Le 23 mars, une lycéenne tweetait des photos de la tenue qui lui avait valu d’être jugée indécente par sa proviseure. Emma se montrait en jupe et pull, et expliquait :
https://twitter.com/jumcileta/status/844873276774105088
Partagé 12 000 fois, le tweet a relancé la polémique de la prétendue « bienséance » en matière de tenues des filles.
Les témoignages de collégiennes ou lycéennes culpabilisées ou sanctionnées à cause de vêtements jugés indécents par leur établissement scolaire se sont multipliés.
Pour savoir à quel point les madmoiZelles étaient concernées par le problème, nous leur avons demandé si elles avaient vécu des humiliations similaires.
Elles nous racontent ces fois où l’on a jugé leurs tenues « indécentes », « pas appropriées », « pas correctes » au lycée, au collège… et même à l’école primaire.
Une tenue « indécente », c’est quoi ?
En fonction des différents établissements où sont allées nos madmoiZelles, la notion d’« indécence » varie beaucoup.
Pour autant, un certain nombre de vêtements spécifiques semblent dans le viseur : au lycée Émile Loubet de Valence par exemple, les jupes trop « courtes », les jeans troués et le maquillage trop « voyant » sont interdits sous peine d’exclusion.
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Un habit « indécent », ça serait donc un vêtement qui en montre « trop », une tenue « limite », comme le dirait la surveillante de Louise, qui l’a convoquée chez sa CPE pour avoir porté un short à l’école.
C’est en tout cas ce que nous dit Chloé :
« Des remarques sur les débardeurs qui montrent « trop » les épaules, j’en ai eu tout au long de ma scolarité.
Généralement, on me demandait de mettre un gilet ou un pull, et on me disait que ce n’était pas décent et qu’il faudrait faire attention la prochaine fois. »
La difficulté, pour les madmoiZelles, c’est donc de déterminer la marge plus ou moins implicite qui transformerait un vêtement « décent » en une tenue « incorrecte ».
Souvent, c’est donc l’adulte surveillant ou le professeur qui choisit arbitrairement la limite.
Pendant la scolarité de Madeleine, par exemple, sa prof principale « observait nos jambes, nos décolletés, nos manches, pour nous apprendre à nous habiller « décemment ». Montrer de la peau, c’était ne pas se respecter ».
Tout un programme.
D’ailleurs, Andréa nous explique qu’à l’école, il lui est arrivé régulièrement de se « prendre des remarques très brutales » quand elle portait « une jupe qui arrivait juste au-dessus du genou, à peine deux ou trois centimètres ».
Cette question du genou semble centrale dans le débat sur la bienséance.
Jupes et robes ont longtemps été les seuls vêtements décents pour une femme (l’Église leur interdisait de s’habiller comme les hommes, c’est-à-dire de porter le pantalon, qui montrait trop leurs formes) (jusque dans les années 60, un prêtre pouvait refuser la communion à une femme en pantalon).
Depuis, les choses ont évolué, mais tout n’est pas gagné : les jupes n’ont l’air tolérées qu’à partir d’une certaine longueur, en-dessous de laquelle la tenue est jugée indécente.
Il a d’ailleurs fallu qu’Isabelle, qui a été dans un collège et un lycée privé catholique, attende d’être à l’université pour découvrir la joie de pouvoir enfin porter ce qui lui plaît :
« Maintenant que je suis à l’université, je profite comme une folle et je porte des robes, des jupes, des jeans troués et des shorts à gogo ! »
Les interdits vestimentaires, pudeur ou pudibonderie ?
Pour certains établissements, comme celui d’Andrea, ces interdictions sont justifiées par la volonté des adultes d’inculquer aux élèves le respect d’une certaine « morale » :
« J’étais dans un lycée privé catholique, que j’avais choisi pour son excellence académique.
J’ai toujours pensé que le côté religieux était peu présent, mais avec le recul, je me rends compte qu’il avait une grande influence.
Il y avait beaucoup d’aspects positifs, avec par exemple un grand esprit d’entraide et de respect à son prochain, mais il y avait aussi beaucoup de « pudeur » en ce qui concerne le rapport à son corps.
Et la pudeur, ça voulait dire cacher son corps. »
Pour d’autres établissements scolaires, il s’agit plutôt d’une question de « respect ». C’est d’ailleurs cette notion qu’a invoqué la principale d’une madmoiZelle qui a souhaité rester anonyme, quand celle-ci a été convoquée dans son bureau :
« En tant que bonne élève qui n’avait jamais rien fait de mal, me rendre dans ce bureau m’effrayait et m’intimidait.
Je me suis donc retrouvée face à cette dame qui m’a regardée de haut en bas et s’est contentée de dire « Non, ça ne va pas. Votre tenue n’est pas adaptée pour aller à l’école ».
Elle a ensuite appelé ma mère pour que celle-ci me ramène des vêtements « plus corrects ». »
Cette idée qu’il faudrait des vêtements plus solennels pour l’école, Clémence en a fait les frais : elle faisait sa rentrée en troisième en Corse la première fois qu’on lui a fait une remarque sur sa tenue.
Pendant la répartition des classes, la directrice l’a interpellée : « C’est plus les vacances n’est-ce pas ? Donc plus de short non plus ».
L’indécence, une notion sexiste ?
Jupe, robe, short, débardeur… Tous ces vêtements ont en commun une chose : le plus souvent, ils sont portés par des filles. Et quand les garçons sont concernés, on leur fait rarement des remarques sur l’indécence de leur tenue.
Madeleine constate que dans son collège, « les garçons en short et en débardeur n’ont jamais été envoyés chez le proviseur ».
Ce phénomène était aussi visible dans le lycée de Caroline :
« Les règles vestimentaires ne concernaient que des vêtements portés par les filles ; débardeur décolleté, jupes, talons, sandales, robes…
Pour ce qui est des shorts, les garçons en portaient sans problème. »
L’été, cette différence de traitement prend les couleurs de l’injustice.
Clémentine, qui se sentait « déjà outrée » de ne pas pouvoir s’habiller comme elle le voulait, et qui ne trouvait « pas du tout » ses tenues indécentes, était vraiment choquée de ne pas avoir le droit de choisir un vêtement adapté à la saison sous prétexte de morale.
« Je trouvais ça vraiment injuste que les filles n’aient pas le droit de porter de shorts l’été. Pour moi, c’était insupportable. »
Et si les garçons ne sont pas autant surveillés que les filles, en plus, on explique aux petites filles qu’elles doivent faire attention à leur tenue pour protéger les garçons.
En CM2, l’instituteur de Marion a par exemple interdit aux filles de sa classe de porter des débardeurs. La raison ?
« Il nous était interdit de porter des débardeurs car, selon notre maître, ça allait exciter les garçons et leur donner envie de nous toucher la poitrine.
J’avais dix ans et je n’ai pas compris pourquoi on sexualisait mon corps d’enfant. »
Cette différence de traitement entre les garçons et les filles et la culture du viol cachée derrière ces interdictions vestimentaires conduisent les madmoiZelles à juger ces règles injustes et rabaissantes.
Des punitions dégradantes
En dehors de l’injustice que ressentent les filles, les punitions choisies par les établissements pour les dissuader de revenir avec des vêtements « indécents » sont souvent humiliantes : remarques en public, mauvaises notes, obligation de porter des « tenues de la honte » (vieux tee-shirts informes, blouses de chimie), convocation, exclusion…
La punition la plus classique reste cependant le « vieux jogging » de la vie scolaire. Les surveillantes d’Andrea insistaient même sur le fait que ce pantalon de sport était trop grand et jamais lavé.
« En d’autres mots, on nous faisait comprendre que si on était trop coquettes, on serait humiliées devant tout le lycée avec ce vêtement de la honte, donc on avait intérêt à bien se tenir. »
Des règles arbitraires et humiliantes… mais surtout sexistes
Derrière le vernis de morale ou de respect, les règles vestimentaires servent aussi à contrôler et à commenter le corps des femmes.
Marie a vingt-six ans aujourd’hui, mais elle se souvient encore parfaitement de l’humiliation que son principal lui a fait subir quand elle avait treize ans, devant toute sa classe :
« J’étais en 4ème et j’étais un peu ronde. J’avais de la poitrine depuis mon CM1 et j’étais très mal à l’aise avec cette partie de mon corps.
Un jour de juin, je portais un débardeur à bretelles vert pomme avec un signe tibétain sur le dessus. Je ne sais pas pour quelle raison, le principal est entré dans la salle où on avait cours quelques minutes avant la sonnerie.
On travaillait encore sur nos copies quand il s’est approché de moi et m’a dit : « mademoiselle, je vous prie de bien vouloir couvrir votre décolleté et de vous présenter demain dans une tenue correcte et non choquante ».
Cela m’a énormément heurtée, je me suis sentie très mal à l’aise et j’ai failli m’effondrer devant toute la classe. J’ai sorti mon foulard et je me suis couvert la poitrine. »
Marie montre ici à quoi peuvent servir les interdits vestimentaires : on attend surtout des filles de cacher leurs formes, pour ne pas choquer ni provoquer les hommes.
Et si ces interdictions ne produisaient pas l’effet inverse du résultat recherché ?
À force de rechercher l’indécence, on finit peut-être par sexualiser trop tôt des personnes qui auraient préféré s’en passer. C’est le cas d’Héloïse, qui était encore au collège quand sa CPE lui a lancé :
« T’as pas l’impression d’avoir les fesses à l’air là ? Tu t’es crue au salon de l’érotisme ? »
Une situation parfois intolérable pour les élèves et leurs familles
L’injustice de la situation ou une punition trop humiliante sont parfois la goutte qui fait déborder le vase pour les élèves — ou pour leurs familles.
À Valence, où se situe le lycée d’Emma, un rassemblement a par exemple été organisé par les lycéen•nes afin de protester contre les règles vestimentaires imposées par la proviseure.
Élisa est elle aussi dans un lycée très strict. Après une vague de chaleur, ses amies avaient décidé de porter des jupes, robes et short, et donc avaient été convoquées par le CPE.
Il fallait qu’elles se changent ou qu’elles portent un gilet autour de leurs hanches. Élisa avait elle aussi déjà reçu des remarques sexistes de la part de la direction.
Pour elle, c’en était trop.
Le soir même, avec un groupe d’amies internes, elle décide de coller dans tout l’établissement cette affiche, afin de faire réagir les élèves et l’établissement :
Plutôt badass, pas vrai ?
Marie, quant à elle, avait décidé de confier à sa mère l’humiliation que lui avait fait subir son proviseur à propos de sa tenue, et qui l’avait fait se sentir mal à l’aise toute l’après-midi. La mère de Marie avait immédiatement décidé de réagir :
« Ma mère était outrée. Je ne l’ai su que quelques années plus tard mais le lendemain, elle s’est rendue au collège et a demandé au principal de s’expliquer.
Quand celui-ci lui a expliqué que comme ma poitrine était imposante, il fallait que je la cache, ma mère a jeté un regard sur sa silhouette et lui a demandé s’il lui était possible de cacher son ventre.
Certes, ce n’était peut-être pas très bienveillant, mais j’étais contente d’avoir eu le soutien de ma maman, d’autant que j’étais très jeune et que je n’aurais pas pu me défendre seule. »
La tenue, un moyen d’affirmer sa confiance en soi
À cette période charnière de l’adolescence, le choix des vêtements est la première étape d’affirmation de soi et de ce corps qui est en train de changer et dont il faut apprivoiser les nouvelles formes.
Ces remarques répétées sur des tenues qui seraient « trop sexy » entraînent la conscience, pour les filles, que leur corps est « de trop », qu’il est choquant et qu’il faudrait le cacher. Angèle le dit très bien :
« Jamais je ne m’étais autant sentie comme un bout de viande. Déjà pas très sûre de moi, ça a altéré le peu de confiance que j’avais. »
La notion de tenue décente véhicule en plus l’idée dangereuse que le harcèlement sexuel se justifie par la façon dont les filles s’habilleraient.
Dans l’établissement de Camille, « le maquillage et le vernis trop voyant » attiraient les foudres de son proviseur, qui jugeait les filles « trop sexy » pour un lycée.
Les filles sont donc sommées d’avoir une tenue sobre, couvrante, stricte même, alors que dans le même temps, la société leur demande d’être jolies, féminines, voire sexy.
Tiraillées entre ces deux injonctions un peu paradoxales (ce qu’on appelle le « double-standard »), les filles ne sont jamais assez bien. Les conséquences en termes de confiance en soi peuvent être très graves.
Et si on nous lâchait un peu la grappe sur les tenues et qu’on travaillait un peu plus à prévenir le harcèlement à la place ?
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Les Commentaires
Un policier doit être facilement identifiable par la population, l'uniforme se justifie pour ça (sauf quand ils sont en civil où on doit justement pas les reconnaitre comme des flics et sont donc habillés comme ils veulent).
Pour les médecins/infirmières, c'est plus pour des raisons d'hygiène lorsqu'ils sont en hôpital et sinon y a pas de règle, comme tu le dis. J'ai connu des médecins qui s'habillaient tout à fait normalement pour leurs consultation, sans blouse ni rien de reconnaissable. Certains aiment bien mais d'autres s'en moquent.
Pour les kinés, j'en ai jamais vu, mais si c'est comme les ostéopathes, vaut mieux au contraire éviter la blouse qui peut gêner pour certains mouvements et donc certaines manipulations.
Tout ça pour dire qu'il n'y a pas de "règle", ça dépend des individus, et si la fonction ne nécessite pas de tenue particulière pour des raisons d'identification, d'hygiène, de sécurité ou de praticité, y a pas vraiment de raison de forcer à avoir une tenue "adaptée". Ceux qui ont besoin de séparer travail et privé le feront et les autres non, et ça embêtera personne.