Jean-Eude qui joue dans la piscine, Marie-Cystite qui dévore son gâteau d’anniversaire… Les tranches de vie des enfants sont souvent exposées sur les réseaux sociaux par leurs parents, qui n’y voient pas le mal. Pourtant, les dangers de ces pratiques sont bien réels.
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Le « sharenting », le nouveau fléau 2.0.
Le « sharenting », contraction des mots « share » et de « parenting », est un terme qui désigne le fait de partager régulièrement des photos de sa progéniture et autres anecdotes mignonnes sur les réseaux sociaux. À première vue anodin, cet acte peut faire des ravages sur de multiples points.
Il y a quelques jours, l’association de lutte contre l’enfance maltraitée, l’Enfant Bleu, lançait une vaste campagne de sensibilisation pour lutter contre le sharenting :
50 % des photos publiées sur les forums pédopornographiques sont des clichés pris par les parents et partagés publiquement sur leurs réseaux sociaux.
Laura Morin, directrice nationale de l’Enfant bleu, pour Le Parisien
Un chiffre glaçant. L’année dernière, nous vous avions parlé de cette vidéo TikTok de l’utilisatrice @hashtagfacts, qui montrait, chiffres à l’appui, le nombre d’enregistrements qui étaient effectués sous les vidéos d’une petite fille de 4 ans dont la vie était exposée par sa mère, en ligne, en fonction de ce qu’elle y faisait. L’enfant joue avec des billets ? Hop, 10 000 enregistrements sont faits. Elle mange un hot-dog ? Boom, 375 000 enregistrements. Les pédocriminels qui pullulent sur TikTok et Instagram ne sont pas des légendes, ils existent bien et ils se nourrissent des contenus mettant en scène les jeunes enfants que leurs parents partagent.
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Celles et ceux qui partagent ces instants de vie ne se doutent pas, pour la plupart, que les photos et les vidéos de leurs enfants peuvent alimenter les réseaux de pédocriminels. Pour eux, le sharenting est aussi un excellent moyen de se sentir connectés aux autres, notamment pour les parents qui vivent loin de leurs proches.
Le fait de partager des photos, des vidéos ou des tranches de vie de son enfant peut être aussi une manière d’échanger avec d’autres parents et de se rassurer les uns les autres. Pourtant, en plus des dangers que cela représente, les parents oublient aussi souvent un point non négligeable à ces partages : le consentement de leur enfant à être exposé ainsi.
L’Intelligence artificielle en lutte contre le sharenting
Il y a quelques semaines, Deutsche Telekom, une des plus grandes sociétés européennes de télécommunications, a publié une publicité choc, qui nous donne l’impression de nous retrouver dans un épisode de la série Black Mirror.
La vidéo commence en donnant des chiffres forts : 75 % des parents partagent des contenus de leurs enfants sur les réseaux sociaux, et 8 parents sur 10 ont des followers qu’ils ne connaissent pas. La publicité enchaîne, en mettant en scène une petite fille de 9 ans dont le visage a été vieilli grâce à l’Intelligence artificielle, et qui s’adresse directement à ses parents. Elle leur explique que partager sa vie, son enfance, sur les réseaux et sans son consentement, peut avoir des effets dramatiques sur sa vie future, et qu’ils en sont responsables. Pédocriminalité, usurpation d’identité, harcèlement scolaire…
L’IA a réussi à créer le visage qu’elle pourrait avoir adolescente, juste en reprenant les photos et les vidéos disponibles en accès libre sur les réseaux, et à la faire parler. C’est stupéfiant.
Une phrase, dite par la jeune femme fictive lorsqu’elle s’adresse à ses parents, est tout particulièrement à retenir : « ce que vous partagez de moi en ligne est comme une empreinte digitale qui me suivra pour le reste de ma vie ». Rappelons-le : ce qui est partagé sur internet y est pour toujours.
Soyons clairs, cette vidéo est culpabilisante pour tous les parents, pour ceux qui mettent innocemment des photos de leurs enfants sur internet. Elle les rend, de façon détournée, responsables de la déviance et des crimes des autres utilisateurs. Cette vidéo n’est pas agréable à voir, elle n’est pas plaisante, et on peut lui reprocher de poser le curseur sur les mauvaises personnes, à savoir les parents, plutôt que sûr que les criminels. On peut même y voir une forme de victim blaming.
Mais il est aussi de la responsabilité des parents de protéger leur progéniture et de ne pas participer à l’alimentation de la part sombre du net. On ne parle pas d’adultes consentants qui s’exposent sur les réseaux sociaux, on parle d’enfants, ce n’est pas la même chose.
Une loi pour encadrer ces publications
Bruno Studer, député à l’origine d’un projet de loi permettant d’encadrer la visibilité des enfants sur Internet et de sanctionner les parents abusifs, mais également à l’origine de la loi sur la protection des enfants influenceurs et l’encadrement de leur activité, avait déclaré sur BMF TV en janvier dernier :
[l faut] introduire la notion de vie privée dans la définition de l’autorité parentale [et envisager] une délégation forcée de l’autorité parentale dans les situations où l’intérêt des parents rentre en conflit avec l’intérêt de l’enfant dans l’exercice du droit à l’image de ce dernier.
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Les enfants, comme tous les individus, ont le droit au respect de leur vie privée. Or, par leur âge, ils ne sont pas capables de consentir à ces publications et encore moins d’en mesurer les conséquences.
Dans un monde qui a du mal à placer une frontière nette entre la réalité et le virtuel, entre la vie sur les réseaux sociaux et la vie réelle, et à identifier clairement tous les dangers qui existent en ligne, il est crucial, voire vital, de donner une véritable protection digitale aux enfants.
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
Il y a des parents qui mettent en scène des anecdotes avec leurs enfants en se grimant eux-mêmes en enfant, ou utilisent des poupées pour se faire. Donc c'est tout à fait possible de faire des vidéos pour parler d'enfants sans en montrer.