Nos relations amoureuses sont-elles influencées par la pop culture ? Fan de pop culture depuis toujours, la journaliste indépendante Chloé Thibaud a décidé de se lancer dans l’écriture de son cinquième livre, Désirer le violence (éditions Les Insolentes) en partant d’un constat personnel : « Dès que j’ai eu l’âge d’entretenir des relations amoureuses, j’ai systématiquement choisi le type pas chouette qui ne me respecte pas vraiment plutôt que le gentil qui a envie de relationner avec moi. Nous sommes nombreuses dans ce cas. Je me suis dit qu’il y avait un paradoxe entre mon engagement féministe et mon attrait pour les hommes qui incarnent tout ce que je combats ».
Son enquête personnelle est donc née en se basant sur les séries, drames et comédies romantiques qui l’ont forgée et d’autres ayant marqué plusieurs générations, des « Valseuses » à « Kill Bill », aux séries télévisées plus actuelles (« Gossip Girl », « How I Met Your Mother », « You »…).
Avec un regard implacable, Chloé Thibaud analyse, avec l’aide de journalistes, autrices et psychologues, comment les dynamiques toxiques sont parfois intériorisées dans les scénarios de shows à succès et comment elles peuvent avoir une influence sur nos comportements amoureux. Les exemples exploités par l’autrice se comptent par dizaines. Madmoizelle en a choisi six.
Barney dans « How I Met Your Mother », le séducteur
Chloé Thibaud connaît par cœur « How I Met Your Mother » (2005-2014), qu’elle a regardée plusieurs fois en intégralité. Elle assume avoir pendant longtemps adoré Barney Stinson (joué par Neil Patrick Harris). « Aujourd’hui, il est l’incarnation du type que je hais : c’est un manipulateur, un cliché sur pattes, même devenu une référence masculiniste », avoue-t-elle d’emblée.
Comme d’autres séries vues à l’adolescence, « How I Met Your Mother » n’a plus la même saveur : « Elle ne me fait plus rire. En 10-15 ans, la société a beaucoup évolué. » Elle avoue elle-même avoir ri du comportement de dragueur caractérisant le personnage de Barney et s’être moquée des femmes tombant dans le panneau : « La plupart des filles sont présentées comme étant un peu bêtes, elles se font avoir avec des mensonges gros comme la lune. En tant que spectatrice, j’ai été complice de Barney parce que je me suis moquée de ces femmes ».
Comment qualifier le personnage de Barney ? Justement, l’autrice insiste sur la nécessité d’utiliser des mots adaptés : « Il est très drôle. Au mieux, on trouve que c’est un lourd, un forceur, pas un agresseur, et encore moins un violeur, alors que ses stratégies reposent sur le fait de faire boire les femmes. Leur consentement est donc obtenu par l’alcool ou par la manipulation. » La journaliste invite à revoir avec attention l’épisode 5 de la saison 8, « The Playbook », dans lequel la spectatrice découvre le livre de Barney contenant tous ses stratagèmes pour draguer les femmes.
Cole dans « Charmed », le démon à la double personnalité
Série fantastique culte du début des années 2000, « Charmed » (1998-2006) a rythmé la trilogie du samedi soir de M6 pendant plusieurs années. Comme beaucoup de jeunes filles, Chloé Thibaud l’a découverte dès l’école primaire et confie : « Même si j’étais petite, j’étais totalement amoureuse de Cole. Cet acteur me plaisait physiquement, et dans la série, tout est fait pour que l’on succombe puisque l’on est en empathie avec les sœurs Halliwell ». Cole Turner, joué par Julian McMahon, est mi-démon, mi-humain et surtout l’intérêt amoureux de Phoebe Halliwell.
La relation amoureuse du couple phare a tout de toxique, accentue l’autrice : « Le personnage de Cole est très dangereux. Il est moitié démon (devenant Balthazar, le source du mal) et cela joue sur l’idée que quand les hommes violents sont violents, ils ne sont pas eux-mêmes. Ce dédoublement est la justification typique des hommes violents ». Selon elle, la série « nourrit la mythologie profitant aux hommes violents » : « Cela met dans la tête des enfants qui la regardent qu’il faut excuser la partie 50 % humaine de Cole parce que ce n’est pas de sa faute s’il agit mal quand il est 50 % démon. Sauf qu’en conclusion, il fait du mal à Phoebe et leur couple est à peine une métaphore des violences conjugales. »
Chuck Bass dans « Gossip Girl », le manipulateur
Ce personnage de la série ado culte « Gossip Girl » (2007-2012) a fait l’objet de nombreuses analyses et peut facilement figurer dans le top 5 des pires ordures. Rappelons-le : dans l’épisode 1, Chuck est l’auteur de deux tentatives de viol. Chloé Thibaud va plus loin en parlant même de « syndrome Chuck Bass » et débute par son expérience personnelle : « Il m’a mise dans tous mes états pendant six saisons. J’étais fan de lui tout en sachant que c’était un gros connard. Blair, ma préférée, bien que peste, formait avec Chuck le couple phare, et je n’attendais qu’une chose : qu’ils se remettent ensemble. »
Jusqu’au dénouement de « Gossip Girl », les scénaristes ont montré une vision toxique d’un couple en idéalisant une relation d’emprise. « Ils incarnent le fait que même si la passion amoureuse fait très mal, le jeu en vaut la chandelle parce que les moments forts excusent tous les moments horribles que l’autre nous fait vivre. » L’autrice a ouvert les yeux sur cela il y a quelques années, au moment où elle a été victime de violences conjugales : « vivre ces violences t’oblige à regarder différemment les séries avec lesquelles tu as grandi. » Pour elle, l’histoire Chuck-Blair représente « les cycles de la violence conjugale » : « elle tombe sous son emprise, il la manipule pour qu’elle réponde à ses désirs, vient ensuite une explosion de la violence, une inversion de la culpabilité au cours de laquelle il dit que c’est à cause d’elle qu’il est violent, puis il se fait pardonner et la reconquiert. »
La journaliste fustige aussi l’utilisation d’un « énorme cliché scénaristique », souvent mis en avant lorsqu’un homme est violent. En effet, Chuck Bass n’a pas connu sa mère, morte à sa naissance, et n’a jamais obtenu l’amour de son père. Le show HBO ne cesse de le rappeler en « justifiant la violence masculine par une violence que l’homme en question a déjà subi ». « C’est une idée reçue », conclut l’experte qui qualifie « Gossip Girl » de « manuel d’acceptation des violences conjugales ».
Ross dans « Friends », le pseudo mec sympa
On ne présente plus Ross (David Schwimmer) de « Friends » (1994-2004) dont l’histoire avec Rachel a fait palpiter les cœurs des spectateurs pendant dix saisons. Pendant longtemps, personne n’a rien eu à reprocher à ce personnage, que l’on percevait comme diamétralement opposé à Joey, le dragueur. Sauf que depuis plusieurs années, les articles décryptant « Friends » avec un regard critique expliquent pourquoi il est le pire personnage : jaloux, colérique et aussi manipulateur.
Un personnage à ranger dans la catégorie des nice guys, dont Chloé Thibaud invite à se méfier : « Je pense que beaucoup de scénaristes ont créé des personnes de nice guys pour mettre en scène des trompes-l’œil, pour se donner le bon rôle en se disant que ce mec-là est gentil, sans même se rendre compte que ce qu’ils font vivre à leurs personnages n’est pas bien non plus. » Elle souligne une « violence difficile à détecter » et invite les spectateurs à comprendre que derrière des « comportements présentés comme inoffensifs » ; il y a de la violence.
L’exemple le plus éloquent concernant Ross vient selon elle de l’épisode 11 de la saison 10, dans lequel Ross explique que lors d’une soirée à l’université, alors qu’il était déjà très amoureux de Rachel, il l’a suivie dans la pièce où elle est partie se reposer après s’être évanouie, et alors qu’elle était allongée et que corps était totalement recouvert de manteaux, il a « atterri sur ses lèvres ». Rachel, pourtant inconsciente, lui aurait rendu le baiser. Le public en a ri, justement parce que « Friends » est une série humoristique, juge l’autrice, qui invite à revoir cette scène comme si un ami nous racontait ce qu’il venait de faire : « Quand bien même la personne ”glisse” sur la bouche de l’autre, il n’y a pas à érotiser le moment puisque l’autre est évanouie, et que le consentement n’est pas respecté. ».
Georgio dans « Mon Roi », le pervers narcissique
Sorti en 2015, le film de Maïwenn a eu un véritable succès, offrant le prix d’interprétation féminine du Festival de Cannes à Emmanuel Bercot. En rééducation, son personnage de Tony se rappelle sa relation amoureuse très toxique avec Georgio (Vincent Cassel), un ancien fêtard devenu son époux et père de son fils, dont elle est depuis séparée. « Quand le film est sorti, j’avais 25 ans, et ça a été une révélation. Il est arrivé au moment où l’on commençait à parler de la notion de pervers narcissique. Ça m’a aidée, ainsi que d’autres femmes de mon entourage, à nous rendre compte qu’il y avait des choses qui n’allaient pas avec les hommes qui se comportaient ainsi », nous explique Chloé Thibaud.
Mais sa vision a changé : « Plus le temps a passé, plus je me suis rendue compte que ce n’est pas un film sur la perversion narcissique. » En effet, le terme n’est jamais employé dans « Mon roi », et surtout, ni la réalisatrice, ni les deux acteurs principaux n’ont accepté de l’utiliser dans leurs interviews. « Pour eux, il s’agit de montrer un couple passionnel, mais à égalité, comme si tout le monde se faisait du mal de la même façon », appuie-t-elle en citant les propos tenus par Vincent Cassel en 2016 (voir page 125 de son livre) qui estime que son personnage n’essaie « à aucun moment » de manipuler Tony.
Sorti avant #MeToo, « Mon Roi » mérite d’être regardé avec précision aujourd’hui. L’autrice de « Désirer la violence » est catégorique : « Il est dangereux sur la question des violences conjugales qu’il n’aborde jamais la notion d’emprise, alors que Tony est complètement sous l’emprise de Giorgio, et bien que l’équipe dise le contraire, dans le film, il y a absolument un bourreau et une victime. »
Massimo dans « 365 jours », le kidnappeur
Mis en ligne sur Netflix en 2020, en pleine pandémie, le film polonais « 365 jours » a été un véritable succès et a même eu le droit à deux suites. La sortie du premier opus a pourtant fait l’objet de nombreux articles pointant du doigt la manière problématique dont il érotise les violences sexuelles puisque l’histoire commence vraiment quand Laura se fait enlever et séquestrer par Massimo, un mafieux italien. Chloé Thibaud est surprise de voir un tel film remporter autant de succès dans les années 2020. « Comment peut-on faire rimer séquestration et kidnapping avec amour ? Le problème c’est que beaucoup de femmes ont fantasmé sur le film. Cela fait peur parce que l’on voit comment Laura passe d’une proie à une femme désirante. Le film joue sur une zone grise qui n’a pas besoin d’être nourrie davantage, consistant à dire que c’est excitant pour une victime d’être dans cette position ».
Une phrase prononcée par le kidnappeur devrait être perçue comme le moment clé de « 365 euros », partage la journaliste : « Je ne suis pas le monstre que tu imagines ». « Dans l’imaginaire collectif, on imagine le violeur comme un inconnu, qui fait peur, qui est laid, non pas quelqu’un qui nous accueille en costard dans une demeure de rêve. Le problème c’est que c’est un mythe sur le viol et que Massimo est exactement celui qu’on doit imaginer parce qu’un homme comme lui peut être un violeur. Les hommes beaux, riches et puissants sont aussi des violeurs. ».
« Désirer la violence. Ce(ux) que la pop culture nous apprend à aimer » de Chloé Thibaud, avec une préface de Lio. Éditions Les Insolentes. En librairie depuis le 24 avril. 22 euros.
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Les Commentaires
Et est-ce que tu parles bien de personnages réellement détestés (comme Skyler dans Breaking Bad) ou de personnages que les gens adorent détester (mais que les gens reconnaissent que le personnage est super bien écrit - comme Cersei dans GOT)