#LevonsLomerta !, exigent les victimes de harcèlement et d’agressions sexuelles qui ont pris la parole, les militant•es et les personnalités engagées, à la suite de l’affaire Baupin.
Mais pourquoi personne n’a rien dit ? Si c’est aussi courant qu’on commence à le dire, le harcèlement sexuel, si les victimes sont si nombreuses, si les agresseurs sont si peu gênés de se comporter de la sorte avec leurs collègues ou leurs collaboratrices… pourquoi est-ce qu’on n’en entend pas parler davantage ?
« Pourquoi n’ont-elles pas parlé avant ? »
Maïa Mazaurette apporte des éléments de réponse dans un article poignant publié chez GQ.
Elle y raconte son premier stage de journaliste. Et l’on commence à comprendre que si ces faits de harcèlement et d’agression sont aussi présents dans les microcosmes médiatiques que dans les couloirs des assemblées et des partis politiques, il n’y a rien d’étonnant à ce qu’il y ait si peu de publicité et de condamnations à ce sujet.
« Parce que vous seriez sidérés, vous aussi », comme l’écrit la journaliste :
« Parce que vous seriez sidérés aussi, si vous aviez 21 ans et qu’au cours de votre premier stage comme journaliste (pour le quotidien La Provence), un collaborateur de 55 ans vous roulait une pelle après un dîner. J’avais 21 ans. Il a tenté de m’empêcher de refermer la grille de ma résidence, il n’a pas réussi. […]
Sidération, donc. Vous seriez sidéré de savoir comment on se sent, à 21 ans, après qu’un vieux mec a mis sa langue dans votre bouche. »
Lire Silence, Sidération de Maïa Mazaurette, chez GQ.
Sidération des victimes, silence des agresseurs et des témoins complices
On sait pourquoi les victimes de harcèlement sexuel, d’agression ou de viol ne portent pas toujours plainte, voire « pas souvent ». C’est en partie à cause de cet effet de sidération que Maïa Mazaurette décrit si bien.
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Et puis il y a la rationalisation, le sentiment de honte et de culpabilité, dont parle Sandrine Rousseau, porte parole d’EELV, à l’antenne d’iTélé.
« C’est très difficile pour nous d’en parler au moment où ça se produit. Quand ça nous arrive on a l’impression d’être seule, on a l’impression qu’on va encore mettre le bazar, ça va être encore de notre faute, qu’on va encore payer l’addition de cette chose-là…
Donc c’est pour ça qu’on ne porte pas plainte, qu’il y a très peu de femmes qui portent plainte par rapport au nombre de celles qui sont victimes de ces choses-là. »
— Sandrine Rousseau sur iTélé, par téléphone.
Force morale et trempe de caractère…
Sandrine Rousseau est l’une des femmes qui témoignent publiquement. Et voici un exemple du prix que doivent encore payer celles qui osent dénoncer les harcèlements et agressions sexuelles dont elles sont victimes. Elle est élue dans la région Nord-Pas-de-Calais, et voici le message qu’elle a reçu d’une administrée.
Tout est dit :
« Si on n’a pas la force morale et la trempe d’un caractère pour remettre un malotru en place d’une bonne claque on ne se lance pas dans une course à la gouvernance d’une région et on ne se ridiculise pas devant un micro en pleurnichant qu’on s’est fait quelque peu « culbuter » par un goujat. »
Sandrine Rousseau commente le message, dans la suite de son post Facebook :
« Voilà exactement ce qui explique l’impunité des uns, le silence des autres et qui explique aussi qu’on ne vote pas si facilement pour des femmes (faibles) à la fin. Que les députés soient à 84% des hommes. »
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Voilà pourquoi le silence est si difficile à briser, pour les victimes. Mais ce n’est pas propre au milieu politique : la peur de perdre sa place, d’être écartée, mise au placard, virée, est réelle dans toutes les professions. Comme l’explique parfaitement Maia Mazaurette dans son témoignage :
« Vous ne pouvez pas être l’emmerdeuse. Les hommes plus vieux auraient eu un avertissement, vous n’auriez plus travaillé. C’est absolument clair et net. Je suis persuadée qu’encore aujourd’hui, une stagiaire parlant de harcèlement se ferait blacklister. Ce serait plus simple pour tout le monde. (Sauf pour elle.) »
https://youtu.be/zriTe4ECpbs
« C’est peut-être ça chez vous aussi, dans votre rédaction »
Autre témoignage percutant sur le sujet, celui de Cécile Duflot, dans l’émission C à vous. L’ancienne cheffe du parti rappelle que :
« C’est une femme sur 5 qui est victime de harcèlement sexiste au travail. C’est peut-être ça aussi chez vous, dans votre rédaction. »
L’ex-ministre du logement recentre bien le problème dans la société : le harcèlement sexuel n’est pas circonscrit au monde politique. Les autres sphères de la société ne sont pas épargnées.
À en juger par le témoignage de Maïa Mazaurette, on ne s’étonnera pas de l’absence de traitement (ou du mauvais traitement) médiatique des sujets relatifs au harcèlement sexuel.
Denis Baupin « dans de beaux draps ». Accusé de harcèlements et d’agressions sexuelles, vous vouliez dire, non ?
Les témoignages commencent à sortir. Les femmes commencent à oser parler.
Mais si le monde médiatique n’est pas prêt à respecter leur parole, parce qu’il protège en son sein les mêmes agresseurs, les mêmes comportements qui sont dénoncés, cette parole restera inaudible, inutile.
Nathalie Fontrel est journaliste en charge des questions d’écologie, chez France Inter — la maison qui co-signe l’enquête de l’affaire Baupin, avec Médiapart.
« Blagues défensives » et minimisation…
Le chemin s’annonce encore long, très long, et surtout très pénible, à en juger par les réactions engendrées à l’Assemblée Nationale par la publication des témoignages accusant Denis Baupin. Aude Lorriaux publie sur Slate une compilation accablante de « blagues » et commentaires des coulisses du Palais Bourbon :
« « Tout est tourné en dérision depuis lundi. Tout est minimisé, tout est pris à la légère. Comme s’il ne fallait, malgré tout, rien déranger ni remettre en question », constate Pascaline.
Pour d’autres, l’article de Mediapart a libéré une certaine parole sexiste, minoritaire à l’Assemblée mais réactivée par cette affaire.
« Certains nous ont dit : Baupin on comprend qu’il a fait ça vu la gueule de sa femme », se souvient Marlène*. […]
Des « blagues » qui heurtent et qui blessent, et qui sont en fait pour Pascaline « tout sauf des blagues » mais « un moyen très puissant utilisé pour maintenir la domination des uns sur les autres, pour faire valoir et légitimer l’assisse de la « norme » du privilégié dans notre société (et donc des discriminations) : un homme blanc, riche, hétérosexuel ». »
On n’est vraiment, vraiment pas sorti•es de l’auberge… Des blagues ! Ils osent tourner en ridicule la parole des femmes qui ont le courage de dénoncer ce qui devrait être inacceptable dans la société en général, et a fortiori au sein de ses instances représentatives.
Un autre article de Slate a beaucoup tourné, cette semaine. À propos d’un autre témoignage, qui a été envoyé au site suite à tout le bruit médiatique provoqué par « l’affaire Baupin » :
« Les filles, le harcèlement sexuel n’est pas une croix de guerre à porter fièrement à la boutonnière en se félicitant d’avoir survécu à une jungle d’animaux politiques en rut ! Ce n’est pas le prix à payer ; de toute façon, c’est beaucoup trop cher.
Le harcèlement sexuel n’est pas non plus l’hommage flatteur d’un galant persévérant, c’est une violence intolérable. Tout comme les blagues baveuses sur une paire de jambes ou de seins à la machine à café : « C’est pour déconner hein, t’as pas d’humour ». Nous avons le devoir de parler et de soutenir celles qui décident de le faire. […]
C’est à nous Françaises de décider que les mots déplacés, les assauts répétés et les abus de pouvoir n’ont aucune raison de figurer avec le camembert au Panthéon de nos fiertés culturelles. »
« Ça peut être très tranquille un viol, le silence enfoncé dans la gorge, les yeux au plafond », sur Slate
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Si on n’en parle pas, ça ne changera pas
S’il y a un enseignement que nous pouvons tou•tes tirer de cette semaine, de ces témoignages et des réactions qu’ils ont suscité, c’est qu’il faut parler. Si les victimes, si les témoins de ces agissements n’en parlent pas, ça ne changera pas. Elen Debost a été mise en garde : « ne parle pas seule. »
Alors ne parlez pas seules, parlons ensemble. Venez témoigner.
Si tu as déjà été victime de harcèlement sexuel sur ton lieu de travail, au sein de ton école, de ton université, d’une association, d’un club sportif ou culturel, viens témoigner.
Si tu as été témoin d’agissements répréhensibles, de commentaires sexistes, « déplacés », d’affaires reportées, étouffées, de « blagues » dites « grivoises », viens témoigner.
Nos colonnes sont ouvertes.
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
Ça reste mal, ça reste du sexisme. Là où c'est mieux (dans le mal, on s'entend) c'est que, au moins, je n'ai plus peur et que je me sens en sécurité.