La bande dessinée ne cessera jamais de m’étonner. La variété de ses thématiques, de ses formes, de ses concepts, fait que le commun des mortel•le•s est en mesure d’y trouver son bonheur pour peu qu’il s’y intéresse.
La bonne nouvelle, c’est qu’avec l’arrivée de la collection Sociorama créée par Lisa Mandel et Yasmine Bouagga chez Casterman, on peut désormais s’initier aux travaux de sociologues sans avoir besoin du moindre bagage derrière nous.
Quelle en est la démarche ? Sociorama fait entrer des études de sociologie dans des cases, en somme ! Fondées sur de réelles recherches de sociologues, les bandes dessinées proposent une immersion par la fiction dans des milieux aussi variés que les coulisses des chantiers, les séducteurs de rue, ou celui des rédactions télévisées.
À travers un véritable travail de vulgarisation, la collection rend accessibles des réflexions poussées sur des sujets plus proches de nous que ce que l’on croit et qui méritent que l’on s’y attarde un peu plus. Elle a le mérite de susciter la curiosité sur des thèmes que l’on aurait pas forcément creusés de notre côté, faute de sources ou d’inspiration. Au programme, donc, de l’information à tout va, des dénonciations, mais aussi de l’humour et de l’étonnement !
Voyons maintenant plus en détails les deux premiers titres parus dans la collection.
La fabrique pornographique, de Lisa Mandel, d’après une enquête de Mathieu Trachman
On suit ici les pérégrinations d’Howard, un monsieur-tout-le-monde agent de sécurité qui devient de manière fortuite acteur porno amateur. En tant que débutant, il va découvrir (en même temps que nous) tous les principes plus ou moins exotiques du X, avec ses bonnes et ses mauvaises surprises..
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De fait, c’est aussi l’occasion de parler plus particulièrement des conditions de travail des femmes, de comprendre pourquoi elles se lancent dans cette industrie et les pressions qui pèsent sur elles.
Mais on évoque aussi l’étrange rôle des acteurs, relégués au second-plan, et notamment celui des hommes de couleur à travers le personnage d’Howard. On y découvre la cruauté des lois du marché (business is business) et l’envers du décor, avec ses conditions de tournage sont souvent loin d’être très émoustillantes.
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Mais le livre reste avant tout une fiction avec une vraie narration, et même si quelques dialogues sonnent un peu trop comme une récitation de leçon, c’est assez fascinant de suivre ces personnages atypiques dans un milieu aussi loin de celui que l’on côtoie.
Chantier interdit au public, de Claire Braud, d’après une enquête de Nicolas Jounin
Hassan est d’origine maghrébine, et de ce fait, on ne lui laisse pas vraiment d’autres choix que celui d’être ferrailleur. À mesure qu’il devient l’un des rouages du mécanisme du chantier, il va d’aberration en aberration, confronté à toutes sortes de misères et d’abus.
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Au fil de l’histoire, la hiérarchie raciale qui régit l’intérieur d’un chantier est mise en lumière, de même que les conditions de travail précaires voire complètement illégales et dangereuses… ainsi que les magouilles pour échapper à l’inspection du travail.
Ici encore, on avait quelques suspicions quant aux manigances de l’industrie du BTP avec son travail illégal et ses prises de risque incroyables en vue de respecter les délais de livraison quitte à imposer des cadences inhumaines. Mais les réflexions vont plus en profondeur et relatent des faits qui font froid dans le dos, relevant de l’esclavagisme moderne. Et on peut dire que ça remue à l’intérieur !À lire aussi : 3 vidéos pédagogiques pour lutter contre les idées reçues sur l’immigration
Pour résumer, sous couvert de fiction, la collection Sociorama a une démarche de sensibilisation, d’information, et de dénonciation, avec la légitimité de travailler avec de véritables sociologues et des artistes reconnu•e•s de bande dessinée. Une façon de s’ancrer dans une forme de militantisme, et ce avec originalité !
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