Pour en savoir plus sur la Slutwalk, rendez-vous sur l’interview de Gaëlle, responsable de la Slutwalk France et le Petit Reportage sur la Slutwalk Paris 2012.
Les salopes sont de sortie !
28 septembre 2013, Paris. La Slutwalk. Les salopes sont de sortie. Il fait beau, il fait chaud, pas besoin de beaucoup de tissus pour se couvrir, donc. Je me balade l’air guilleret dans la capitale et arrive, à la surprise générale, en retard au point de rendez-vous décidé avec les madmoiZelles.
On grignote des cochonneries sur une pelouse de Luxembourg puis on amorce un mouvement vers Sèvres-Babylone, le point de départ de la marche. Toutes pimpantes, en minishorts, jupes, cuir et collants fantaisies, nous sommes un peu un raz-de-marée dans les quartiers cossus de Paris. À croire que le badaud n’a jamais vu de cuissot.
Une preuve de plus, si vraiment il en fallait, que le corps féminin reste encore sexualisé à outrance. Et à cacher.
Nous contre le reste du monde
Square Boucicaut. J’ai le même pincement au cœur que l’an dernier, quand j’étais arrivée sur le lieu de rendez-vous de la Slutwalk. Nous nous étions retrouvées à dix. À attendre, dans l’appréhension, que d’autres personnes viennent grossir les rangs (ce qui était finalement arrivé !).
Pour l’instant, je ne vois que des familles, des petits vieux accrochés à leurs bancs… Je ris jaune et dis « Ah, nous sommes les marginales une fois de plus ». Je ne le sens pas, cette année. Je me demande, un bref instant, « et si nous étions ridicules ? ».
Cheveux colorés, soutifs et slogans
Puis je vois le rassemblement. Les mèches de couleurs, les seins bombés dans leurs soutifs, les journalistes, les madmoiZelles couvertes de la tête aux pieds de slogans tels que « Salope si je veux, quand je veux », « Mon corps, mon choix » ou « Consent is sexy ! ». Sourire. Soulagement. Puis euphorie.
Nous sommes plus nombreuses que l’an dernier et ô, miracle ! Des mâles sont présents. Et quand je dis présents, je veux dire « plus nombreux que l’an dernier ». C’est cool ça. C’est toujours agréable de constater que oui, le féminisme est bel et bien un mouvement qui réunit les genres et les sexes !
Et c’est drôlement jeune aussi cette année. Il y a des lycéennes de partout. Je dis ça en tant qu’ancêtre de 19 printemps bien tassés.
Journalistes et débats féministes
Donc j’arrive, à la limite de l’hystérie, j’embrasse des madZ, je distribue des « Aaah tes seins sont TROP beaux » à tout va et puis paf, je me fais interviewer par une journaliste de Libération. En mode sournois, vous savez : elle fait mine de me parler comme si elle était une personne lambda et puis elle tend son micro. EH OUAIS.
J’espère ne pas avoir trop dit de bêtises. L’an dernier, beaucoup de copines se sont moquées de mon témoignage donné à France 2 : « On œuvre pour un monde moins pourrave pour nos gosses ». J’ai été coupée au montage. J’ai jamais compris.
On parle slogans avec des participant-e-s. Un homme a « choisi de ne pas être un prédateur ». On est toutes fan. Un peu moins du verso de la pancarte qui veut promouvoir les cours d’auto-défense pour les adolescentes.
On tente d’expliquer que ce que l’on vise, c’est une société dans laquelle on n’aurait déjà pas à se défendre mais surtout, dans laquelle on dirait « N’agresse pas » et non pas « Voilà quoi faire si tu es agressée ». Point d’achoppement féministe : certain-e-s sont pour, d’autres contre. On grille une clope et on oublie ça.
Tiens, un autre journaliste me tape la causette. Il a un micro avec écrit « Canal + ». Je pense à Yann Barthès et je l’imagine se foutre de moi dans le prochain Petit Journal. Frissons dans le dos.
Le type est abordable, sympa , en fait. On parle féminisme, harcèlement de rue, origines de la Slutwalk… Il me demande si ma couronne à fleurs est un clin d’oeil aux FEMEN. Je réponds que non, absolument pas, c’est un clin d’oeil à Lana Del Rey.
J’ai l’air d’une pintade, tout va bien. En plus, j’aime même pas Lana Del Rey. Je ne sais pas pourquoi j’ai dit ça. Les filles se moquent et disent que c’est vraiment le bas-fond de la culture. ALO UI CER DINDE.
Des gens bien pour une cause juste
On re-grille une clope. J’admire les fesses de tout le monde. Et les seins. Et les cheveux colorés. J’ai l’impression que tous les gens drôles, ouverts d’esprits et intéressants de Paris sont réunis dans ce square. J’ai envie de faire des câlins à tou-te-s les participant-e-s.
Les slogans sont tous plus percutants les uns que les autres : « Je connais un violeur, il va bien. Pas moi. », « Aime-moi ne me viole pas », « Mon cul c’est pas l’Armée du Salut ». C’est presque drôle. Sauf qu’on parle de viol, de déni de souffrance, de blâmes de victimes. On se rappelle pourquoi on est là. Tout de suite, l’univers coloré est un brin moins chouette. C’est un peu comme un bonbon qui aurait un goût amer, la Slutwalk.
En route, mauvaise troupe !
Le cortège se forme, nous allons bientôt partir.
Oh, des anarchistes ! Bonjour, vous. J’aime pas vraiment la récupération politique d’un mouvement qui se veut ouvert à tou-te-s. Je ne suis pas la seule. Qu’importe : des gens qui militent contre le viol, ce sont des copaings.
Oh d’autres MadmoiZelles ! Bonjour. Non, non, Fab ne viendra pas. Non, pas vu de nanas de la rédac non plus. Oui, c’est dommage… Oh vite, pressons-nous, ça commence !
Les slogans criés sont tout d’abord chevrotés, un tantinet imprécis, étouffés. Bref, on commence calmement, d’un ton mal assuré : « Le sexisme est une maladie sociale », « Oui c’est oui, non c’est non ». Les gens qui viennent faire leurs courses au Bon Marché s’essuient le front avec un mouchoir en soie : cet étalage de chair, que c’est indécent ! Nous, on sourit, habituées à ces regards inquisiteurs et outragés dès que l’on montre le moindre bout de cuisse.
Nous sommes des salopes et nous méritons le respect
On marche plutôt vite, on s’époumone. Tiens, des hommes nous regardent avec un air graveleux. On s’y attendait pas les gars, c’est fin, vraiment. Vous voyez, les types à nos côtés, qui brandissent des panneaux décriant le sexisme ? Bah eux, ils ont la classe. Posez-vous des questions.
Une copine lance un nouveau slogan : « Salope si je veux, quand je veux ». Lancer des « salope » à tout va dans la rue, c’est grisant. Pour une fois, NOUS le disons, nous avons la parole. On se réapproprie complètement ce mot.
iPhones, regards lourds et jugements
Je remarque que beaucoup de gens dégainent leur téléphone fruitier et immortalisent la manif sans bien savoir de quoi il s’agit. L’ère du numérique, tout ça… Des filles distribuent des tracts : ça, c’est une riche idée. Cette année, on n’aura pas besoin de s’arrêter pour expliquer le mouvement aux passants, des petits papiers le font pour nous.
Certaines personnes nous regardent, interdites, incrédules. Beaucoup de regards dubitatifs. Peu de gens comprennent. C’est quoi cette pseudo gay-pride sans distribution de capotes d’abord ? C’est flashy, bruyant, il y a des seins, des cuisses, mais on n’a pas envie de savoir ce que c’est. Montrer ses seins, c’est mal, alors on fronce les sourcils pour montrer que l’on est pas d’accord.
Des hommes prennent des photos avec des regards libidineux, nous « encouragent »… Nous, on s’en fout, on n’est pas là pour s’appesantir sur les boulets mais pour partager notre bonté, notre tolérance et notre amour (c’est la minute Sept à la maison). Et puis notre rage aussi. Bisounours, un peu, mais faut pas pousser les salopes dans les orties non plus. Elles risquent d’avoir les fesses qui piquent.
Des gens nous applaudissent, approuvent d’un hochement de tête ou nous font des « Au top » avec leur pouce en l’air. C’est la classe, ça. Nous sommes revigorées.
« Pas content ! Pas content ! »
J’avais décidé d’être sérieuse cette année mais je ne peux m’empêcher de détourner les slogans que l’on crie. L’an dernier ça avait été « Les flics à poil » et « Les seins c’est bien ». Cette année ce sera donc le « Salope si je veux, quand je peux », en référence à mon célibat permanent ; ça fait beaucoup rire mes amies. « Oui c’est oui, non c’est non » devient un concours de gémissements pornographiques : « Ouiiiii c’est aargh ouiiii mais NON c’est NON ».
On se gondole, on se marre. Pousser des cris de plaisir dans la rue, c’est quand même divertissant. Puis on dit juste « Pas content ! Pas content ! ». Hilares. Nous sommes hilares.
Je tente aussi de lancer un slogan : « Le sexisme c’est pas sexy ». Tout le monde le reprend. Triomphe. Au bout de trois répétitions, on se rend compte qu’il s’agit en fait d’un exercice de diction complètement barbare et que personne n’arrive à le prononcer correctement. Mon amie me taquine, je réponds que le monde n’est pas prêt.
Les hommes sont d’accord, et ça fait plaisir
Un pote veut me rejoindre avec un ami. Pour dire que « les hommes sont d’accord » avec le mouvement. Ça peut paraître normal mais je suis touchée. Je passe souvent pour la féministe de service auprès de mon entourage. En fait, pour certains, « féministe », ça veut dire « qui n’aime pas les hommes ». Donc mon pote qui veut venir faire sa salope avec nous, c’est un (autre) rayon de soleil.
Coucou Gaëlle (l’organisatrice de la Slutwalk) ! Oh, elle m’a reconnue. Ça fait pourtant un an. Je me sens importante, tout à coup, genre féministe influente. Comme lorsque j’ai deux nouveaux followers sur Twitter.
« Les femmes (et les salopes) au Panthéon ! »
On marche vraiment vite dis donc ! On arrive presque au Panthéon, là.
On y croise d’abord deux hommes militaires qui nous font un salut. Ou qui se mettent au garde-à-vous, je sais pas trop. En tout cas, visiblement ils approuvent et ça fait chaud au cœur. Militaires et féministes ? Mais ça tord complètement le cou aux clichés ça !
Des gens continuent à nous prendre en photo, on tourne nos pancartes vers les terrasses de café afin que tou-te-s puissent saisir nos messages. Le mien est « Viol : Il n’y a que des fausses excuses et des vraies ordures ». Au verso, c’est le côté un peu plus léger : « Le sexisme, c’est has-been ». Fashion Week oblige, j’ai voulu rester dans le ton. Tout le monde a trouvé ça risible. Au moins, ça a fait l’unanimité.
« Les femmes au Panthéon ! Les femmes au Panthéon ! ». On scande tou-te-s ça en cœur. Pour la petite histoire, il y a une « expo » sur les femmes au Panthéon, signalée sur la grille de l’édifice. Sur un panneau rose. Évidemment.
À l’année prochaine, la Slutwalk !
La Slutwalk, c’est fini. On pose pour des photos. On débriefe . Je dis « Bon, bah on va boire un godet hein ». Au final, les filles m’attendront car je ne résiste pas à l’appel des appareils photos.
On finit avec des bonbons, des gâteaux, des clopes et de la bière sur une pelouse du Luxembourg. On parle sexisme, vegan, violence… On rêve à un monde plus juste, tout simplement.
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