international sur la sécurité nucléaire qui s’est tenu à La Haye les 24 et 25 mars. Jusque là, pas de souci. Peu importe le genre des serveurs, n’est-ce pas ?
Ce qui est problématique, ce sont les raisons de ce choix avancées par le patron de la société, Hans van der Linde, rapportés par The Independent :
- Recruter des femmes et des hommes n’aurait pas permis d’avoir une équipe d’apparence « uniforme ».
- La présence de femmes aurait pu être une distraction pour les chefs d’États.
- Il n’aurait pas été « pratique » de confier le service à des femmes (en robes courtes) car il y avait des escaliers raides à franchir.
Ces raisons présentées en toute bonne foi par le responsable de la société de traiteur ne sont pourtant pas justifiées par le pragmatisme ou le respect de la tranquillité des délégués : elles reposent sur des préjugés sexistes.
Le corps féminin n’est pas neutre
Le premier problème soulevé par Hans van der Linde est celui de « l’uniformité » de l’équipe assurant le service. C’était une consigne passée par la société responsable de l’organisation du sommet, ProtocolBureau. Il fallait effectivement que le service soit le plus discret possible. Notons qu’on peut tout à fait organiser un service discret sans avoir nécessairement recours à une armée de clones. Ce qui est d’ailleurs tout sauf discret.
« Eau plate ou gazeuse pour vous monsieur ? »
La société de traiteur a donc préféré recruter uniquement des hommes sur ce critère : s’il y avait eu des hommes et des femmes, les femmes auraient « détoné ». Surtout si elles avaient été blondes, et « belles », n’est-ce pas M. van der Linde :
« Le personnel devait être le plus discret possible, cela n’aurait pas été possible en ayant quelques jeunes femmes remarquables dans le lot. »
Ce que cette logique sous-entend, c’est l’idée que le corps féminin n’est pas neutre. Il est nécessairement « remarquable », « conspicuous » selon les mots du directeur van der Linde. Alors que les hommes, eux, sont neutres.
Qu’est-ce qui justifie cette différence ? Pourquoi les femmes seraient-elles par nature remarquables, et les hommes, neutres ?
Le corps féminin est une distraction
Ce deuxième préjugé découle assez naturellement du premier : le corps féminin n’étant pas neutre, il présente un risque de distraction pour ces messieurs, qui pourraient être davantage sensibles aux atouts de ces dames qu’aux petits caractères des accords internationaux qu’ils sont en train d’élaborer :
« Tout est pris en considération pour l’organisation de ce genre d’événements. Y compris ces choses-là »
, a déclaré Jean Paul Weijers, le directeur de Procotolbureau, la société en charge de l’organisation du sommet. « Ces choses-là » fait référence au risque de « distraction » inhérent à la présence de femmes au service.
Peut-on lister tous les points problématiques dans ce raisonnement ?
Il renforce l’idée que le corps féminin est sexualisé en toutes circonstances. Alors qu’une femme devrait pouvoir exercer une activité professionnelle (ici, du service) sans être ni suspectée de séduction permanente, ni être considérée comme séductrice juste parce qu’elle vous apporte votre déjeuner en souriant.
Les hommes devraient pouvoir travailler en présence de femmes sans la suspicion d’être constamment esclaves de leurs prétendues « pulsions ».
Et notons au passage que l’organisation ne se préoccupe absoluement pas d’une potentielle distraction engendrée par la présence de jeunes éphèbes qu’on agiterait sous le nez des — rares — femmes présentes dans la délégation ! Soit Angela Merkel et les quelques autres déléguéEs présentes n’ont pas été considérées comme des femmes, soit les femmes de pouvoir sont si peu nombreuses qu’elles ont été jugées quantité négligeable. Les deux, très certainement…
Les robes courtes ne sont pas « pratiques »
Ah, enfin, nous tombons d’accord sur un point du bon sens le plus élémentaire : monter et descendre des escaliers chargée de plateaux, en portant une robe courte (qu’on imagine assortie à des talons), ce n’est pas pratique.
Merci, Captain Obvious !
Mais pourquoi les femmes devraient-elles nécessairement porter des robes courtes ? Voyez-vous le cercle vicieux qui s’esquisse en réponse à cette question éminemment rhétorique ?
Si les femmes ne peuvent assurer le service qu’en robe (courte), cela contribue à les sexualiser. Elles ne sont alors plus « neutres », et présentent donc un risque de « distraction » pour ces messieurs, ce qui justifie alors d’écarter les femmes lors du recrutement du personnel de service.
La solution ? Et si par « uniformité », la société organisatrice avait tout simplement entendu « le port du même uniforme » ? Hommes et femmes auraient pu porter la même tenue de travail, à savoir pas une robe (courte) pour les femmes, mais un ensemble chemise/pantalon identique à celui des hommes.
Mais ce raisonnement impliquerait alors de considérer que les hommes et les femmes sont des individus, avant d’être soit des hommes (neutres mais soumis à des pulsions) soit des femmes (nécessairement sexualisées et donc « distrayantes » pour la gent masculine ).
Serait-ce vraiment si difficile d’abandonner ce raisonnement sexiste ?
Pour aller plus loin :
- Women Weren’t Allowed to Serve Lunch at This Nuclear Summit — Here’s the Insane Reason Why, PolicyMic
- Stairs or sexism? Why men served lunch at the Hague, Channel4
- A serious affair: why are women not allowed to serve lunch at the Nuclear Security Summit in the Hague?, The Independent
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Les Commentaires
Non sérieux la ?