C’est dans une robe en velours bordeaux d’inspiration quasi-médiévale qu’Alice Krige, actrice flamboyante de She Will, est venue présenter le premier long-métrage de Charlotte Colbert, sur la scène du festival du film fantastique de Gérardmer, vendredi 28 janvier au matin.
Ses longs cheveux roux coulant sur les épaules, elle a susurré des remerciements au public, venu en masse applaudir sa performance.
Et quelle performance.
She Will, ode aux sorcières, prière aux femmes
Veronica Ghent vient de subir une double mastectomie.
Ancienne actrice, star depuis ses 13 ans, « Nica » continue de faire la une des tabloïds.
Pour fuir sa condition et se retrouver seule, elle part en convalescence dans la campagne écossaise, dans un centre de repos censé n’accueillir qu’elle.
Pas de chance, à son arrivée elle découvre que tout un tas d’autres artistes au fond du seau font partie de l’aventure.
Horrifiée, elle préfère demeurer dans une vieille cahute dans la forêt, où il a l’air de faire -8000, plutôt que de dormir dans la bâtisse principale.
Ouvertement désagréable avec Desi, dont elle ne comprend pas l’androgynie, qu’elle décrit comme « si attrayante pour les jeunes, si repoussante pour les vieux », elle met un point d’honneur à rechigner à chaque activité proposée par le centre — dont le gourou est un infâme misogyne qui définit la chasse aux sorcières comme « une victoire de la raison sur les démons ».
Mais à peine arrivée, Nica semble irrésistiblement attirée par la forêt, où tombent des morceaux de charbon comme tombe la neige. La nuit, elle s’y fond, et fusionne avec les femmes brûlées vives quelques centenaires plus tôt, jusqu’à ne plus distinguer les contours de sa réalité.
Rabattant leurs caquets à tous les fervents représentants du vieux patriarcat blanc de sa retraite, et grâce au pouvoir des femmes mortes avant elle, Veronica se sent enfin suffisamment vivante pour accomplir sa vengeance.
Car derrière chacune de ses froideurs, Veronica dissimule l’abus dont elle a été victime enfant.
Contre l’avis de Desi, elle aussi confrontée aux drames qui courent la forêt, l’actrice souhaite demeurer aux confins de la campagne écossaise, où les cendres imprègnent la boue, l’eau et les corps de quiconque traine derrière lui un trauma.
She Will, splendeur visuelle VS intrigue fouillie
She Will éblouit d’abord par la splendeur de ses plans.
Dès la première minute, le film saisit par son impressionnante beauté, et file ses intentions esthétiques jusqu’à sa toute dernière seconde.
Là-dessus, rien à redire, d’autant que She Will est le premier long-métrage de sa réalisatrice. On a donc envie d’en voir pendant des heures, de ces travellings vertigineux, qui poursuivent l’oppresseur de Veronica comme un fantôme.
Malheureusement, et aussi louable que soit l’intention du film de rendre toute leur puissance aux femmes victimes de violences sexuelles et sexistes, She Will se perd dans une mise en scène peu claire et une intrigue alambiquée, opérant des flashbacks périlleux et sur-esthétisés sur l’enfance de Veronica.
Par ailleurs, la musique, de laquelle s’élèvent des voix de femmes, comme des incantations, habitent le dernier tiers du film de manière omniprésente, ce qui rend la fin tout bonnement fatigante. Petite déception également sur le traitement — superficiel — des personnages secondaires, qui n’ont aucune utilité dans le film.
Bref, en dépit de partis pris audacieux, She Will s’avère un poil brouillon, et aurait mérité sans doute un travail d’écriture plus aiguisé.
Mais cessons de chipoter, pour un premier long-métrage, She Will frappe fort, d’autant que sa figure de proue est d’un talent sans commune mesure.
Phénoménale Alice Krige
Coutumière des œuvres de genre puisqu’elle s’était déjà incarnée dans The OA, Carnival Row, The Alienist et qu’elle sera bientôt à l’affiche des nouvelles moutures de Massacre à la tronçonneuse et d’Hansel et Gretel, Alice Krige envoûte au point qu’on a du mal à se la sortir de la tête.
Il faut dire qu’elle perfectionne son talent depuis 1981, année où elle s’est illustrée dans son premier film de cinéma Les Chariots de feu de Sybil Gordon, et n’arrête plus de tourner depuis, se produisant dans un long-métrage par an.
Désormais âgée de 67 ans, cette sud-africaine est le pilier de She Will, qu’elle habite de fond en comble, sans jamais faiblir.
Elle est l’âme du film et forme avec Kota Eberhardt, une actrice américaine de 32 ans, un binôme solide, que même les inconsistances d’écritures de She Will ne parviennent pas à tourmenter.
Aux côtés de Malcolm McDowell, dont le regard continue à glacer le sang même 50 ans après Orange Mécanique, les actrices, comme les sorcières à qui elles empruntent la magie, envoutent au point qu’il ne nous reste plus, à la fin de She Will, de résistance au film.
Résultat : en dépit de ses défauts évidents, on voue un culte à la fiction troublante de Charlotte Colbert.
She Will, réalisé par Charlotte Colbert et co-produit par Dario Argento, sortira le 31 août au cinéma.
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