Laissez-moi vous conter l’histoire de Slane Girl.
En l’an de grâce 2013, par un beau samedi d’août, le célèbre troubadour Eminem se donnait en spectacle au Château de Slane, dans le comté d’Irlande.
Près de 80 000 manants s’étaient amassés aux abords du château pour profiter de l’événement. Parmi cette foule, une jeune fille et un jeune homme, enthousiastes, s’adonnèrent publiquement aux plaisirs de la chair.
Et tous deux restèrent gravés dans la mémoire des Internets. Lui, « un héros », et elle, « une salope ». Ainsi naquit la légende de Slane Girl.
Concrètement, la jeune fille a fait une fellation à deux garçons, dont un particulièrement photogénique et visiblement ravi.
« Le Héros », que nous appellerons plutôt « chapeau fluo ».
Et le ton médiéval de cette introduction est parfaitement approprié pour commenter les réactions suscitées par ce non-événement.
#SlaneGirl, #SlaneSlut et « le héros » : vous avez dit « double standard » ?
Sous le hashtag #SlaneGirl, des centaines d’internautes ont partagé des photos montrant les deux jeunes en pleine action (la photo ci-dessus est tronquée, pour protéger l’identité de la jeune femme ; normalement, on la voit en train de faire une fellation à « chapeau fluo »).
Les réactions insultantes déferlent sur les réseaux sociaux. #SlaneGirl devient rapidement #SlaneSlut, « salope » étant l’insulte la plus populaire pour désigner la jeune fille. « Chapeau fluo », quant à lui, est qualifié de « héros ».
#SlaneGirl : Putain de sale traînée ! #SlaneBoy : Putain de total héros ! #SansHonte
« Marrant que le mec qui a reçu la fellation au concert d’Eminem restera une légende alors que la fille qui lui a fait la fellation sera à jamais connue comme étant une salope. #SlaneGirl »
Sérieusement ? La fellation, c’est mal ? On… on arrête d’en faire alors ? Ah non, c’est juste de l’avoir fait en public le problème, d’accord… Mais alors pourquoi s’acharner uniquement sur la fille ? Pourquoi considérer qu’elle est une salope et que lui est un héros ?
Au XXIème siècle, il est donc toujours considéré que le sexe (et particulièrement la fellation), c’est un accomplissement pour les hommes, et une honte pour les femmes.
Nous en parlions récemment à propos du ressenti des parents vis-à-vis de la sexualité de leurs filles, mais l’affaire Slane Girl témoigne de la persistance de ce double standard. Encore du slut-shaming. Ça devient lassant.
Un peu de justice
Ne cherchez pas les photos de Slane Girl sur les réseaux sociaux : signalés sur Twitter, Facebook et Instagram, des centaines d’utilisateurs ont vu leur compte suspendu. Et pour cause : Slane Girl est mineure (16 ou 17 ans selon les sources).
Sous la loi irlandaise, toute personne qui publie sciemment des photos d’un enfant (défini légalement comme personne âgée de moins de 18 ans) se rend coupable de pornographie enfantine.
« Haha, tous les connards qui ont partagé les photos de Slane Girl, vous faites maintenant l’objet d’une enquête pour diffusion de pornographie enfantine ! »
Plusieurs utilisateurs ont signalé les comptes qui diffusaient les photos et les propos offensants à l’égard de Slane Girl, ce qui a permis la suspension des comptes et l’ouverture d’une enquête de police.
Des messages de soutien ont afflué sous le hashtag #SlaneGirlSolidarity, car le double standard héros/salope a tout de même sauté au visage de nombreuses personnes.
« Tous ceux qui utilisent les hashtag #SlaneGirl ou #SlaneSlut pour harceler cette femme puent l’hypocrisie et le double standard à la con. #SlaneGirlSolidarity »
Pendant ce temps, Slane Girl, traumatisée par la vague de haine qui a déferlé sur les réseaux sociaux (son nom a été publié puis effacé sur Reddit), a dû être hospitalisée dans un état de détresse nécessitant une sédation.
Une nouvelle qui n’a pas calmé le slut-shaming à son encontre.
« Pas désolé le moins du monde pour Slane Girl, qui fait ça en public enfin ? Voilà ce qui arrive quand on se comporte comme une pute ! »
La morale de cette histoire : « c’est différent pour les femmes »
Ne nous voilons pas la face : à l’heure où chaque personne est potentiellement armée d’un smartphone capable de prendre des photos, des films, et de les partager instantanément sur quatre réseaux sociaux différents, le droit à l’anonymat dans l’espace public n’existe plus qu’en théorie.
De fait, que ce soit pour Slane Girl comme pour le jeune homme, s’adonner à de telles pratiques en public n’était pas forcément très malin. Il fallait quand même s’attendre à ce qu’ils se fassent remarquer tous les deux.
« Il n’y a plus d’intimité. Avec son téléphone, chacun devient un paparazzi, associé aux réseaux sociaux, le monde entier regarde. »
« Elle a choisi de sucer une bite dans un lieu très public. Si elle voulait de l’intimité, elle l’aurait fait chez elle ou dans un hôtel. »
Mais la publicité de leur négligence n’a pas eu les mêmes conséquences pour les 2 jeunes. Le jeune homme ? Personne ne se soucie de savoir qui il est, ce qu’il devient. Au mieux, on le congratule anonymement, on souhaiterait être à sa place. Au pire, on l’ignore complètement.
La jeune fille ? On l’insulte.
Slane Girl si tu nous lis, sache que ce n’est pas à toi d’avoir honte. La honte, elle est sur ces centaines d’imbéciles arriéré-e-s, qui ont cru se glorifier en étalant leur bêtise sur les réseaux sociaux.
La bonne nouvelle, c’est qu’ils sont de moins en moins nombreux. Le hashtag #SlaneGirlSolidarity a finalement détrôné #SlaneGirl et #SlaneSlut, les articles et les billets de blog fleurissent pour condamner le cyberbullying et le slut-shaming dont tu as été victime.
Pour aller plus loin :
- Girl gives boy blow job at music festival. Boy is hero, girl is slut, Jezebel.
- What happens when hundreds of People retweet Child Porn? Motherboard
- Why it’s different for girls: slut-shaming in the digital age, New Statesman
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
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