Son cri d’alarme, elle l’a publié de façon brute sur YouTube, là où d’ordinaire elle poste ses chansons. Elle espérait avant tout faire réagir, initier un mouvement pour mettre au fin au harcèlement en ligne. Celui qu’elle subit, celui que d’autres subissent.
Sindy, chanteuse et influenceuse, a raconté ce qu’elle vit depuis des mois : les torrents de messages en ligne, les photos non sollicitées, les menaces de mort, de viol. Comment des personnes se sont introduites à son domicile l’ont agressée. Comment son état mental s’est dégradé.
Son but : mettre fin à l’impunité qui règne pour les auteurs de ces messages.
Ce que raconte Sindy fait écho à une autre affaire : celle de Lucile, en août dernier. Elle aussi a utilisé les réseaux sociaux pour être entendue, alors qu’elle était harcelée et traquée par un homme, Florian Telle.
En partageant sur Twitter les messages audio qu’elle recevait, elle a fini par attirer l’attention des autorités.
D’abord condamné à deux ans de prison avec sursis le 16 août, son agresseur a été relâché et a aussitôt continué son acharnement envers la jeune femme et ses proches. À nouveau placé en garde à vue, il a finalement écopé d’une nouvelle condamnation le 30 août, cette fois à huit mois de prison ferme.
Les victimes de cyberharcèlement en sont-elle réduites à devoir se tourner vers leur communauté en ligne pour se faire entendre de la justice ? Faut-il rapporter, presque live-tweeter son harcèlement comme l’a fait Lucile, pour espérer une réaction de la part des forces de l’ordre ?
Est-ce devenu le seul moyen efficace d’obtenir de l’aide lorsqu’on est menacée au quotidien ? Est-on réduite à cela pour être prises au sérieux ?
Parler, oui, mais comment être entendue ?
Marylie, militante féministe, membre de Nous Toutes, revient sur les récents propos d’Elisabeth Moreno lors d’un entretien pour Libération.
À la question « De plus en plus de femmes appellent à l’aide sur les réseaux sociaux. N’est-ce pas le signe d’une défiance à l’égard des institutions ? », la ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes a répondu ainsi :
« J’ai envie de dire à ces femmes qu’elles continuent de parler, et qu’elles utilisent tous les moyens à leur disposition pour le faire. On connaît les travers des réseaux sociaux, mais il n’empêche que #MeToo a existé grâce à eux. Les femmes ont pu se faire entendre et comprendre qu’elles n’étaient pas seules.
Ce n’est pas un tribunal, ce n’est pas là qu’est rendue la justice, mais se saisir de tous les moyens pour porter la parole des femmes est bénéfique. »
Selon la représentante de l’organisation féministe, tenir un tel discours est inacceptable :
« On ne pense pas que ce soit la solution pour régler des problèmes de justice. Au lieu de remettre en cause l’application des lois au sein de forces de l’ordre qui refusent les plaintes, au sein des parquets qui refusent de donner des ordonnances de protection aux victimes de violences conjugales, on a une ministre qui encourage les victimes à s’exprimer sur les réseaux sociaux. Ce n’est pas normal. »
À ce défaussement s’ajoute une possible surenchère de la violence.
« La plupart du temps, il y a un revers de médaille pour ces personnes qui s’expriment publiquement, avec un risque de deuxième vague de haine en ligne et c’est très dangereux.
Elisabeth Moreno n’est pas la seule au sein de ce gouvernement, qui base son discours en s’adressant aux victimes pour leur dire “allez-y, parlez, déposez plainte”. Sauf que les victimes ne sont pas prises en charge et que ça ne fait qu’augmenter les risques de cyberharcèlement. »
Le cyberharcèlement, un enjeu encore trop souvent négligé
Des plaintes qui ne sont pas prises, des victimes qui ne sont pas considérées ni protégées, cela ne fait que renforcer le sentiment d’impunité des agresseurs derrière leur écran. À cela s’ajoute le manque de réactivité lorsque l’on signale des comptes ou contenus haineux en ligne, du côté des plateformes comme du côté de Pharos, l’outil gouvernemental dédié au signalement des propos illicites.
« Au delà de ce fait, il n’y a pas eu de prise de conscience globale de l’impact du cyberharcèlement, comme il commence à y avoir pour les violences sexistes et sexuelles », estime Marylie, qui poursuit :
« La société ne se rend pas compte de ce que ça fait de recevoir des milliers de messages qui sont des menaces de mort, des menaces de viols. Les gens ne se rendent pas compte.
Ce qui est de plus en plus grave, c’est que ça peut intervenir dans la vie réelle, comme c’est le cas de Sindy qui a été agressée chez elle. »
Nous Toutes fustige le manque de moyens humains, matériels, financiers pour faire de la lutte contre le cyberharcèlement une priorité. Lors de la marche contre les violences faites aux femmes qui aura lieu le 20 novembre prochain à Paris, elle prévoit des actions pour dénoncer les violences en lignes.
Interviewée par Le Mouv, Sindy espère faire bouger les lignes grâce à sa prise de parole :
« Je voudrais un ministre de l’Internet. En France, ce n’est pas normal qu’on ait une cybersécurité aussi éclatée au sol. Je voudrais rencontrer des politiques pour leur faire comprendre que moi et mes copains d’Internet, on ne va pas lâcher. On va trouver des solutions pour enfermer ces gens-là, pour les faire payer pour de vrai. Car pour les harceleurs en ligne, c’est trop facile de s’en sortir. Il faut qu’on arrive à créer une brigade d’Internet. »
Les réseaux sociaux ont beau avoir montré leur rôle ces dernières années dans le combat contre les violences sexistes et sexuelles, ils ne doivent pas devenir une planche de salut pour les victimes de cyberharcèlement : ce serait un grave échec pour la justice, et par extension pour les institutions régissant nos sociétés.
À lire aussi : Nadia Daam, Sara Lou, Alice Barbe… elles racontent leur cyberharcèlement dans #SalePute, sur Arte
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