Mise à jour du 13 novembre 2017 – Ce 12 novembre, Mathilde Julié-Viot, co-créatrice du projet « Chair collaboratrice », était invitée sur le plateau de C à vous pour témoigner du harcèlement sexuel en politique.
Le replay est disponible sur France TV, à partir de 1h02.
Le reportage mets en avant le fait que c’est un problème qui touche tous les partis, et qui reste difficile à combattre.
Article original publié le 24 octobre 2016 – Parfois, l’orthographe peut changer le sens entier d’une phrase. Chair collaboratrice, ce n’est pas une histoire de politesse mais bien de sexisme. Celui dont sont victimes de nombreuses femmes dans le milieu de la politique.
Sur ce Tumblr fleurissent des témoignages de ces personnes qui travaillent à l’Assemblée Nationale, au Sénat, dans des ministères et collectivités territoriales et qui en ont vécu, des débordements…
« T’as l’air énervée, t’as pas baisé hier ou quoi ? »
Un témoignage parmi tant d’autres raconte l’histoire suivante :
« En arrivant au bureau un matin, l’élu dont j’étais l’assistante (et qui me détaillait de la tête aux pieds tous les jours) me dit : « t’as l’air énervée, t’as pas baisé hier ou quoi ».
J’avais l’habitude de ses remarques et lui ai répondu « si, si, ne vous inquiétez pas tout va bien Président ». »
Le sexisme se retrouve doublé par la lassitude. Et c’est justement pour ça que ce site a été créé. Dans la partie Qui sommes-nous, le collectif explique ce projet.
« Beaucoup de gens, femmes comme hommes, continuent d’omettre ou de nier que c’est une ambiance sexiste que nous vivons au quotidien, constituée de blagues lourdes, de regards suggestifs, de gestes déplacés. (…) Nous nous sommes dit qu’il faudrait lancer une initiative qui montrerait le caractère massif et quotidien du sexisme dans le milieu politique, toutes tendances politiques confondues. »
Le problème, c’est que parler est parfois gage de mettre sa carrière en péril, un risque élevé dans ce milieu. Alors les témoignages sont anonymes. Ils sont nombreux, aussi.
Le milieu de la politique, plus sexiste qu’un autre ?
Le sexisme est global dans la société, et ça, on ne manque pas de témoignages pour le prouver. Cependant, il semblait important à celles derrière le projet de dédier ce site à ce milieu spécifique pour plusieurs raisons.
La première est le nombre faible de femmes élues (il y a moins de 30% de députées) doublé à la forte hiérarchie entre les différents individus qui peut créer un rapport de force élevé.
De plus, il y a quelques jours, l’amendement sur l’inéligibilité automatique en cas de violence ou d’agression sexuelle a été rejeté par le Sénat. Sur le site Chair collaboratrice, on peut d’ailleurs lire cette explication :
« Aujourd’hui, aucune pression ne pèse sur les partis. Il n’y a aucune conséquence à être auteur de harcèlement ou de violences sexuelles, puisqu’aucune sanction ne garantit ni de perdre sa fonction d’élu ni d’être ensuite inéligible. »
Quelles solutions pour les victimes ?
Le but de ce site n’est certainement pas de rester dans la complainte sans en sortir. Premièrement, dénoncer permet de sensibiliser et donc être plus sensible à la cause.
Ensuite, le site propose dans son encart Informations utiles des solutions pour vaincre le sexisme et le harcèlement… En commençant par la loi :
« Nul ne doit subir d’agissement sexiste, défini comme tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant. » — Article L. 1142-2-1 du Code du travail
Mais pour aider, il y a aussi les numéros d’associations à appeler pour avoir une assistance personnalisée.
Interview de Julie Rosenkranz, co-créatrice du projet
- Qu’est-ce qui vous a motivé à vous lancer ?
« Le déclic, ça a vraiment été l’affaire Baupin. On n’a pas découvert le sexisme à ce moment-là, on savait déjà qu’il existait… Mais ça a été la goutte d’eau qui fait déborder le vase.
Même après ce déclic, le projet a mis un certain temps à être monté. Avec la dizaine de personnes qui y ont collaboré, on est passées par plusieurs étapes de réflexion pour savoir comment agir. Il y a eu beaucoup de choses qu’on avait nous-même intériorisées et qu’il a fallu apprendre à reconnaître. »
- Est-ce que tous les bords politiques sont représentés dans les témoignages ?
« Oui ! Je sais que ça peut sembler ne pas être le cas car trois autres personnes qui œuvrent de manière publique sur ce projet et moi-même travaillons pour la gauche. Cependant dans la dizaine de personnes à l’initiative de Chair Collaboratrice, il y a des personnes de droite et des centristes. Il y a aussi des administratrices [fonctionnaires de l’Assemblée] donc qui ne sont pas attachées à une couleur politique dans leur travail.
D’ailleurs, contrairement à ce que l’on pourrait penser, la couleur politique ne change pas la possibilité d’être sexiste ou pas… L’âge non plus, d’ailleurs ! On m’a souvent dit que le sexisme, c’était un truc de vieux. Non, il y a des vieux députés qui sont très bien et des jeunes qui font des remarques terribles.
Par exemple, le député pour lequel je travaille a 60 ans et a toujours été très correct avec moi. Quand je l’ai mis au courant de ce projet, j’ai trouvé sa première réaction très bien : il m’a demandé sincèrement si j’avais quelque chose à lui reprocher. Je pense que c’est pour ça que je me suis sentie si libre de me lancer. »
À lire aussi : #LevonsLomerta : l’assourdissant silence des hommes sur le harcèlement sexuel
- Le site est illustré par Emma, pourquoi ?
« Cela donne beaucoup plus d’impact à nos propos. Parfois, une même phrase prononcée d’une manière ou d’une autre peut être sexiste… ou pas.
D’ailleurs un collaborateur nous a dit récemment avoir reconnu un témoignage anonyme. Selon lui la phrase en question avait été incomprise, pas du tout prononcée dans ce sens. Sauf que je savais que ce n’était pas possible qu’il ait été témoin de cette scène connaissant la témoignante anonyme…
Il y a deux choses à retenir : les histoires se répètent partout et les dessins permettent parfois de saisir cette subtilité.
On est vraiment content•es qu’Emma nous aide ! »
À lire aussi : « Vous seriez sidéré de savoir comment on se sent, à 21 ans, après qu’un vieux mec a mis sa langue dans votre bouche »
Vous pouvez retrouver Emma sur son blog ici
- Le site est un succès, prévoyez-vous une suite ?
« On ne s’attendait pas à un tel écho. Cependant, comme chaque initiative contre le sexisme qui marche, c’est très bien ! Depuis lundi dernier on a reçu plus de cent messages. Alors clairement, vu le nombre de collaboratrices qui nous en parlent, on va faire quelque chose pour continuer l’action, mais on sait pas quand et quoi exactement.
On aimerait bien éventuellement créer une rencontre, un apéro géant, car ça fait du bien d’en parler avec des gens qui comprennent plutôt que des gens qui répondent quand on témoigne : « Oh ! Tu exagères ! ». »
Pour que ça marche, il faut en parler
Il y a une semaine à peine, un garçon de mon âge m’a dit le plus naturellement du monde que le sexisme n’existe plus. Dans un premier temps, j’ai trouvé ça très étonnant qu’il nie une réalité à laquelle je suis confrontée presque quotidiennement… Et puis j’ai compris qu’il ne se rendait tout simplement pas compte.
Pour beaucoup d’autres, hommes comme femmes, c’est pareil. Alors, que pouvons-nous faire à notre niveau ? Il nous reste le partage et la sensibilisation de nos proches : plus les gens seront au courant, plus ils et elles réagiront en conséquence. Il nous faut apprendre à reconnaître du sexisme que nous avons pu intérioriser pour réussir à s’en défaire.
Si on s’y met tou•tes, qui sait, ça ne peut qu’aller mieux.
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires
On a encore du boulot à faire ! C'est pas grave, on en viendra un jour à bout. Commencer par exposer davantage tous ces dérapages sur la scène publique, dans les médias, à la télé (c'est essentiel puisque la télévision reste la principale source d'information de beaucoup
tropde personnes en France) serait un bon début.Les élus politiques ne cesseront de considérer qu'il est normal de tenir ces propos que si on dénonce plus largement leurs agissements ; et changeront peut-être leurs manières de se comporter ne serait-ce que pour tenter de préserver un minimum leur image
de gros cons misogynes.
Ce genre de comportement est navrant, indigne et profondément ridicule. Dire que l'on parle ici des élu.e.s de la République...