Chaque matinée devant la penderie, c’est le grand écart : on doit porter une seule tenue, mais en assurant socialement plusieurs rôles parfois contradictoires. La businesswoman de 9 heures du matin sera super glamour en vernissage à 9 heures du soir avant de s’écrouler devant la télé, et entretemps, il y aura eu le supermarché, la banque, le dîner avec le copain, la visite aux parents ou le cours de sport. Il y a de quoi passer trop de temps devant son armoire, non ? A l’arrivée, le mix choisi n’est pas tant personnel que flexible d’utilisation : les petites robes noires et les jeans multitâches se vendent à la pelle, au point de transformer le métro en attaque de clones. Mais ce n’est pas grave : quand on essaie de plaire à tout le monde, on se contente de limiter la casse… alors que si on essayait de plaire à une seule personne, on serait carrément dans le pétrin.
– Si on s’habillait pour… son mec. On incarnerait la femme fatale absolue en talons hauts, bas et décolleté, sans aucune limite dans la décence, d’ailleurs la plupart du temps on ne s’habillerait pas du tout. Selon la personnalité du copain en question, on passerait son temps dehors pour jouer les trophées, ou à l’intérieur pour faire joli dans le lit. Revers de la médaille : si le mec est jaloux, on se retrouverait cantonnée dans le rôle de femme inaccessible – très (trop) raisonnable, histoire qu’aucun gêneur ne soit tenté d’approcher. S’habiller pour un homme c’est quitte ou double. Dangereux, trop dangereux.
– Si on s’habillait pour… son médecin. Talons orthopédiques de trois centimètres pour ne pas fatiguer le dos, culotte en coton pour ne pas chopper d’infection, pantalons larges pour favoriser la circulation sanguine, bas de contention si on bosse assise ou si on prend l’avion, chapeau pour éviter le vieillissement et les problèmes de peau, pas de ceinture serrée, pas de sac porté sur une seule épaule… autant dire qu’on peut refaire sa garde-robe de zéro. Et oublier son sex-appeal.
– Si on s’habillait pour… ses parents. Il y a des chances qu’on se trouve remisée dans le rôle de femme-enfant, espiègle mais franchement sage, avec des fringues trop petites ou trop grandes. Il y a des mères qui se débrouillent pour que leurs ados n’expriment aucune féminité, d’autres qui poussent à montrer les jambes parce que ça leur permet d’être sexy par procuration… dans tous les cas, c’est flippant. Les parents, c’est plus cool autour d’un déjeuner que dans le placard à fringues, où tous les non-dits peuvent s’exprimer. Vous reprendrez un peu de névrose ? Non ?
– Si on s’habillait pour… son boss. La penderie serait remplie de cinq fois la même tenue passe-partout qui ne fait perdre de temps à personne en ragots. On se retrouverait à porter un tailleur gris ou un uniforme MacDo même les jours de congé, histoire de « représenter ». Sauf si vous bossez dans la haute-couture, ce serait vraiment embêtant. Déjà qu’on bosse huit heures par jour dans une boîte, s’il faut en plus trimballer l’entreprise jusque dans ses chaussures, ça ne va pas être possible.
– Si on s’habillait pour… son gamin. On resterait pragmatique tout en gagnant du temps : tenue indéchirable, infroissable, invomissable, possiblement bactériobloquante et hypoallergénique. Comment on appelle ça, déjà ? Ah oui, une combinaison de protection nucléaire. Mais colorée. Parce que c’est plus gai.
– Si on s’habillait pour… les flics.
Apparemment la mode veut qu’on demande aux femmes de se rhabiller histoire de ne pas « tenter le diable », parce que chacun sait que dès qu’on parle de sexe – harcèlement ou viol – les victimes sont en fait des coupables. Pour ces flics qui prennent leur boulot de protection très au sérieux, il faudrait se mettre en pantalon serré et gros pull repousse-mec, avec une banane plaquée au corps pour le téléphone, la thune et les papiers… Tant qu’à faciliter la tâche des forces de l’ordre, du coup, il faudrait directement être un homme. Sympa.
– Si on s’habillait pour… Dieu. Alors ça dépend un peu de votre chapelle mais il faut savoir que ça peut se terminer en sari orange, crâne rasé et clochettes, voire en toge blanche façon Raël, ce qu’on ne souhaite à personne. La spiritualité intérieure, formidable. C’est quand ça sort qu’on commence à avoir des ennuis. Vous connaissez une seule religion qui permet de s’habiller de manière originale et chouette ? Le consumérisme ne compte pas comme religion :)
– Si on s’habillait pour… ses copines. Ouhlà. Vous savez que ce genre de choses termine très mal, hein ? Personnellement, je finirais en minirobe à paillettes et escarpins de 14 centimètres, ce qui fonctionne moyennement quand je vais acheter du papier-toilette au Lidl. Mais peut-être que je choisis mal mes amies.
– Si on s’habillait pour… son banquier / postier / conseiller Pôle Emploi. Il faudrait avoir l’air un tout petit peu pathétique, histoire d’obtenir plus facilement ce qu’on veut. Un pull légèrement troué aux coudes, par exemple. Être surlookée en soirée, passe encore, mais surlookée à la Sécu, on commence à te regarder bizarrement.
– Si on s’habillait pour… la télé. Passons sur les quatorze couches de fond de teint et jetons gaiement les trois-quarts de notre vestiaire : pas de couleurs trop claires parce que ça crame les yeux, pas de motifs trop petits qui ne passeront pas à l’écran, pas de noir ou de gris parce que c’est triste. Méfiance sur les événements publics parce que pour parler en colloque, il faut faire exactement l’inverse. Dur.
Pour clore le débat, on aime penser qu’on s’habille pour soi et rien que pour soi. Dans les faits, je me demande à quoi ça ressemblerait, de s’habiller sans aucun impératif extérieur : pour ma part j’écris cet article en jogging informe, j’espère que ça répond à la question…
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires
Je pense pas que cette partie de l'article soit à prendre au premier premier degré (comme tout l'article d'ailleurs...).
Maïa faisait juste référence à un officier de police canadien qui avait dit que les femmes se feraient moins violer si elles évitaient de s'habiller comme des catins. Ce qui a été le point de départ de nombreuses "slutwalk" (marche des salopes) pour protester contre cette déclaration en particulier et ce préjugé en général.
Voilà, je pense juste que c'était plus une référence détournée à l'actualité qu'une volonté de stigmatiser les policiers