— Crédit photo : Assemblée Nationale 2016
Marie Le Vern est députée de Seine Maritime, et si son nom vous dit quelque chose, c’est parce que c’est elle qui nous avait interpellées au sujet de la lutte contre le harcèlement sexiste dans les transports. Souvenez-vous : en février, le Sénat supprimait un article visant à lutter contre ce fléau. Nous étions allées à la rencontre de celle qui avait défendu cette disposition, finalement réintégrée au texte final.
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Elle nous a fait parvenir cette tribune, en réaction aux récents commentaires autour de l’hospitalisation de la ministre du Travail, Myriam El Khomri : un déferlement de sexisme, que rien n’excuse.
Des commentaires « virils » et « frustes », « pas taillés pour la nuance »
« #SiLesFemmesParlaientCommeLesHommes, c’est le hashtag qui fonctionne bien ces derniers jours. Les Twittos rivalisent d’esprit pour tourner en dérision les phrases machistes, phallocrates, condescendantes et les clichés sexistes les plus tenaces.
Je me suis moi-même autorisée à alimenter ce bel élan après qu’un article de presse ait comparé certains de mes propos à ceux d’une Miss France… Élégant.
« Toute fraîche ». Élégant, en effet…
Mais comme souvent, la société a plus d’une longueur d’avance sur les politiques. Hier, un certain nombre de responsables nationaux et de journalistes auraient mieux fait de surveiller les réseaux sociaux (une fois n’est pas coutume) avant de se livrer au concours du commentaire le plus paternaliste sur l’état de santé de la ministre du Travail Myriam El Khomri.
« Jeune ministre », « pas taillée pour la fonction », « fragile », « indisposée », « frêle ». Le procès en incompétence, doublé d’une infantilisation grotesque, est d’autant plus insupportable qu’il est systématique pour les femmes en politique.
Symptôme d’un inconscient collectif, même le Président de la République a évoqué « un accident domestique »
Même le Président de la République, que je ne soupçonne pourtant pas de sexisme, s’est laissé aller à évoquer un « accident domestique », formule malheureuse qui renvoie une ministre du Gouvernement dans sa cuisine. Symptôme d’un inconscient collectif. Là où le storytelling réservé aux hommes fait la part belle au vocabulaire guerrier et conquérant (même un échec est qualifié de battue en retraite), celui que l’on plaque sur les femmes ne fait que les renvoyer à leur supposée condition féminine et ce qui l’entoure.
Ainsi, quand une femme politique connait un revers elle est d’abord incompétente, quand elle est en colère elle est d’abord hystérique, quand elle connait le succès elle est d’abord « la protégée » d’untel (quand on ne sous-entend pas autre chose), quand elle gravit les échelons elle « prend la place » de ou profite de la « théorie de la parité ». Sans parler des commentaires sur la tenue ou le physique.
C’est grossier, c’est bête, c’est dépassé, c’est bien connu et bien analysé par les sciences sociales (qui ne sont pas les tenantes de la « culture de l’excuse » mais bien du progrès), et c’est pourtant le triste constat que je fais en 2016.
Les études de genre ont bien plus à nous apprendre sur notre société que certains éditorialistes
Les mécanismes sociaux de la domination ont cela de pervers qu’ils ne s’additionnent pas, ils se multiplient (c’est Angela Davis qui l’explique dans Femme, race et classe). Alors forcément, une ministre comme Myriam El Khomri, qui appartient simultanément à trois catégories dominées dans l’espace publique (les femmes, les jeunes, les « minorités visibles »), ça permet à certain de légitimer leurs dérapages. Au lieu de laisser la «Manif pour tous » brandir le totem de la « théorie du genre », intéressons-nous aux études de genre, qui ont bien plus à nous apprendre sur notre société que certains éditorialistes.
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Prendre prétexte du genre pour disqualifier Mme El Khomri, que ce soit conscient ou non, est inacceptable et déplace le débat d’une manière sournoise : on expliquera que si le texte est contesté c’est en raison de la personnalité d’une ministre pas assez « bonhomme » pour le défendre et l’imposer, et non plus en raison de son contenu, dont au passage on ne parle plus.
J’apporte donc tout mon soutien et ma solidarité à Myriam El Khomri, au moins pour ce qui est de lutter contre le machisme ambiant et la domination masculine. »
Le sexisme en politique est décidément un problème plus que jamais d’actualité. Il est désespérant de constater que nos élues sont encore obligées de dénoncer pareils comportements, en France, en 2016…
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