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Les soldes, nouvel opium du peuple ? — Le Petit Reportage

Ça y est : le coup d’envoi des soldes d’été 2013 est lancé ! La course aux remises est enfin ouverte. Au delà de la frénésie de la bonne affaire, interrogeons ce phénomène de société… et ce qu’il révèle de politique sur nos façons de consommer.

Les soldes, période cyclique de réduction des prix des articles invendus, ont été créées pour favoriser un écoulement accéléré des marchandises en stock. Fixées dans chaque département par les préfets, les dates des soldes saisonniers (hiver + été) s’étendent sur une durée maximale de 5 semaines chacun.

Véritable événement festif, les soldes bénéficient à chaque édition d’une large couverture médiatique, ce qui en fait un « marronnier de la presse » (autrement dit, un sujet traité chaque année à la même période) au même titre que les courses de rentrée des classes, Noël et les embouteillages sur l’autoroute du Soleil lorsque les Français-es partent massivement en vacances.

Si au premier coup d’œil, les soldes peuvent nous sembler être une intéressante opportunité de pouvoir d’achat élargi pour la population, que renseigne exactement l’engouement pour ces périodes de l’année frisant l’hystérie ? Faut-il se réjouir qu’un tel événement suscite autant d’attention et d’allégresse ?

Parce que les beaux jours sont arrivés tardivement cette année, le marché du vêtement a enregistré une chute de 4% depuis janvier. Sans grande surprise, les commerces ont donc offert dès l’ouverture des soldes ce matin des rabais dignes des deuxièmes démarques.

Une ambiance volontairement sportive et stressante

Rien de neuf sous le soleil : la science du marketing ne laisse rien au hasard en matière de séduction du consommateur. Pour pousser à l’achat, les publicitaires ont ainsi recours à plusieurs stratégies relevant de la psychologie.

Parmi elles, l’art de jouer sur le pouvoir émotionnel du produit. En effet, la décision d’achat, bien souvent davantage guidée par l’émotion que par la raison, peut se voir précipitée par un sentiment d’anxiété. Anxiété de voir le produit acheté par un-e autre, peur de regretter de ne pas avoir su profiter d’une remise

Prenons un exemple concret : quand vous essayez cette paire de talons griffés à moins 70%, c’est potentiellement moins le fait qu’elles sont légèrement trop petites pour vous que la crainte du remords de ne pas avoir profiter d’une bonne affaire qui vous guidera dans votre rationalisation de la situation. Voilà pourquoi nous sommes tant à avoir dans nos garde-robes des vêtements… pas chers, mais aussi pas tout à fait à la bonne taille.

Pendant les soldes, les vendeurs travaillent en flux tendu. Exit les salutations de politesse à l’entrée et les bonnes manières entre les rayons : les consommateurs affluent, les cabines d’essayage sont sens dessus dessous et les piles de vêtements dégringolent pendant qu’une musique généralement bien trop forte couvre les brouhahas des clients qui pensent à voix haute. Cette ambiance sportive n’est pas sans jouer sur le consommateur séduit et avide de prix cassés. Si les plus réfractaires au shopping se décourageront et rebrousseront chemin, la majorité des clients, elle, sera à l’inverse stimulée par l’envie d’acquérir absolument.

L’égo, moteur à achats compulsifs

En temps de crise, voir son pouvoir d’achat soudainement renforcé remonte le moral des consommateurs.

Pour le sociologue Nicolas Guéguen

, l’excitation des bonnes affaires présente un « effet starting block », de nombreux Français allant jusqu’à prendre un RTT pour profiter de l’ouverture des festivités. Pour cause :

« Les soldes permettent aux consommateurs de se valoriser socialement. À la base, consommer rend heureux et lorsqu’on réalise une bonne affaire, on se sent plus malin que son voisin. On a la sensation d’avoir déniché ce que d’autres n’ont et n’auront pas. Si on trouve un écran plat à -50%, on se dit intérieurement que cette offre exceptionnelle ne pourra pas profiter à tous les consommateurs. »

Alors le narcissisme, véritable moteur à achat ? Pour Julie, 23 ans, qui arpente les rayons des Galeries Lafayettes Haussmann, la réponse est oui :

« Mon budget étudiant ne me permettrait pas de m’acheter des sacs ailleurs que chez Mango ou Zara. Mais en temps de soldes, je suis à l’affût de marques plus chères, genre Vanessa Bruno ou Marc Jacobs.

Certaines filles de mon entourage peuvent se payer ça au prix fort. Comme ce n’est pas mon cas, j’attends les soldes pour me ruer sur la maroquinerie griffée.

À l’arrivée, peu importe ce qu’on a mis comme argent pour l’avoir : elles comme moi, on a des sacs de marque. C’est un peu débile, mais ça me rend toujours hyper fière de mes trouvailles… »

Julie terminera par concéder que « l’appât du gain », autrement dit « cette sensation que je peux enfin ressembler à des filles qui viennent de familles plus aisées que moi » confine à la course effrénée à la meilleure affaire. « Plus mes copines font de bonnes affaires, plus j’ai envie de moi aussi en faire. Les soldes, c’est un peu comme une grosse fête le samedi soir, avec plein de gens cool invités. Bien sûr, tu peux y aller et passer une bonne soirée – mais faire acte de présence ne suffit pas : tu veux rentabiliser au maximum, t’amuser et profiter de la chose jusqu’au bout, quitte à faire des excès, pour ne pas avoir un seul regret lundi matin ».

L’illusion de la réalisation de soi

Mais en offrant aux consommateurs l’impression qu’ils peuvent périodiquement prendre leur revanche sur l’inflation, les soldes n’œuvrent-elles pas pour le compte d’un satisfaction superficielle et illusoire ?

Mû par le sentiment de pouvoir être un consommateur plus malin que l’industrie, l’acheteur se retrouve bien souvent à acquérir plus qu’il ne devrait. C’est la logique de l’achat compulsif : le client est troublé par le potentiel bonheur procuré par le fait de posséder un bien, et se laisse amadouer par le désir d’appartenance au cœur de cible du produit et son pouvoir d’évocation (« en achetant CE maillot de bain en particulier, je serai à la pointe de la mode »).

Ni une ni deux, le passage à la caisse ne sera alors plus qu’une formalité : l’irréductible désir d’être en possession de l’objet l’emportera sur toute autre considération (« ai-je vraiment besoin d’un nouveau maillot de bain ? », « ai-je objectivement envie de dépenser 60 euros dans une pièce dont je ne vais me servir que dix jours sur la Côte d’Opale cette année ? »).

Parce qu’elle s’inscrit dans un instant T et se répète chaque année sur le même modus operandi, l’hystérie des soldes est un objet sociologique à part entière. Sans bouder son plaisir (si vous avez besoin d’un nouvel ordinateur depuis quelques temps et que les soldes sont l’occasion pour vous d’en acquérir un à un prix intéressant, qui pourrait sérieusement vous accuser de « vous faire avoir » ?), il est sain de rappeler que le phénomène des soldes agit également comme une nourriture de l’instinct de possession.

En cassant les prix des biens de consommation, les soldes détournent le regard de la hausse du coût de la vie le reste de l’année, excitent les acheteurs, flattent nos désirs d’acquérir, font temporairement des boutiques des endroits exceptionnels… Pendant qu’au fond, rien ne change : on achète toujours plus que ce dont on a réellement besoin tandis que la consommation s’impose comme une forme (altérée) de la réalisation de soi.

Pour aller plus loin…


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Les Commentaires

8
Avatar de Bobpeterson
27 juin 2013 à 13h06
Bobpeterson
Petit-point-orthographe-qui-fait-pas-avancer-le-shmilblik: "les soldes ont été créées" => je crois bien que "soldes" est en fait un nom masculin...
0
Voir les 8 commentaires

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