Cela fait un mois que vous êtes ensemble. Depuis 31 jours, 744 heures et beaucoup de minutes, vous avez échangé quelques millions de regards langoureux, passé l’équivalent de trois jours sur Skype et regardé l’intégrale du Seigneur des Anneaux en version longue. Vous vous êtes envoyé des quatrains par textos. Vous avez imaginé la gueule qu’auraient vos futurs enfants, plus tard, si quelque bombe atomique ne réduit pas l’humanité au rang de lointain souvenir. Vous vous aimez. Vous êtes heureux. Tu es heureuse. Pour un peu, tu chanterais toute seule dans la rue, comme dans une comédie musicale pluvieuse.
Mais depuis ce matin, c’est le drame. Il ne te parle plus. C’est arrivé sans crier gare, comme quelque gastro-entérite hivernale. Au départ, tu n’y as pas prêté attention – alors tu lui as envoyé un petit texto de rien du tout, pour savoir s’il allait bien, s’il respirait encore, s’il ne s’était pas soudainement rendu compte qu’il ne t’aimait plus.
Il n’a pas répondu. Tu as pris peur, tout en sachant fort bien que c’est irrationnel, con et stupide – il t’aime voyons, il te l’a dit il y a à peine une semaine, t’a dit la voix de la raison.
Alors tu lui as envoyé SMS sur SMS, dépeçant consciencieusement ta dignité. Depuis, tu attends, le coeur en berne. Tu refuses de sortir, de boire pour oublier, de manger, de respirer. Tu te dis que tu es pathétique, qu’on a pas mené tous ces combats contre la domination masculine pour que ton moral soit miné par la faute d’un minable SMS.
Mais tu attends.
24 heures ont passé. Tu le sais, tu en as compté la moindre minute, même pendant ton sommeil. Tu as allumé, puis éteint quinze fois ton téléphone, on ne sait jamais, des fois que son SMS se soit perdu quelque part dans le purgatoire des textos non reçus. Mais tu ne crois plus au purgatoire depuis ton premier tampon. D’ailleurs, tu ne crois plus en rien – même pas en Chuck Norris, c’est dire.
Tu es désespérée. Tu traînes en pyjama du lit au canapé, du canapé au lit, du lit au lit. Plus rien ne te divertit en ce bas monde d’enfoirés affectifs.
Ta mère t’appelle. « Ça se passe bien avec Adophe*? », qu’elle te demande d’un ton mielleux. Ton crissement de dents doit s’entendre jusqu’en Corrèze.
Tu réponds oui, tu hurles non. Ça ne s’entend pas. Elle raccroche.
*Par respect pour l’anonymat du principal protagoniste de ce texte, son prénom a été modifié.
48 heures. Tu as fait le tour de tous les scénarios possibles et imaginables, allant de votre rupture à un enlèvement par Jacques Cheminade. Tu préfères l’hypothèse de l’enlèvement, mais ta raison, cette garce noyée sous quelques tonnes de chagrin et de mouchoirs usagés, refait surface. Il y a peu de chances pour que l’éminent fondateur de Solidarité et Progrès ait enlevé qui que ce soit – ou qu’Adolphe ait été enlevé par qui que ce soit, d’ailleurs.
Tu lui as pourtant dit, à celui que tu te prends à haïr, que tu préférais la rupture au silence. Tu lui as tout dévoilé de tes secrets les plus sombres, de ta peur de l’absence, de tes innombrables névroses infantiles. Il n’a rien dit, il a souri. Il a dit « Oui, oui », en opinant d’un bonnet imaginaire, avant d’oublier – peut-être n’a-t-il pas oublié, d’ailleurs, et peut-être est-il, le fourbe, en train de tester tes limites. Peut-être qu’il s’en fout.
Tu fumes un paquet, deux paquets, trois paquets de cigarettes sans penser au cancer du poumon ni à l’abyssal trou noir qui se creuse dans ton compte en banque. « Tu devrais boire », te dit la voix de la raison, « ça coûte moins cher ».
Tu bois.
Et tu fumes.
72 heures. Tu te considères désormais comme célibataire, et, sur Facebook, tu égrènes la liste de tes ex en te souvenant des jours anciens. L’un est marié, l’autre encarté au Front National, un troisième a une photo de rottweiler en lieu et place de photo de profil, le dernier ressemble de plus en plus à son père.
Tu bois. Pour oublier.
96 heures. En émergeant d’un demi-coma éthylique, tu es surprise de recevoir un smiley en forme de coeur émanant d’un numéro inconnu, envoyé en début de semaine. Tu établis la liste de tes admirateurs potentiels – il n’y en a pas.
Soudain, la vérité t’apparaît en pleine face : Adolphe t’avait pourtant fait part de cette capitale information, mais ta mémoire oublieuse l’avait occultée.
Il y a quatre jours, il a changé d’opérateur pour Free Mobile.
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