En décembre 2013, la France a déployé des Casques Bleus en Centrafrique, pour une mission visant à restaurer la sécurité dans le pays, et notamment mettre fin aux massacres perpétrés par les milices rebelles.
Au printemps 2014, une enquête a été ouverte par les Nations Unies, et sur le terrain, un représentant de l’Unicef a recueilli des témoignages extrêmement perturbants, compilés dans un rapport dont le journal The Guardian reprend la substance :
« Les garçons, dont certains étaient orphelins, ont révélé avoir été victimes de sévices sexuels, incluant des viols et des sodomies, entre décembre 2013 et juin 2014, à la merci des troupes françaises dans un centre de réfugiés à proximité de l’aéroport M’Poko de Bangui.
Les enfants ont décrit les sévices sexuels auxquels ils ont été soumis, en échange d’argent et de nourriture. Un garçon de onze ans raconte avoir été violé alors qu’il était à la recherche de nourriture. Un autre de neuf ans décrit avoir été molesté sexuellement avec ses amis par deux soldats français stationnés dans le camp de réfugiés, lorsqu’ils se sont présentés à un checkpoint dans l’espoir d’y trouver quelque chose à manger. »
Ce rapport a été communiqué aux autorités onusiennes dès le début de l’été 2014, toujours selon l’article du Guardian, mais il n’a pas été suivi d’effet. Qu’il ait été délibérément enterré ou simplement oublié sur une pile de rapports à étudier, la conséquence a été qu’Anders Kompass, un directeur des opérations de terrain, cadre à l’ONU de nationalité suédoise, a finalement directement interpellé les autorités françaises, afin qu’une enquête soit ouverte.
Le lanceur d’alerte… inquiété par sa hiérarchie
La hiérarchie d’Anders Kompass a été bien plus prompte à réagir face à ce qu’elle considère comme une violation du protocole de confidentialité, qu’elle ne l’a été lorsque le directeur des opérations l’a informée des cas de viols sur mineurs rapportés par l’enquête de terrain.
Anders Kompass a donc été suspendu, et risque d’être licencié pour avoir communiqué ce rapport aux autorités françaises. The Guardian a eu ce fameux document par l’intermédiaire de Paula Donovan, vice-présidente de l’association Aids Free World
, qui prend le relai de l’alerte auprès des médias :
« Les sévices sexuels commis par les forces de maintien de la paix déployées par l’ONU, et son indifférence insupportable à l’égard des victimes sont à vomir, mais l’horrible vérité est que ces exactions ne sont pas exceptionnelles…
La réponse instinctive de l’ONU face à des allégations de violences sexuelles dans ses rangs (ignorer, nier, couvrir, démanteler) doit être soumise à une commission véritablement indépendante, disposant de pouvoirs d’enquête, et d’un accès complet à toute la chaîne de commandement. »
Pour en savoir plus, ces deux articles de France24 contiennent une intervention de Paula Donovan, et un résumé de l’affaire en vidéo :
- Viols d’enfants en Centrafrique : « Des allégations pas prises au sérieux par l’ONU », France24
- L’ONU a-t-elle enterré un rapport accusant des soldats français d’abus sexuels en Centrafrique ?, France24
En France, une enquête a été ouverte
Libération rapporte que « la justice française enquête sur [les] accusations de viols d’enfants commis par des militaires français déployés en Centrafrique ». Invitée de LCI ce matin, Laurence Rossignol, secrétaire d’État en charge de la Famille, a qualifié de « double crime » ces exactions, si elles sont avérées.
Revoir la réponse de Laurence Rossignol, à 2 minutes 54
Les vertus de l’alerte citoyenne
Peut-être qu’Anders Kompass a violé la confidentialité et les règles protocolaires des Nations Unies en contactant directement les autorités françaises, mais d’une part, ce n’était pas faute d’avoir attendu une réaction de sa hiérarchie, et d’autre part, on parle de viols d’enfants commis par des Casques Bleus, pas de données tactiques mettant en péril la sécurité des équipes sur le terrain.
En portant l’affaire dans les médias, Paula Donovan a continué à maintenir la pression sur les Nations Unies, et surtout empêché que l’éventuel licenciement du lanceur d’alerte interne ne se fasse à l’abri des regards du grand public…
Peut-être que le rapport n’avait véritablement pas été étudié avant que Kompass ne le transmette à la France, comme le suggère une source dont les propos sont rapportés par Libération :
« On ne peut écarter deux hypothèses : soit le dossier a été abandonné par incompétence, soit il a été mis sous la pile par mauvaise volonté. Hélas, ça arrive… »
Mais si une telle négligence est possible, il est d’autant plus inacceptable que Kompass soit sanctionné alors qu’il a tenté de pallier un manquement de l’organisation.
L’ONU et la justice françaises sont désormais — officiellement et très publiquement cette fois — saisies de cette affaire.
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Les Commentaires
Cependant, j'ai parlé l'autre jour à un gars qui est militaire et qui est parti en RCA pas mal de temps.
De ce qu'il m'a dit, c'est une raison très nulle, mais pour des questions d'hygiène, si les gars là bas avaient vraiment envie de coucher avec quelqu'un, il y a des prostituées, et ils savent lesquelles n'ont a coup sur pas de maladie (franchement quand il m'a dit ça, ça m'a donné des frissons, c'est déplorable comme façon de voir).
Mais ça me parait hautement improbable que 15 pédophiles soient rassemblés dans un camps. D'autant que si des militaires veulent tremper leur nouille il y a des moyens plus ou moins surs. Alors qu'ils en viennent à violer des enfants, ça parait fou.
Et il m'a parlé aussi des circonstances un peu tendues géo politiquement qui pourraient justifier ce genre de rumeurs (si ce ne sont que des rumeurs).
Après j'ai quand même l'impression que l'armée a une sale réputation de repère d'abrutis, alors que ce n'est pas le cas, et cette accusation ne fait que renforcer le cliché, surtout en période de recrutement.
Cela dit, avant les résultats de l'enquête, je ne peux m'avancer sur l'innocence, ou non, de ces militaires. Mais ça me parait important d’appréhender cette situation en tenant compte de la présomption d'innocence.