Pascale Boistard, la ministre française des Droits des Femmes, dénonce depuis quelques temps déjà le sexisme dans la publicité. Elle avait ainsi épinglé une affiche des Galeries Lafayette ou encore un spot promotionnel de la chaîne de télévision France 3.
Le gouvernement envisage de légiférer
Sur madmoiZelle.com aussi, ce sujet nous préoccupe depuis un bout de temps en long, en large et en travers : Clémence vous a donc déjà plusieurs fois fait part du problème du sexisme, en vous encourageant notamment à dénoncer quelques pubs particulièrement malsaines, et en vous expliquant pourquoi les stéréotypes de genre sont dangereux pour la santé.
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Aujourd’hui, le gouvernement, toujours en la personne de Pascale Boistard, décide d’aller plus loin : la ministre envisage carrément de légiférer sur le sujet, c’est-à-dire soit de proposer une loi à part entière, soit d’inclure des dispositions à ce sujet dans un projet de loi plus large. Dans tous les cas, il s’agira de pallier au « vide juridique » qui existe en la matière, ainsi que la ministre l’a affirmé au Monde :
« Il y a certes l’ARPP [Autorité de régulation professionnelle de la publicité], mais c’est un organisme d’autorégulation qui se saisit de peu d’affaires et qui hésite, aujourd’hui encore plus qu’avant, à monter au créneau.
C’est pourquoi il faut renforcer les outils juridiques, en particulier dans les domaines qui échappent au CSA [Conseil Supérieur de l’Audiovisuel], qui ne peut intervenir que sur les publicités diffusées à la télévision et à la radio. C’est le cas, par exemple, des affiches dans la rue ou dans les transports en commun. »
Avec un tel projet de loi, des slogans ou images ouvertement sexistes pourraient être portés devant la justice, comme pour les supports racistes, actuellement. Parce que, non, pour l’instant le sexisme dans la publicité n’est pas encore puni par la loi.
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Comment agir en tant que citoyen ?
Le souci avec les lois, c’est qu’elles prennent un temps fou à être écrites, examinées, adoptées, et enfin promulguées. Alors en attendant, ce que vous pouvez faire pour combattre le sexisme ordinaire encore trop présent dans la publicité, c’est dénoncer ces publicités-là auprès de l’ARPP, justement. Clémence Bodoc avait détaillé la procédure à suivre :
Comment dénoncer une publicité sexiste ?
La publicité est encadrée par un certain nombre de règles légales, et déontologiques. On peut citer deux chartes en particulier : celle qui impose le respect de « l’image de la personne humaine », et celle qui traite des « races, religions et ethnies » (et qui renvoie à la première).
On ne fait pas exactement ce qu’on veut dans la publicité
Identifier une infraction
Concrètement, une publicité :
- ne doit pas utiliser la nudité de manière « avilissante et aliénante »
- « ne doit pas réduire la personne humaine, et en particulier la femme, à la fonction d’objet »
- « ne doit pas cautionner l’idée de l’infériorité d’une personne en raison de son appartenance à un groupe social, notamment en réduisant son rôle et ses responsabilités dans la société. »
- doit être particulièrement attentive à respecter cette charte si elle utilise des stéréotypes.
Pour plus de détails, vous pouvez lire les recommandation « image de la personne humaine », c’est pas très long et c’est très clair. C’est à se demander comment font certains pour passer à côté…
Lorsque vous voyez passer une publicité datant de moins de 2 mois qui enfreint ces règles, notez précisément :
- sur quel média elle est diffusée
- le jour et l’heure de sa diffusion
- l’annonceur ou l’entreprise qui fait diffuser cette publicité (la marque, quoi).
Rendez-vous ensuite sur l’onglet « Déposer une plainte ».
« Déposer une plainte »
Sur le site de l’ARPP, vous trouverez un formulaire qui permet de déposer une plainte pour une infraction aux règles déontologiques (donc précisément celles dont nous venons de parler, sur le respect de l’image de la personne humaine). Il faut remplir le formulaire, en prenant soin de ne pas omettre ces informations cruciales :
- votre nom : l’ARPP ne traite pas les plaintes anonymes
- votre adresse de contact valide : l’ARPP ne vous spamme pas, promis
- le nom de la société qui annonce : pour que l’ARPP puisse instruire la plainte en respectant le principe du contradictoire (c’est-à-dire en contactant la société visée par votre plainte)
- l’objet de la publicité : le produit ou le service mis en avant, pour permettre à l’ARPP d’identifier plus facilement la campagne mise en cause
- où et quand vous avez vu cette publicité.
On vous demande ensuite de décrire la publicité (surtout si elle est passée à la radio ou à la télé ; si vous l’avez vue sur Internet, une capture d’écran et/ou un lien vers la publicité en question pourront faciliter cette étape).
« Motifs de votre plainte »
C’est le moment de pointer précisément quels sont les points de cette publicité qui portent atteinte à l’image de la personne humaine. Vous pouvez citer directement les règles de déontologie de l’ARPP, ou vous pouvez expliquer avec vos mots, votre ressenti, pourquoi VOUS estimez que cette publicité porte atteinte à la dignité de la femme ou d’un autre groupe : on ne vous demande pas d’être un expert juridique.
Enfin, on vous propose de joindre une pièce à votre plainte : si vous avez pris une capture d’écran de l’objet du délit, c’est le moment de l’ajouter à votre joli dossier.
Précision importante : les membres du jury de déontologie sont nos ami•es, il faut rester poli•e ! Inutile de spammer l’ARPP en déposant plusieurs plaintes d’affilée : par exemple, pour Rue du Commerce, les milliers de plaintes ont été examinées ensemble. C’est pourquoi vous n’avez pas besoin de demander à tout votre carnet d’adresse de vous suivre dans votre démarche.
Ce n’est pas la peine non plus de déposer douze plaintes pour protester contre toutes les pubs de yaourt du même groupe : vous pouvez dénoncer plusieurs publicités d’une même entreprise, portant sur des produits similaires et présentant des offenses similaires au sein de la même réclamation.
Si vous n’obtenez aucune réponse, vous pouvez poliment vous enquérir des suites données à votre plainte.
Des questions ? Des hésitations ? N’hésitez pas à venir en discuter dans les réactions à cet article !
Comment améliorer la prise de conscience des entreprises ?
J’y apporterai cependant une précision importante : comme vous l’aurez compris, l‘ARPP n’a pas tout à fait pour fonction de sanctionner les entreprises qui font des pubs sexistes (encore moins les diffuseurs qui ne font que louer de l’espace publicitaires et ne sont pas responsables du contenu qui y est affiché).
Elle est là pour, certes, apporter des sanctions minimes, mais surtout pour instruire les dossiers des plaintes déposées et faire prendre conscience d’un problème. Mais il s’agit déjà d’un grand pas envers l’éradication des stéréotypes de genre ! C’est une autre méthode que celle de l’attaque, en quelques sortes.
Pourquoi, me demanderez-vous, préférer l’instruction de dossiers de pubs sexistes à travers l’autorité régulatrice de la publicité, plutôt que d’attaquer directement les entreprises responsables de ces mêmes pubs, par exemple en les dénonçant sur Twitter à l’aide d’un hashtag ?
La question se pose tout à fait. D’abord, passer par l’autorité régulatrice de la publicité peut avoir plus de poids que d’être épinglé•e comme militant•e hystérique par l’entreprise concernée. En effet, contre une attaque directe sur Twitter, l’entreprise risque d’avoir une réaction de pur rejet et de ne prêter aucune attention aux critiques. Alors que si ces plaintes à l’ARPP viennent de Monsieur-et-Madame-Tout-le-Monde, et qu’elles engendrent des (petites) sanctions d’une autorité supérieure, l’entreprise (j’espère) se sentira concernée.
Un moyen de faire prendre conscience aux entreprises que que le sexisme n’est pas si vendeur.
Ensuite, est-ce qu’il ne vaut pas mieux être dans une démarche d’explication et de sensibilisation que dans l’attaque pure ? En portant plainte auprès de l’ARPP, et en les multipliant à chaque fois que vous verrez une pub sexiste, petit à petit, les entreprises pourraient bien finir par comprendre le problème.
Ces entreprises verraient, peu à peu, que le sexisme dans la pub n’est peut-être plus si vendeur que ça (bon, il faudrait également continuer à sensibiliser le monde entier mais on est en bonne voie !), mais constitue plutôt un problème qui engendre une perte importante de clients. Et elles pourraient être amenées à faire évoluer leurs pratiques… En tout cas, la question de la méthode vaut la peine d’être posée.
Une loi suffira-t-elle ?
Une loi sur le sujet ne résoudra pas entièrement le problème. Il faudrait également attaquer à la base et transmettre aux étudiants en publicité, et même aux plus jeunes à l’école, les valeurs d’égalité et les habituer à combattre les stéréotypes de genre.
En ce sens, l’action de Pascale Boistard consistant à rencontrer très prochainement « l’ensemble des acteurs du monde publicitaire » me semble être aussi un pas vers l’avant. Mais une loi, avec son impact pénal, aura sans doute plus de poids. Si cette loi passe, il sera proprement illégal de faire des pubs sexistes ; cela encouragera la prise au sérieux du problème du sexisme ordinaire.
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Et vous, que pensez-vous de cette initiative ? Quelle est selon vous la meilleure méthode pour sensibiliser les entreprises à la question du sexisme en publicité ?
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires
Je suppose qu'il faut comprendre cible prioritaire pour le ministère des droits des femmes, sinon c'est aberrant. Et moi aussi ça m'agacerait que pif-pouf on oublie la taxe tampon pour une nouvelle "mesure" creuse (la situation économique n'en parlons pas). Parce que si l'intention est sincère et la volonté politique forte, je suis carrément pour, par contre si c'est pour ajouter une nouvelle loi bidon qui ne sera jamais appliquée aucun intérêt.
Cela étant dit, ces vieilles pubs, elles ont disparu justement - j'ai même un bouquin "les pubs que vous ne verrez plus jamais" qui les répertorie avec un paquet qui fleurent bon (ou mauvais) le sexisme crasse façon années 50. Celui de notre époque est plus insidieux, et personne ne s'autoriserait sous peine de suicide médiatique à déclarer que la place des femmes est à la cuisine (sauf Eric Zemmour, m'enfin y a toujours des rogatons). Autrement dit : y a de l'espoir !