Non, je ne serai jamais une Sherlockian. Jamais. Never was, never will. J’ai bien essayé d’accrocher, de suivre les conseils de tout le monde, mais je n’ai pas réussi. J’ai échoué, salement, lamentablement.
J’ajoute au cas où que si quelques lecteurs ou lectrices plus ou moins fidèles tiennent vraiment à envoyer des menaces de mort, sachez au moins qu’une des trois cautions Sherlockian de la rédaction n’était pas totalement pour que l’article soit écrit.
Laissez-la en dehors de ça et envoyez-lui plutôt des gifs de Moriarty. Elle a insisté et tout hein. Évitez également d’envoyer des rats morts au reste des rédactrices, puisqu’elles ne savent présentement pas ce que je suis en train d’écrire. Je ne dis pas qu’elles m’auraient toutes empêché de le faire en m’attachant à une chaise pour autre chose, malheureusement, qu’une séance de bondage, je dis juste qu’elles ne savent pas. Du coup si vous envoyez des lettres d’anthrax, écrivez bien « ANTHRAX » en gros dessus : promis, c’est moi qui les ouvrirai et pas quelqu’un d’autre.
Si je prends toutes ces précautions pour protéger mes collègues, c’est parce que les fangirls et fanboys ont tendance à m’effrayer. Pas tous, pas vous sur madmoiZelle bien sûr. Quand je vais faire un tour sur le topic des Sherlockians, je vous avouerai que je suis un peu perdue mais ça reste gentil et ouvert.
J’ai plutôt peur des autres, de ceux de l’ombre, imprévisibles, dont je ne saurais mesurer le risque de bashing sur les réseaux sociaux. D’ailleurs, avant de faire cet article, j’ai bien vérifié qu’il n’y avait aucun dossier à hacker sur mon téléphone. Aucune photo de moi à poil, pas de SMS sur de prétendus fantasmes zoophiles, pas de vidéo prise aux toilettes, pas de sextapes, rien.
Ça ne devrait pas être grave de ne pas aimer Sherlock, mais je n’ai jamais osé le dire sur Twitter ou Facebook ou tout autre réseau vu ce qu’on s’est pris dans la tronche quand on a osé faire part de notre énorme déception après The Dark Knight Rises. Du coup, quand je vois l’engouement affolant des gens pour la série, j’ose même pas faire une ou deux vannes de peur de me prendre à nouveau des accusations de consanguinité et de dégustation de mes propres déjections dans la face.
Je me dis que, comme quand j’avais avoué avec force mauvaise foi ne pas aimer Johnny Depp, il y aura bien une ou deux personnes pour me conseiller jovialement d’aller me pendre, si ça se trouve. Si ça se trouve — bonus : peut-être même qu’on m’offrira une corde pour que j’oublie pas.
Mais ça suffit, toute cette pression. J’ai envie de pouvoir dire que je n’ai pas ressenti plus d’excitation en regardant la première saison de Sherlock qu’en voyant un téléfilm policier vite fait mal fait à la télé. J’ai envie de pouvoir vivre librement, sans carcan sans obligation sans soutien-gorge si j’ai envie. Alors je le dis, j’ose enfin m’exprimer, je ne reste plus cachée derrière ma lâcheté, empêchant d’autres personnes comme moi de se retrouver derrière mon témoignage sincère et désespéré :
POURQUOI ?
Il y a peu de séries qui peuvent se targuer de faire palpiter la culotte de leurs fans grâce à un héros au charisme prétendument incroyable. C’est une question que je me pose régulièrement : pourquoi, mettons, Luther, très bonne série au demeurant (et avec Idris Elba soit l’un des acteurs les plus sexy du monde) ne donne pas forcément envie à tout un tas de fans de s’arracher la chemise et de crypto-livetweeter les nouveaux épisodes ? Pourquoi est-ce que certains fans de Sherlock
ramènent tout à Sherlock même quand il n’y a aucun rapport, juste pour dire que la coupe de cheveux de tel politicien leur rappelle leur héros préféré ?
J’ai l’impression que je ne peux pas éviter Sherlock, quoique je fasse. J’ai l’impression d’être dans la bande-annonce d’un film d’horreur où je ne saurais pas si c’est moi qui suis paranoïaque ou le monde qui me ramène toujours au même truc. Quel que soit le sujet de conversation que je lance, ça reviendra toujours à la série de Steven Moffatt, surtout quand une nouvelle saison est diffusée, ou qu’une nouvelle saison est annoncée (ou repoussée) (ou encore repoussée) ou que la meuf de Benedict Cumberbatch a fait un pet de fouf.
Et tout ça, la faute à qui ? Aux gens qui font la série, précisément : s’il ne fallait pas attendre mille ans que trois épisodes soient écrits, que les acteurs soient disponibles, que le café soit bien chaud et les slips repassés, ON N’EN SERAIT PAS LÀ.
Merde quoi, sortez-vous les doigts de l’anus, arrêtez de faire des tortillons avec vos poils en ricanant de voir que les fans n’en peuvent plus, FAITES UN TRUC. Oui, j’en veux à Cumberbatch, oui, j’en veux à Martin Freeman (que j’aimais pourtant si fort quand il faisait semblant de se faire lécher le jonc dans Love Actually) : c’est bien joli de faire une carrière au cinéma et je suis tout à fait contente pour vous mais vous rendez les gens zozo les mecs, ZOZO !
Après faut pas s’étonner qu’ils écrivent des fanfictions de plus en plus WTF où Sherlock roule des pelles à tout le monde, de Moriarty à son pote Watson en passant bientôt, j’en suis à peu près sûre, par le chien de sa voisine.
Je vous tiens pour responsables des conversations que je ne comprends pas pendant les soirées, de l’impression de passer à côté de quelque chose, de mes vaines tentatives pour aimer la série alors que vraiment j’ai tout fait hein, j’ai tout fait pour y arriver, mais à part me faire lobotomiser la gueule y a rien à faire. RIEN.
Tout ça, ça pourrait ne pas me déranger du tout, si j’avais un jour été fangirl d’un truc. Ça me permettrait de comprendre pourquoi les tweets en capslock, pourquoi les gifs de la série partout, pourquoi les cris hystériques pour une simple photo de tournage.
J’ai déjà fantasmé, ça oui. J’ai déjà regardé des épisodes de séries jusqu’à ne plus en pouvoir, évidemment. J’ai déjà rêvé d’avoir le talent de mes actrices ou scénaristes préférées. Je suis humaine quoi.
Mais frémir d’impatience, frissonner de bonheur pour deux ou trois mots lâchés, m’engueuler avec quelqu’un pour des micro-spoilers, jamais. Jiahèmehahièss. JAMAIS. Sherlock sérieux, t’es en train de me faire complexer mec. Ça me rappelle l’époque où j’étais vierge et que des potes me disaient « tu sais pas ce que tu rates » alors que si, je savais parfaitement ce que je ratais, C’EST JUSTE QUE PERSONNE VOULAIT ME VOIR À POIL À L’ÉPOQUE EH TROUDBALS (troudbaux, peut-être ?).
Avant, quand je n’aimais pas quelque chose, je me contentais de me dire « ne le regarde pas, oublie ça et laisse tout le monde tranquille », et c’est ce que je faisais la plupart du temps. Avec Sherlock plus qu’avec n’importe quoi, plus qu’avec n’importe qui, c’est impossible. Impossible !
La mort de Mandela, la supposée infidélité du président, rien ne semble être plus au coeur des conversations que Sherlock. Même un pet d’aisselles en pleine conférence de presse de Barack Obama, je suis sûre, ferait moins de bruit qu’une micro-actualité sherlockienne. Tu t’imagines ?
Oui : ça me dégomme les ovaires. Oui : il fallait que ça sorte. Et pourtant, je ne peux rien demander aux Sherlockians, je ne peux décemment pas leur dire de la fermer cinq minutes avec leur série que je n’aimais pas trop il y a quelques mois et qui me donne presque envie de lui vomir dans la bouche — bien qu’une série n’ait pas plus de bouche que d’organe génital. Je trouve ça beau, ce dévouement. Je suis contente pour elles.
Non-Sherlockian, tu n’es pas isolée dans le monde, tu n’es plus seule et je suis désolée de n’oser faire mon coming-out qu’aujourd’hui. Je suis là, je te caresse les cheveux gentiment de loin et je te comprends. Je te comprends et je t’entends. Je te jure que si tu me dis, avec la voix tremblante pour trahir ton ras-le-bol, que tu trouves vraiment cette série à chier, que c’est complètement concon, que t’es à bout et que tu voudrais t’arracher les sourcils plutôt que d’en entendre encore une fois parler, je te comprendrais. Mieux : je serai heureuse de t’écouter.
NON.
Je te comprendrai aussi quand tu me diras que tu angoisses en pensant au jour où tes derniers potes qui n’ont pas encore cédé à la Sherlockmania succomberont tous en même temps, te laissant de côté, ton nez coulant de tristesse dans ton verre de rosé, pour en parler pendant plusieurs heures à chaque soirée. Je ne te jugerai pas.
Tu n’es plus seule.
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