Une abstention qui crève le plafond, une entrée fracassante du Rassemblement national avec 89 sièges (ils n’en avaient obtenu que 8 en 2017), et un parti présidentiel mis en difficulté car bien loin de sa majorité absolue tant espérée… Voilà le bilan que l’on pourrait dresser de ce deuxième tour des législatives.
Un autre point pourrait aussi soulever quelques inquiétudes : à l’issue du vote de 2017, le nombre de femmes à l’Assemblée nationale étaient de 224, un nombre jamais atteint auparavant, mais aussi un bond très net par rapport aux élections de 2012 où elles étaient seulement 155. Aujourd’hui, le nombre de femmes qui deviendront ou resteront députées en 2022 est de 215, soit 37,26 %, pour 362 hommes.
Le recul est léger… mais il est bien là. Et c’est loin d’être un signal positif.
« La parité n’a pas été un sujet de campagne », tient à rappeler Léa Chamboncel, journaliste politique et autrice du livre Plus de femmes en politique !.
« Ça l’a été en 2017 en 2012, même en 2007 avec Sarkozy. Aujourd’hui en 2022, avec la présidentielle et ces législatives, ce n’était pas un sujet. J’avais très peur de ce backlash, et on y est. »
2779 femmes (44,2 %) étaient en lice contre 3 514 hommes (55,8 %) dans ce scrutin. Dès le départ, on peut donc déjà constater que la parité n’était pas respectée.
Avec le résultat de ce 19 juin, quelles sont les formations bonnes élèves de ces législatives ? Et qui sont au contraire les cancres ? Le groupe LR, qui essuie aujourd’hui une sévère défaite, s’impose comme le parti le moins paritaire avec à peine 30% de femmes élues. Il est suivi du RN, avec 37,1%, puis de Ensemble !, la formation présidentielle, avec 40,4%. C’est la Nupes, coalition de gauche menée par Jean-Luc Mélenchon qui arrive en tête avec 43,6%.
Un recul de la parité lié à de nombreux facteurs
Pourquoi ce recul ? Pour Magali Guaresi, docteure en histoire contemporaine dont le travail porte notamment sur l’analyse du discours des femmes politiques contemporaines au prisme du genre, il y a plusieurs explications à cette tendance : « La défaite relative de la majorité présidentielle a d’abord impacté les femmes candidates, souvent moins dotées de capitaux politiques et moins ancrées dans les circonscriptions. ».
Elle prend d’ailleurs pour exemple Amélie de Montchalin, Brigitte Bourguignon et Justine Bénin, trois femmes au gouvernement et à des postes clefs (la Transition écologique et la Santé, pour les deux premières) et toutes trois éliminées lors du second tour. Elles devront donc démissionner.
Une analyse que partage Léa Chamboncel et qui y ajoute le recul de 10% du nombre d’élues de la majorité. « Comme on l’avait prévu, on a investi des femmes sur des circonscriptions qui n’étaient pas gagnables. Ça permet d’écarter des femmes. On contourne de manière légale l’obligation de parité. »
La « percée du RN » serait aussi à prendre en compte pour comprendre ce recul global de la parité dans l’hémicycle, selon Magali Guaresi : « le parti a sans doute placé plus d’hommes que de femmes dans des circonscriptions gagnantes ». Concernant le parti de Marine Le Pen, Léa Chamboncel rappelle d’ailleurs qu’il a investi 49% de femmes, soit plus que LREM ou LR : « C’est un parti qui n’a pas les moyens de payer les amendes ».
Enfin, autre facteur, la « persistance de certains partis à sous féminiser les investitures » : « c’est le cas des LR qui en conséquence ne font élire que 29,5% de femmes », rappelle Magali Guaresi.
Une persistance qui peut coûter cher, comme le rappelle Public Sénat : LR a perdu presque un tiers de son aide cette année, soit 1,79 millions d’euros.
La parité en politique, une lente évolution
Comme le rappelle Léa Chamboncel, un pareil recul de la parité à l’Assemblée nationale n’avait pas été observé depuis 1981. « Et les lois qui doivent garantir la parité en politique n’ont pas permis de le contenir, ce qui montrent qu’elles ne sont pas efficaces », déplore-t-elle auprès de Madmoizelle.
Depuis 2000, la loi qui tend « à favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives » impose aux partis de présenter autant de femmes que d’hommes à travers une « égalité obligatoire des candidatures pour les scrutins de liste et même une alternance des candidats de chaque sexe sur les listes », comme le rappelle le site Vie Publique. Et gare aux partis qui ne respectent pas la règle, puisque des pénalités financières sont prévues sous la forme de retenues prélevées sur l’aide au financement public qu’ils reçoivent. Ces sanctions ont même été renforcées en 2014.
Les effets de cette mesure se sont-ils faits sentir ? Un peu, mais cela reste timide. En gros, il en faut plus pour dissuader les partis politiques de camper sur leurs vieux réflexes qui favorisent toujours les hommes, selon ce rapport du Sénat :
« La modulation du financement public en fonction de l’écart entre le nombre de candidats et de candidates présentés aux élections législatives n’a pas vraiment produit, pour l’instant, les résultats escomptés, cette pénalisation financière donnant l’impression, du moins en apparence, d’être indolore pour les partis politiques qui s’y exposent. »
L’arrivée du RN face à une parité en recul
À la lumière des résultats d’hier soir, et plus précisément au regard du score du RN, on peut aussi s’interroger sur la parité dans l’arène parlementaire comme fin en soi, quand un parti d’extrême-droite, certes incarné par une femme, parvient à obtenir 89 sièges et gagne de fait en poids politique et médiatique… mais que ce parti est loin d’avoir à cœur de défendre les intérêts des femmes et des minorités.
« On ne peut pas dire stop à la parité sous ce prétexte, c’est même tout le contraire. Et ce n’est même pas la seule et unique raison de s’inquiéter de cette percée. », estime Léa Chamboncel. « On doit encourager les femmes en politique. Le problème, c’est que les fascistes montent dans notre pays. »
Reste que des lueurs d’espoir sont apparues hier soir, notamment à travers la victoire éclatante d’un symbole des luttes sociales, celle de Rachel Keke, connue pour avoir mené la grève à l’Ibis Batignolles pendant 22 mois. La désormais députée Nupes s’est imposée dans la 7ème circonscription du Val-de-Marne face à l’ancienne ministre des Sports Roxana Maracineanu, avec 50,3% des voix.
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Crédit photo : Jacques Paquier via Flickr
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Les Commentaires
En effet, le règlement de l'AN ne prévoit rien pour savoir si le suppléant la remplace ou non.
Les seuls cas envisagés par la Constitution sont le décès ou quand le député devient ministre.
Après, je ne dis pas que les femmes doivent être mères blablabla mais c'est un obstacle.