Ne faites pas les innocentes : je parie mon intestin grêle que nous avons toutes un jour été le troll de quelqu’un. Certaines de façon plus pertinente que d’autres, certes* mais nous avons toutes un jour connu ce besoin irrépressible de saisir héroïquement notre clavier et de rabattre le caquet de la pauvre cruche qui a osé écrire ce truc trop naze. Non mais QUOI, elle dit que les mariages princiers c’est lourd ?! Bordel, mais elle se fout de l’information !
Bref : je ne vais pas vous refaire la typologie proposée par notre Pr Freckles chéri, je suis sûre qu’elle est gravée dans nos petites têtes jusqu’à la fin des temps des internets. Mais que se passe-t-il donc dans nos petits cerveaux détraqués ?
Moi Jane, toi Tarzan : pourquoi nous ne lisons pas ce que l’auteur a écrit…
Je n’accuse personne de survoler, la nuance est ailleurs : lorsqu’un auteur écrit son article (ou lorsque vous écrivez un mail/un commentaire), il le fait dans un certain contexte, avec certaines pensées et grâce à ses propres références. De la même manière, celui qui va lire cet article (ou mail, ou commentaire) va le faire avec ses idées à lui, ses références, son cadre de pensées…
Kruger, Epley, Ng & Parker (2005) se sont penchés sur nos façon de transmettre des messages lorsque nous envoyons des mails. Au travers de cinq expérimentations, les participants doivent envoyer des messages rédigés avec l’intention de transmettre le sarcasme, le sérieux, la tristesse, la colère et l’humour. Par la suite, ils doivent évaluer si celui qui lira le mail va pouvoir reconnaître l’intention. De même, les personnes
qui lisent le mail sont invitées à donner l’intention des messages, ce qui permet aux chercheurs de comparer les évaluations des émetteurs et des récepteurs du message.
Loin de moi l’idée de dire qu’on ne comprend vraiment rien à rien, mais manifestement nous surestimerions largement nos capacités à communiquer. Ce constat s’applique à chacune des expérimentations : les trois premières montrent que nous avons beaucoup trop confiance en nos capacités à transmettre le sarcasme, le sérieux, la colère et la tristesse ; la quatrième indique que cette surestimation de nos capacités pourrait provenir de notre égocentrisme (si je comprends, alors tout le monde comprend). Quant à elle, la dernière expérimentation explore une émotion particulièrement difficile à transmettre, l’humour, et vient confirmer que nous semblons être fermement convaincus de la justesse de nos propres écrits : si je trouve ça drôle, le monde entier va s’esclaffer.
Admettons que nous appliquions tout ça à ce que l’on peut trouver sur madmoiZelle : j’écris un article en faisant une super blague et je me dis que putain, vous allez trop rigoler. En vérité, je serai la seule à trouver ça drôle, et vous n’esquisserez pas même un mini-sourire. Le processus peut être exactement le même lorsque vous irez poster votre commentaire : vous pourrez le faire avec les meilleurs intentions du monde, il y aura toujours quelqu’un dans l’assemblée pour 1/ au mieux de ne pas le comprendre, 2/ vous dire que vous êtes un sombre connard. Nous pouvons tenter de dire les choses de façon la plus neutre possible, quelqu’un pourra toujours se sentir attaqué. Même chose lorsque l’on décide de poster un gif innocent de type Man vs Wild (wild étant en l’occurrence une araignée) : si 60% d’entre nous ont pu en rire, on trouvera toujours quelqu’un pour en être horrifié.
Somme toute, nous nous focalisons trop sur notre propre expérience et ne prenons pas assez en considération le point de vue éventuel de l’autre, la perspective de celui qui va nous lire. Il suffit simplement que nous ne soyons pas dans le même contexte que celui qui écrit pour le recevoir autrement (ce paragraphe aurait aussi bien pu être conclu par : on n’est pas sortis de l’auberge, les nanas).
Incompréhension aggravée : intensité émotionnelle et perte de repère
L’incompréhension augmenterait avec l’intensité émotionnelle du message. Pour le psychologue social A. Joinson (2001), l’explication se trouve du côté de la présence sociale : par ordinateurs interposés, les indices de cette présence diminuent. Nous ne pouvons trouver ni geste, ni mimique… Quand on lit un texte, nous n’avons ni le contexte dans lequel l’a écrit l’auteur, ni ses intonations. Pour peu que vous parliez à haute voix en écrivant vos commentaires (comme je parle à haute voix en écrivant mes articles – BONJOUR), vous aurez la ferme impression de transmettre jusqu’à vos plus petites mimiques, vos haussements de sourcils et autres œillades et n’aurez absolument pas conscience que vos interlocuteurs pourraient mal interpréter ce que vous dites.
Par ailleurs, a priori, nous n’avons pas d’informations sur la position et le statut de l’émetteur du message, nous sommes nous-mêmes des anonymes, nous ne connaissons pas les interactions et événements qu’il y a pu avoir antérieurement, et personne n’est là pour nous réguler immédiatement… Ajoutons à cela le sentiment d’une certaine « pression » (sur internet, les choses vont particulièrement vite et si l’on veut réagir, on doit le faire dans l’instant) et nous deviendrions ainsi beaucoup plus susceptibles que lorsque la présence sociale est forte.
Des expériences comparant des comportements en groupes « face à face », en groupes de
discussions simultanée (type « chat », « msn » et cie) et lors de communication par mail confirment ces observations et indiquent en effet que nos interactions, nos participations sont différentes lorsqu’elles sont numériques. La coordination deviendrait complexe à la fois du fait de cette absence d’informations sociales et d’une dépersonnalisation (pas de communication non verbales, pas de normes).
L’important pour une communication paisible et pour éviter les e-conflits stériles tiendrait donc là : arrêtons donc de regarder notre petit nombril. Non, une blague sur les instits de maternelle de Bourg-en-Bresse n’a pas été écrite spécialement pour vous enquiquiner, même si la tante par alliance de votre cousin justement est instit’ de maternelle à Bourg-en-Bresse. L’égocentrisme vient mettre le bordel dans les communications numériques : LUTTONS mes soeurs et pensons aux pauvres âmes qui ont voulu bien faire dans leurs messages.
Et que personne ne me dise qu’on peut régler tout ça avec un smiley heureux : tout le monde sait bien que les remarques les plus perfides ont un smiley souriant à la fin. Comme si ça pouvait faire passer la pilule.
* Et je ne suis pas sûre que gueuler virtuellement « mais vous êtes une bande de paranoïaque neu-neu » sur un blog de droite extrême soit très pertinent, mais on a les expériences que l’on peut.
Pour aller plus loin
– When what you type isn’t what they read – un article de N. Epley et J. Kruger
– Expérience sur les emails
– La formation de normes de groupes sur les communications par ordinateur
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
Vends-les en pièces détachées
On les découpera ensemble, si tu veux bien