À huit ans, j’ai regardé mon tout premier film d’horreur, dans l’intimité de la chambre d’une de mes cousines, et surtout dans le noir complet. Elle avait choisi Halloween pour coller à l’actualité calendaire, sans vraiment réfléchir à l’impact qu’un slasher pourrait avoir sur une enfant de 10 ans sa cadette.
Je me souviens avoir eu très peur ce soir là, mais n’avoir rien voulu dire à mes aînés, pour ne pas avoir l’air d’une gamine, moi qui voulais tant être une grande.
Ce qui aurait pu demeurer un évènement traumatisant s’est mué en curiosité, et j’ai bouffé des quantités astronomiques de films d’horreur dans les années qui ont suivi, jusqu’à cesser d’avoir peur et ne plus regarder l’horreur que par sa lunette sociétale.
Aujourd’hui, l’horreur est au cœur de mon travail quotidien, et je poursuis mes recherches concernant son impact sur le réel et l’impact du réel sur elle.
J’ai donc bien entendu vu tous les films de M. Night Shyamalan (Sixième Sens, Split, Glass), dont au moins la moitié sont décevants, d’après moi.
Après avoir été un peu blasée par plusieurs de ses productions aux rouages souvent semblables, j’ai regardé sans grande conviction la série pour la plateforme Apple TV dont il est le producteur exécutif et l’un des réalisateurs.
Et surprise : dès les premières minutes, le programme s’impose comme l’un de ses travaux les plus aboutis et les plus humanistes.
Servant, de quoi ça parle ?
Dorothy Turner ( Lauren Ambrose) et son mari Sean (Toby Kebbell) vivent dans une immense maison, décorée avec goût. Elle est journaliste, passe quotidiennement à la télévision, lui est un cuisto méticuleux et reconnu. Dorothy est excentrique et semble un peu dans la lune. Sean est terre à terre et rigoureux.
Le couple accueille un jour une nounou prénommée Leanne (Nell Tiger Free), censée les soulager dans leurs tâches quotidiennes avec leur bébé Jericho.
La jeune femme débarque un soir sous une pluie battante. Elle a l’air lugubre, ce qui n’empêche pas Dorothy de lui vouer immédiatement une grande affection. Si tout a l’air plutôt normal a priori, rien ne l’est en réalité.
Car le bébé qui dort dans le landau de la chambre d’enfant est en réalité une poupée, Jericho étant décédé dans des conditions mystérieuses quelques jours après sa naissance.
Si Sean sait parfaitement que ce bébé n’est qu’un poupon, Dorothy fait un déni et se comporte avec la poupée comme s’il s’agissait vraiment d’un enfant vivant.
Servant, fin explorateur des traumatismes
Dès le départ, Dorothy est présentée comme le personnage qui a été le plus secoué par la mort de Jericho. À tel point que son mari et son frère l’entretiennent dans son déni, en feignant de s’occuper également du bébé.
L’ambiance est donc plutôt fucked up. Mais la série ne s’arrête pas là. Ce qui est vraiment malin dans Servant, c’est qu’elle ne tombe pas dans la facilité.
La logique aurait voulu que la nounou prenne peur ou trouve très étrange que le bébé ne soit pas un vrai, or elle ne semble pas choquée le moins du monde et rentre au contraire dans le jeu de Dorothy, alors que son mari l’encourage, lorsque la mère est absente, à retrouver une attitude normale.
L’intrigue se concentre alors surtout sur le personnage du père, qui aidé de son beau-frère essaie de percer le mystère qui entoure Leanne. Qui est-elle ? Pourquoi n’est-elle pas surprise par son poste de nounou pour poupon ?
Les deux hommes mènent l’enquête, et l’intrigue monte en pression.
Servant ne se contente donc pas d’explorer le trauma de Dorothy, mais s’intéresse également aux traumatismes de Sean (qui finit d’ailleurs pas perdre une partie de ses sens), et du frère de Dorothy, qui a clairement sombré dans l’alcoolisme.
Les deux hommes sont d’ailleurs tiraillé entre leurs deux principales options :
- Entretenir Dorothy dans son déni pour ne pas risquer lui faire revivre une deuxième rupture nerveuse
- Lui faire ouvrir les yeux sur le décès de son fils unique.
Servant, une série psychanalytique et humaniste
Servant est un huis-clos psychologique qui fait froid dans le dos, notamment parce qu’il aborde un thème sensible : le décès d’un nouveau né et le deuil qui en découle.
La tension monte tranquillement au fil de la série jusqu’à exploser dans le neuvième et avant-dernier épisode, qui lève enfin le voile sur les conditions de décès de Jericho, dues comme on s’en doutait à sa mère, Dorothy.
Le dénouement prend aux tripes et peut provoquer deux émotions principales chez le spectateur :
- L’empathie avec Dorothy
- La colère contre elle.
Ce qui de prime abord se positionne comme une série potentiellement fantastique se transforme vite en récit psychanalytique bien réel et terriblement humaniste sur la culpabilité maternelle.
J’ai été franchement bluffée par la finesse du traitement du sujet par M. Night Shyamalan et ses compères, qui ont d’après moi réalisé le meilleur programme audiovisuel que j’ai vu depuis plus d’un an.
Servant, ça met mal à l’aise pour les bonnes raisons, et ça force à s’interroger sur les limites de l’humain à supporter l’horreur.
Servant, une série effrayante
J’ai été assez surprise de constater que peu de médias se sont exprimés sur cette série à l’exception du Monde qui en a fait une critique élogieuse.
Pour moi, il est primordial de regarder Servant pour son axe psychologique, et bien sûr pour son objectif premier : faire flipper. Car la série n’oublie jamais ses enjeux horrifiques, et fait trembler dès son générique, pourtant très court.
Ce qui est également remarquable, c’est que Servant n’a quasiment jamais recours aux mécanismes classiques et éculés de l’angoisse. Ici, point de jump scare ni de balançoires qui grincent, point non plus de fantômes ni de psychopathes masqués, l’horreur est insidieuse, ancrée dans le réel et traumatisante.
Je te conseille donc, douce lectrice, de lui consacrer un morceau de ton temps, d’autant que chaque épisode ne dure qu’une trentaine de minutes. Le format est facile à ingérer et chaque épisode est vraiment percutant.
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