– Publié initialement le 26 mai 2015
Avez-vous remarqué à quel point la publicité est omniprésente ? C’est déjà, en soi, une forme de nuisance de ne pas pouvoir, à notre époque, échapper à son influence.
Pour autant, je ne milite pas pour son éradication : elle répond à un besoin des entreprises, qui communiquent pour faire connaître leurs produits. Elle contribue également à financer la culture : des chaînes de télévision, de radio, mais aussi l’écrasante majorité des contenus produits sur Internet vivent, survivent ou profitent de la publicité.
Et madmoiZelle en fait partie : Fab vous expliquait longuement les différentes formes de publicités présentes sur notre site, et la façon dont elles permettent de financer son fonctionnement. Spoiler alert : ça ne fait pas pleuvoir des millions de dollars sur nos têtes tous les mois (malheureusement) !
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Non, mon véritable problème avec la publicité, ce n’est pas son existence, c’est la prédominence de clichés, notamment sexistes, qu’elle continue de véhiculer…
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Le sexisme dans la publicité, on a déjà donné !
Et ce n’est pas faute de le répéter. On en a déjà parlé mille fois, pour dénoncer tous ses aspects néfastes, mais aussi remonter à ses origines : le marketing genré.
Les jouets pour filles / pour garçons évoluent en produits « pour elle » / « pour lui » à l’âge adulte, et tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes (capitalistes) si, pour assurer la promotion de ces gammes différenciées, les publicitaires s’abstenaient d’exploiter les stéréotypes de genre.
Une petite fille qui s’indigne d’être assignée au rose, c’est mignon, mais c’est aussi révélateur du carcan que ces stéréotypes représentent. Et puis, en grandissant, ce carcan devient de plus en plus étroit, de plus en plus pesant… jusqu’à causer, parfois, de véritables problèmes de santé, chez les adolescent•es par exemple.
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On avait déjà moqué la bêtise des publicités vantant du yaourt viril ou des dentifrices de vrai bonhomme. On a déjà critiqué les tentatives ratées de récupération du sexisme pour en faire de l’humour, principalement dans le secteur automobile d’ailleurs, avec Sixt, et plus récemment Twingo et son fiasco des « Women’s options ».
On a regretté que les hommes aussi deviennent progressivement une cible marketing qu’on dévalorise à coups de clichés réducteurs et insultants, d’une vision étriquée et caricaturale de la virilité (n’est-ce pas, Rue du Commerce ?).
On a dénoncé les publicités qui exploitent les complexes et les tabous féminins sous couvert d’humour, mais qui contribuent à renforcer, dans l’inconscient collectif, des injonctions qui ont pour conséquence de banaliser les violences sexuelles dans la société : ces publicités qui sont les produits dérivés de la culture du viol.
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Peut-être qu’on n’a pas encore assez expliqué aux génies du marketing que leur filon arrive à épuisement, et qu’il va falloir changer de stratégie… Car depuis que le collectif Georgette Sand a démontré la réalité de cette fameuse « Woman Tax », le ministre de l’économie, Emmanuel Macron, a annoncé l’ouverture d’une enquête visant à évaluer ces écarts de prix entre les produits « pour elle » et « pour lui ».
On n’a peut-être pas encore assez insisté auprès des entreprises qui ont recours à ces pratique, pour leur faire prendre conscience que ces stratégies sont contre-productives à long terme, qu’elles perdront durablement des client•e•s à force de les mépriser par une communication au mieux infantilisante, au pire insultante.
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Le sexisme dans la publicité, c’est désormais illégal
La bonne nouvelle pour nous, c’est que la loi pour l’égalité réelle a renforcé l’obligation de lutter contre la diffusion de stéréotypes sexistes dans les médias. Pour le dire autrement : se vautrer dans les clichés sexistes pour faire de la pub, c’est désormais illégal. Ça l’était déjà pour le racisme.
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Comment faire respecter la loi ? Vous n’avez pas besoin de nous, vous n’avez pas besoin que madmoiZelle fasse un article pour dénoncer la moindre publicité sexiste (on ne ferait plus que ça). Chacun•e d’entre nous peut signaler une publicité sexiste, raciste, homophobe directement sur le site de l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité : suivez notre vademecum ci-dessous !
Cette procédure avait très bien fonctionné pour épingler la campagne sexiste du site Rue du Commerce : l’ARPP avait enregistré plus de 3000 plaintes au total, et la direction du site avait été convoquée devant le jury de déontologie publicitaire.
Bon, on ne va pas se mentir, les sanctions restent peu significatives, mais on ne cherche pas ici à faire nécessairement condamner les entreprises, on veut juste qu’elles revoient leurs pratiques.
Plus nous serons nombreux•ses et prompt•es à dénoncer les publicités sexistes, plus les entreprises seront rappelées à l’ordre, et plus nous avons de chance de les voir changer leurs pratiques (ne serait-ce que pour s’épargner d’avoir à répondre d’une plainte devant l’ARPP, et se déplacer pour présenter sa défense devant la commission : le temps, c’est de l’argent, n’est-ce pas).
La prochaine fois que vous verrez passer une publicité sexiste, suivez la marche à suivre ci-dessous pour la signaler vous-même !
Comment dénoncer une publicité sexiste ?
La publicité est encadrée par un certain nombre de règles légales, et déontologiques. On peut citer deux chartes en particulier : celle qui impose le respect de « l’image de la personne humaine », et celle qui traite des « races, religions et ethnies » (et qui renvoie à la première).
On ne fait pas exactement ce qu’on veut dans la publicité
Identifier une infraction
Concrètement, une publicité :
- ne doit pas utiliser la nudité de manière « avilissante et aliénante »
- « ne doit pas réduire la personne humaine, et en particulier la femme, à la fonction d’objet »
- « ne doit pas cautionner l’idée de l’infériorité d’une personne en raison de son appartenance à un groupe social, notamment en réduisant son rôle et ses responsabilités dans la société. »
- doit être particulièrement attentive à respecter cette charte si elle utilise des stéréotypes.
Pour plus de détails, vous pouvez lire les recommandation « image de la personne humaine », c’est pas très long et c’est très clair. C’est à se demander comment font certains pour passer à côté…
Lorsque vous voyez passer une publicité datant de moins de 2 mois qui enfreint ces règles, notez précisément :
- sur quel média elle est diffusée
- le jour et l’heure de sa diffusion
- l’annonceur ou l’entreprise qui fait diffuser cette publicité (la marque, quoi).
Rendez-vous ensuite sur l’onglet « Déposer une plainte ».
« Déposer une plainte »
Sur le site de l’ARPP, vous trouverez un formulaire qui permet de déposer une plainte pour une infraction aux règles déontologiques (donc précisément celles dont nous venons de parler, sur le respect de l’image de la personne humaine). Il faut remplir le formulaire, en prenant soin de ne pas omettre ces informations cruciales :
- votre nom : l’ARPP ne traite pas les plaintes anonymes
- votre adresse de contact valide : l’ARPP ne vous spamme pas, promis
- le nom de la société qui annonce : pour que l’ARPP puisse instruire la plainte en respectant le principe du contradictoire (c’est-à-dire en contactant la société visée par votre plainte)
- l’objet de la publicité : le produit ou le service mis en avant, pour permettre à l’ARPP d’identifier plus facilement la campagne mise en cause
- où et quand vous avez vu cette publicité.
On vous demande ensuite de décrire la publicité (surtout si elle est passée à la radio ou à la télé ; si vous l’avez vue sur Internet, une capture d’écran et/ou un lien vers la publicité en question pourront faciliter cette étape).
« Motifs de votre plainte »
C’est le moment de pointer précisément quels sont les points de cette publicité qui portent atteinte à l’image de la personne humaine. Vous pouvez citer directement les règles de déontologie de l’ARPP, ou vous pouvez expliquer avec vos mots, votre ressenti, pourquoi VOUS estimez que cette publicité porte atteinte à la dignité de la femme ou d’un autre groupe : on ne vous demande pas d’être un expert juridique.
Enfin, on vous propose de joindre une pièce à votre plainte : si vous avez pris une capture d’écran de l’objet du délit, c’est le moment de l’ajouter à votre joli dossier.
Précision importante : les membres du jury de déontologie sont nos ami•es, il faut rester poli•e ! Inutile de spammer l’ARPP en déposant plusieurs plaintes d’affilée : par exemple, pour Rue du Commerce, les milliers de plaintes ont été examinées ensemble. C’est pourquoi vous n’avez pas besoin de demander à tout votre carnet d’adresse de vous suivre dans votre démarche.
Ce n’est pas la peine non plus de déposer douze plaintes pour protester contre toutes les pubs de yaourt du même groupe : vous pouvez dénoncer plusieurs publicités d’une même entreprise, portant sur des produits similaires et présentant des offenses similaires au sein de la même réclamation.
Si vous n’obtenez aucune réponse, vous pouvez poliment vous enquérir des suites données à votre plainte.
Des questions ? Des hésitations ? N’hésitez pas à venir en discuter dans les réactions à cet article !
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Le sexisme dans la publicité, un mal persistant…
Mister JDay, un Youtubeur adepte — entre autres — du décryptage de la culture publicitaire, a consacré un épisode à l’analyse de la place de la femme dans la publicité, que je vous invite à visionner, car il est plutôt bien fait.
Julien, son caméraman y joue un beauf sexiste, persuadé de pouvoir obtenir un article sur madmoiZelle en alignant le plus de bêtises au fil de l’épisode (en vrai, ça ne marche pas comme ça, désolée !).
Ce « point madmoiZelle » permet justement de décrédibiliser le discours de M. Connard. Au cas où l’intention des auteurs en écrivant le texte volontairement provoc’ ne serait pas clair, on assiste à la remise d’un « point madmoiZelle », que tout le monde reconnaîtra comme une dénonciation d’un propos sexiste, ce qui permet de bien souligner le caractère sexiste dudit propos.
Mais c’est sûr que produire un contenu pédagogique, qu’on peut qualifier de féministe, sur YouTube, ce n’est pas très « consensuel ». En témoigne Mathieu Sommet, donc le public a pas mal évolué depuis qu’il s’est intéressé aux questions féministes dans Salut Les Geeks.
Puisqu’il nous ont fait un clin d’oeil dans leur vidéo, on est allé interroger directement le duo de Youtubeurs à ce sujet !
- Qu’est-ce qui vous a motivés à vous saisir de ce sujet sur la place des femmes dans la publicité ?
« Quand on fait des vidéos qui parlent de publicité, il paraît logique de traiter ce sujet, étant donné que beaucoup de spots comportent des stéréotypes sexistes que tout le monde ne perçoit pas forcément. Notre objectif principal est de divertir le public, mais on aime aussi faire réfléchir les gens quand on en a l’occasion.
On sait qu’une partie de nos spectateurs préfèrent les vidéos où les vannes s’enchaînent du début à la fin, mais entre deux épisodes plus légers (les célébrités dans les pubs et notre vidéo de fin de saison), on avait envie d’aller un peu plus loin que d’habitude. »
- Vous assumez de faire rire avec un « point madmoiZelle » attribué à M. Connard, comme étant une référence que votre public comprend : vous avez donc conscience que votre public n’est pas spécialement sensibilisé au féminisme… Alors pour vous, aborder ce sujet, c’est normal, ou c’est risqué ?
« Quand nous parlions d’une « référence que notre public comprend », nous pensions plutôt au fait que c’est un site que plein de gens connaissent, qu’ils soient sensibilisés au féminisme ou non. Si les points sont faussement labellisés « madmoiZelle.com », c’est parce votre site est — entre autres — connu pour dénoncer le sexisme, et le personnage de M. Connard cherche simplement à provoquer les gens avec cette référence.
Notre intention avec ce système de points était simplement de faire rire, sans émettre de jugement sur votre site. L’objectif n’était ni de le critiquer, ni d’en faire l’éloge, mais simplement d’en faire une référence
Pour répondre à la question en elle-même, « normal ou risqué ? », eh bien, c’est les deux : normal pour les raisons évoquées dans la question précédente, et risqué parce que certaines personnes qui nous regardent ne nous attendent pas dans ce registre un peu plus sérieux. Cependant, malgré quelques exceptions, cette vidéo un peu spéciale a bien été accueillie par le public. »
- Puisque vous dénoncez avec pertinence la déplorable réduction de la femme à l’état de trophée-objet-robot ménager dans la pub, est-ce que vous assumez d’être… féministes ?!
« Alors pour être très sincères, on est avant tout des vidéastes et on ne va pas devenir de fervents défenseurs du féminisme à travers nos vidéos, ce n’est pas notre but, mais si être féministe c’est ne pas être d’accord avec le sexisme et les inégalités homme/femme, alors oui, on est féministes. »
Je vous confirme que le féminisme, c’est effectivement ne pas être d’accord avec les inégalités homme/femme, et adhérer à cette idée (révolutionnaire !) que les femmes et les hommes devraient jouir des mêmes droits dans la société, sans être discriminé•e•s en raison de leur sexe ou de leur genre.
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Déconstruire, expliquer, dénoncer les stéréotypes qui contribuent à renforcer les inégalités hommes/femmes, c’est apporter sa modeste pierre au chemin qui mène à l’égalité des droits.
– Merci à Mister JDay et Julien pour leurs réponses !
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Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
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