Dans la vie d’un militant politique, il y a des tas de temps forts : élections nationales, régionales, locales, réunions internes, après-midi de tractage (ou pire : de porte-à-porte). A l’approche d’une échéance électorale, le gros temps fort, c’est le meeting – l’occasion pour les militant-e-s de se retrouver, de resserrer les troupes, de redonner de nouvelles impulsions…
Parfois, ça sert aussi à décompresser en cas de boulette médiatique, lorsque votre entourage et le reste du monde se donnent le mot pour descendre votre candidat préféré (comment ça, ça sent le vécu ?).
Sociologiquement parlant, qu’est-ce qu’un meeting politique ? Peut-on l’envisager comme un rituel social ? Docteure en communication, Marlène Coulomb-Gully perçoit le rite comme une pratique sociale structurée, régulière et codifiée, qui s’ancre dans l’imaginaire collectif et assure la cohésion de groupe. Pour elle, deux catégories existent : il y aurait les rites « sémelfactifs » (des rendez-vous uniques de type déclaration de candidature) et les rites « itératifs » (des moments réguliers, meetings, banquets, visites…).
Mais quelles sont les spécificités de ce rituel social ? La sociologue Paula Cossart nous donne quelques éléments de réponse et explique pourquoi les meetings jouent un rôle essentiel lors des campagnes électorales (source disponible dans le Pour aller plus loin). Selon la chercheuse, pour comprendre ce rôle, il est nécessaire de replacer les meetings dans leurs contextes (à la fois historiques et sociaux).
Meetings : avant, des débats contradictoires VS. aujourd’hui, la démonstration de « qui a la plus grosse »
Qu’on cause du Bourget ou de Villepinte, le constat est le même : en 2012, le meeting est une démonstration de force, où le parti doit prouver son poids social. Figurez-vous qu’il y a quelques centaines d’années, les choses étaient différentes. Au 3ème tiers du 19ème siècle, les meetings français sont des réunions publiques contradictoires, conformes à un « idéal républicain ». A cette époque, le rassemblement permet de débattre, d’évoluer ensemble, de créer une opinion publique sereine. C’est un lieu d’éducation populaire, où les individus deviennent des citoyens. De fait, puisque les citoyens ont la parole (à l’exception des extrêmes, exclus par un consensus populaire), la rue est pacifiée.
Au même moment, les États Unis jouent déjà des meetings partisans, façon « grand messe » – les militants se rassemblent dans un lieu bourré de symboles à la gloire de leur groupe d’appartenance, des célébrités sont invitées, on acclame… Tout ça créé une atmosphère particulièrement chargée en émotion.
A la fin du 19ème siècle, la France rejoint ce format. Les meetings d’une seule couleur politique débarquent, les partis veulent convaincre l’opinion et les pouvoirs publics et mettent le paquet : lieux de rassemblement symboliques (les cafés et autres salles de bal sont désertées au profit de stades, gymnases… de préférence des lieux marqués par des évènements historiques ou situés dans des endroits populaires – ou pas) et stratégiquement choisis (mieux vaut une petite salle pleine à craquer qu’une grande salle à moitié vide), mobilisation des forces vives…
Elle est où la caméra ?
Dès lors, le meeting devient un spectacle – souvenez-vous des séquences du Petit Journal, lorsque l’assemblée râle en chœur à cause des journalistes et caméras associées qui bouchent la vue et/ou empêchent d’entendre la star politique.
Le show est assuré par un orateur-vedette, la « tête d’affiche » politique, l’espace est méticuleusement agencé, les participants placés méthodiquement (si vous pensez que Martine et Arnaud, ou François et Alain sont à côté par hasard, détrompez-vous : TOUT VEUT DIRE QUELQUE CHOSE), les salles sont décorées aux couleurs du parti, les symboles sont pléthore, des choristes amateurs (fervents militants) sont prêts à dégainer les hymnes propres au parti, le candidat-bulldozer est prêt à susurrer des mots doux aux partisans (essayant très fort de nous hypnotiser à la manière de Kaa).
La télévision a toutefois transformé les choses, en amenant une audience invisible. L’orateur doit donc s’adresser à deux publics : les individus présents (généralement ses militants) et le public situé derrière l’écran (bien plus large – composé de militants, de sympathisants, d’opposants…). Puisqu’un grand nombre d’électeurs pourra recevoir le discours, le candidat va devoir moduler ses propos
, éviter d’afficher des symboles clivants et tenter de séduire le plus de personnes possibles – un « discours lissé » qui pourra d’ailleurs parfois déplaire aux militants (« la droite, la gauche… l’important c’est que ce soit moi, non ? »).
Pourquoi va-t-on à un meeting ?
Dans ces réunions de famille, le public est principalement composé de militants (nous avons tendance à ne pas nous déplacer pour écouter les balivernes de nos ennemis politiques), à l’exception des meetings de candidats à la présidentielle, qui peuvent attirer plus de curieux.
Malgré tout, l’acte d’aller physiquement assister à un meeting reste le fait d’une minorité (François, Eva, Jean-Luc et Nicolas ne suscitent pas un enthousiasme public à la One Direction, hein)… Même si nous y allons tous de notre petit commentaire sur Twitter (pour du #lol et du #fail)(parfois pour du militantisme 1er degré, aussi, qui peut prendre deux formes : « Nom de l’opposant politique = GROS CO**ARD » ou « Nom du candidat préféré = LE JUSTE »), Facebook (pour des statuts à la mords-moi-le-nœud et des considérations cul-cul-la-praloche de type « qui voter… aucun ne dit vrai, c’est la merde et ça empire, ils font du fric en faisant de la merde… »*) ou à la tablée dominicale parentale (« Oui oui, vas-y, vote écolo, on te remerciera d’avoir l’extrême droite au deuxième tour hein » vs. « Voter utile ?! VOTER UTILE ?! C’est ça ta démocratie ?! »)**.
Si les meetings du 19ème siècle mobilisaient un paquet de citoyens (« ivres de la réunion publique » selon Michelle Perrot), l’intérêt de la population est aujourd’hui moindre : sans doute du fait d’une lassitude, d’une perte d’intérêt, mais aussi à cause du développement d’autres canaux d’informations (nous ne sommes pas « physiquement » présents, mais nous sommes là – derrière des écrans, derrière des écouteurs, derrière nos journaux).
Ce que l’on recherche dans ces meetings, outre les informations transmises par les intervenants, c’est aussi retrouver l’enthousiasme militant et démontrer son soutien au candidat, participer au lien social, retrouver ses pairs, montrer que l’on adhère et contribuer à valoriser notre parti, notre « cause ». Puisque celui-ci est notre groupe d’appartenance, le mettre en valeur équivaut à nous mettre en valeur.
Finalement, le meeting trouve son utilité auprès de tous les participants : le parti l’utilise pour montrer à ses adversaires qui pisse le plus loin (bon, et accessoirement pour partager ses idées politiques), le candidat est galvanisé par les encouragements de ses brebis (et donc fin prêt à affronter l’ennemi devant David Pujadas), les brebis renforcent leur identité sociale et participent à la valorisation de leur groupe d’appartenance, les caméras font l’écho médiatique de toutes ces joyeusetés (et jouent au passage à qui pisse le plus loin niveau audience)…
Ne nous moquons pas, même en restant relativement conscients des ficelles sous-jacentes à ce cirque moderne, si d’aventure vous vous trouvez un jour en plein meeting, je mets mes cheveux à couper que vous aussi, vous serez contaminés par la liesse générale et aurez envie de marteler : « PEUPLE DE (bord politique), UNIS-TOI » !
* Certifié statut d’origine contrôlée ** Personnellement, j’ai bien peur que mon enthousiasme politique me fasse cumuler les trois, merci de me rejoindre au club des commentateurs politiques amateurs subjectifs anonymes.
Pour aller plus loin
– La source – Une émission d’Europe 1 sur le sujet – feat. Paula Cossart – Une autre émission sur le sujet
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