Je dis pas ça pour narguer qui que ce soit, mais je suis en vacances dans 7 jours et – au moment où j’écris cette phrase – une heure et quarante minutes. Une heure et vingt-quatre minutes au moment où je reprends cette phrase.
C’est dur. C’est dur parce que c’est la dernière ligne droite. Certes, ça fait quelques mois que je n’ai pas pris de vacances, mais j’aurais pu tenir encore longtemps si au fond de moi, je ne savais pas que dans quelques petits jours, je n’aurai rien à faire.
Rien d’autre que de manger et de rosir sur le sable. De perdre mon maillot de bain dans l’eau puis de râler et pester de cacher mes tétons avec mon avant-bras pour aller jusqu’à ma serviette et me cacher des regards inconnus. Puis de rentrer à l’appartement et promettre qu’on ne m’y reprendra plus, promettre que je remettrai plus jamais un pied dans ces vagues mangeuses de soutifs. Et, évidemment, recommencer le lendemain la même routine.
C’est pour ça que j’achète des maillots de bain pas chers. Parce que mon sein est le bouc émissaire des vagues et de l’écume.
J’ai hâte d’être en vacances parce que globalement, passer dix jours à ne rien faire, ça m’enchante, mais surtout parce que ma vie est insupportable depuis quelques jours. Pourquoi ? Parce que mon corps SAIT, tout comme mon cerveau, qu’il pourra bientôt ne rien faire. Et que, trop pressé d’y être, il n’a plus envie de bosser, alors que, oh, je suis pas payée à rien foutre. Et ils me lâchent, salement.
Alors viens : je t’invite dans une journée de ma vie, à J-7 de mes vacances. Et peut-être t’y reconnaîtras-tu, et peut-être me plaindras-tu, et peut-être auras-tu envie de me foutre des pains, je sais pas.
7h31 – Comme tous les matins, mon réveil sonne. Comme tous les matins, je l’éteins systématiquement. Comme tous les matins depuis une semaine, je m’étale à nouveau, sûre d’être trop réveillée pour me rendormir, sur mon oreiller. Sur ma joue, je sens l’humidité de ma bave. C’est frais, et réconfortant. Je me rendors.
8h20 – Comme tous les matins depuis une semaine, je sursaute, le coeur palpitant : je me suis rendormie. Je suis en retard. De cinquante minutes sur mon planning de préparation habituel.
8h21 – N’ayant pas le temps de boire mon café habituel, j’avale quatre gorgées de jus de pomme à même la bouteille. J’attrape le premier truc à me mettre sous la dent.
8h22 – Je me dirige vers la salle de bains, porte les victuailles à ma bouche, et, en croquant, réalise que ce sont des chips.
8h22 bis – Il est beaucoup trop tôt pour des chips. Mais mon estomac n’en est pas à son premier affront et je me contente de grogner en m’imaginant passer la journée à essayer de décoller des bouts de pommes de terre de mes dents. Ces mêmes bouts qui n’auront pas voulu partir pendant mon brossage de dents de…
…8h23 – Je me coupe les ongles. Ah oui ? EH BAH NAN. C’était pour voir si tu suivais. Puisqu’à 8h23, comme je l’ai précisé à 8h22, je me brosse les dents.
8h35 – Je réalise en me rasant l’aisselle droite que tenir un objet coupant aussi près de son corps tandis que ses yeux collent encore l’un à l’autre peut être dangereux. Il me faut faire preuve de pruden-
8h36 – Je me suis coupée l’aisselle. Je suis une écorchée vive, sacrifiée à l’autel de la peau lisse. Je pleure un peu.
8h45 – Je sors de la douche, pour y retourner aussitôt : j’ai oublié de me laver les pieds, et par 30°C, je peux moyennement y couper.
8h47 – Je ressors de la douche. Je dois être au bureau dans treize minutes. Je vis à 35 minutes à pieds, mais 15 en métro. Tout est encore faisable.
8h56 – Je suis dans l’ascenseur. D’habitude y a jamais personne alors que je suis en état de discuter, mais là, y a le gardien. Si ça se trouve j’ai encore des croûtes d’oeil et puis j’ai pas eu le temps ne serait-ce que de me racler la gorge et il va me prendre pour une accro à la drogue et prévenir l’agence et je vais perdre mon appartement que j’aime tant et tout. Ce serait bien la merde, tiens.
9h – Dans le métro, la moiteur. Fière d’avoir eu le temps de prendre une douche, je me tiens beaucoup trop haut sur la barre pour faire sentir ma fraîcheur aux inconnus.
9h02 – Ce n’est pas vraiment de l’appréciation de la fraîcheur que je vois dans les yeux de l’usager de métro en face de moi. Plus un peu de dégoût. Je suis la trajectoire de sa rétine : c’est mon aisselle qu’il regarde. Mon aisselle qui saigne encore. Je me colle un bout de mouchoir sur la plaie pour ne pas tacher mon top et baisse le nez vers le sol en même temps que mon bras.
9h20 – J’arrive au boulot. Soudain, je déborde d’énergie. J’ai un pic de productivité, finis un premier petit article en 20 minutes, entame un second dans la foulée. Je me sens bien, je me sens forte. Mon coup de barre qui a duré quelques jours n’est plus. Je l’ai vaincu. AH ! Il fait moins le malin ce fils de chien.
9h55 – Je commence à patiner à nouveau. Je patauge dans le pédiluve. Je pédale dans la semoule. Je cours dans les sables mouvants. Je me traîne à plat ventre sur le macadam brûlant de la vie.
10h01, je tente de tenir le coup, coûte que coûte, pour être productive en me déplaçant de ma chaise de bureau jusqu’au gros coussin. 10h03, je sombre dans une micro-sieste.
12h – Je finis mon deuxième petit article. En deux heures, je n’ai eu de cesse d’effacer mes phrases, de les recommencer, de chercher des idées d’articles différents, d’oublier ce que j’étais en train de faire, de fixer un point dans le vide en pensant à rien du tout. Dans mon cerveau, le vide.
12h30 – Faisant fi de la fin du mois, je décide d’aller manger de la viande rouge en terrasse. Je me dis que la viande rouge est le remède à tous mes maux. Qu’en finissant cette entrecôte dans mon assiette, je retrouverai les forces, et l’énergie, tout ce qu’il faut pour faire des beaux articles grands et forts, avec des gros muscles et des épaules larges. Des articles qui pourraient choper n’importe qui dans le monde.
12h31 – En fait, je réalise que mon travail est comme l’enfant que je n’ai pas. J’ai envie que tout ce qui sorte de moi soit grand et fort. (… Sauf peut-être tout ce qui sort de mes intestins.)
14h – Peut-être que la viande rouge m’a donné des forces, mais la viande rouge m’est difficile à digérer. Je sais que je vais passer le reste de ma journée à me tordre de douleur, la nausée pour seule compagne.
14h31 – La nausée et puis aussi mon cerveau embrumé.
La nausée, mon cerveau embrumé et la chaleur humide dans mon sillon interfessier. Heureusement, Pedro le ventilo est là pour redonner un semblant de sécheresse là où le soleil ne brille jamais.
15h02 – J’accroche un sachet de thé à ma bouteille d’eau en verre. « Regarde, ça fait comme une boucle d’oreille, héhé. Elle en a qu’une », que je dis. « C’est Bernard Lavilliers ma bouteille d’eau. » J’attends les éclats de rire des collègues totalement soufflées par la force de mon humour. Il va sans dire que cette blague étant incompréhensible pour qui n’est pas moi, ils n’arrivent pas.
15h10 – Je repense à ma blague et je ris.
15h20 – Je ris encore. De plus en plus fort.
15h24 – J’ai peur que mon rire dérange mes collègues, et ça me fait encore un peu plus rire. Je voudrais pas bosser avec moi, si je n’étais pas moi.
16h – Je réalise que je suis censée finir ma journée dans deux heures et que je n’ai presque rien écrit. Il serait grand temps que je m’y mette.
16h05 – Oui mais en même temps, j’ai mal au ventre et j’ai envie de vomir. Je suis plus forte qu’un mal de ventre et une envie de vomir. Je le sais, que je suis une personne forte. Je le sais parce que je traverse même quand le bonhomme est rouge. Rien ne m’arrête, rien. Je suis de ces personnes qui tracent leur chemin dans la glaise sans se laisser impressionner par les conventions.
Une photo poignante d’une femme qui doit accomplir une mission, quelle que soit les munitions qui lui manquent.
16h06 – Mais alors si je suis du genre à ne pas me laisser impressionner par les conventions, pourquoi est-ce que je ne sais pas roter ?
16h30 – Ça ferait une bonne idée d’article, mon rapport incohérent aux conventions sociales. Je commence à en dessiner le plan pour prendre de l’avance sur la semaine prochaine.
17h – Ah oui mais prendre de l’avance c’est bien mignon mais si je prends du retard sur aujourd’hui en prenant de l’avance pour plus tard, on s’en sort pas.
17h44 – L’euphorie retombée, je rentre les épaules, soupire, regarde dans le vague. « J’aurai jamais le temps de finir mon article. »
17h59 – Un ou une collègue (préservons un peu leur anonymat) me demande comment je fais pour savoir que mon pipi sent les Smacks quand je mange des Smacks. Je ne sais que répondre et laisse la conversation changer de sujet. Je me sens impuissante.
18h01 – Mais si je sais ! C’est parce que l’odeur remplit les toilettes ! Point besoin d’avoir le nez sur son urine pour savoir ce qu’elle sent ! J’essaie de capter l’attention de tout le monde pour faire connaître ma réponse, mais le sujet n’est plus d’actualité.
18h04 – « La nouvelle vidéo de Golden Moustache est sort- – C’est parce que l’odeur du pipi se sent même de loin ! »
Un ange passe. Tout le monde avait oublié qu’on parlait de l’odeur des Smacks dans la pièce. Peut-être qu’on n’en a jamais parlé, qui sait ? Peut-être que je délire. Et si ça se trouve, les gens autour de moi et le monde qui m’entoure n’existe que dans ma tête, et moi je vis dans un cube, comme tous les autres êtres humains. On est tous cryogénisés en attendant que la Terre redevienne viable.
Nan mais c’est vrai au fond, on sait pas.
18h10 – Machinalement, j’ouvre Instagram. J’y trouve une quantité impressionnante de photos de vacances. C’est ça, qu’il me fallait : des décors paradisiaques pour me rappeler que bientôt, ce sera mon tour. Et que ce serait dommage de ne pas avoir fini mon article d’aujourd’hui d’ici là.
Alors je mets le turbo et je finis mon papier. Lasse, je vais m’allonger, épuisée, sur le sol.
Mais j’ai fini mon article, et j’aime ma vie. Je peux rentrer chez moi et sortir et rentrer trop tard et me réveiller en retard et arriver au boulot tout en sueur et en stress, pour recommencer exactement le même processus demain et attendre les vacances avec encore plus de frénésie dans mon coeur.
Et tu sais pas le pire ? C’est qu’à partir de la deuxième semaine de vacances, j’aurais hâte de reprendre le boulot.
Tu parles d’une plaie dans les fesses que je suis.
— À lire aussi : que faire en attendant les vacances ?
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Les Commentaires
Mais en tous cas je suis d'accord avec ce que tu dis, même si je pense qu'on oublie un peu les embrouilles qui ont quand même eu un retentissement sur beaucoup de choses, selon moi. Après c'est peut-être une idée que je me fais.
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