Quand j’étais petite et ado, je regardais beaucoup, beaucoup trop la télé. C’est simple : dès que j’échappais à la surveillance de mes parents (qui auraient largement préféré que je m’aère l’esprit et le corps dehors), je m’installais les fesses bien enfoncées sur le canapé devant un programme quelconque.
Ça a bien failli me rendre con. Pas parce que du coup, le temps que je passais devant l’écran, je ne le passais pas dans les livres, bla, bla, bla, mais surtout parce que ça me mettait en face de ce que je croyais être des tranches de vie — de vraie vie. Je pensais qu’en regardant des adolescents ou des adultes vivre à l’écran, je pouvais apprendre plein de choses sur ma vie future. On a vraiment frôlé le drame.
Les choses changent depuis quelques années et, bien que de nombreux clichés persévèrent à foison dans le monde télévisuel, j’ose croire qu’il est moins dangereux pour l’être humain de grandir en regardant les séries d’aujourd’hui.
En attendant un monde meilleur, voici certains exemples de ce que j’ai évité de justesse tant la télé a bien failli me rendre paranoïaque.
Tout le monde est moche, sauf les gens très beaux et jeunes
Pendant quelques années, ça a été vachement tendance de faire des séries avec des héroïnes désignées comme « vilaines ». Ugly Betty ou bien Le Destin de Lisa ont alors joué avec nos nerfs (en plus, pour la série allemande, de nous mettre très, très mal à l’aise d’un point de vue scénaristique). Évidemment, ces femmes n’avaient rien de laid. Elles ne répondaient juste pas point par point aux exigences des médias.
Vu que les séries de ce genre avaient du succès, vu que je sortais du lycée et que j’étais, en terme d’assurance, un château de sable sans humidité, ça me touchait particulièrement. J’ai alors commencé à me demander, dans la rue, si les gens, là, qui me croisaient sans me regarder, riaient en réalité dans leur tête de mon physique. Parce qu’à force de penser qu’un seul petit « défaut » et une taille 40 suffisaient à trouver justifiable la mention « laideron » d’une personne dans une série, après tout, pourquoi pas dans la vie ?
Et en plus les producteurs de ces séries castaient des canons de beauté. Les acteurs et actrices étaient donc « mochisé-e-s » juste avant le tournage à coups de maquillage, de prothèses et d’appareils dentaires histoire de bien perdre du temps. C’est-à-dire qu’il n’y a pas de point positif : non seulement c’est complexant, mais en plus genre moi, ou la plupart des gens du monde entier, n’aurions même pas pu en profiter pour gagner un peu d’argent en décrochant le premier rôle d’un personnage au physique classique, donc ingrat aux yeux de la télé. C’est moche.
Dans un tout autre genre, 30 Rock, une de mes séries préférées, m’a régulièrement donné le sentiment de me trahir. Le programme, écrit par Tina Fey, a pour personnage principal Liz Lemon (jouée par cette dernière), qui approche la quarantaine au début de la série. Tina Fey, elle ressemble à ça :
Et je suis loin d’avoir choisi la photo la plus flatteuse, si tu veux tout savoir.
C’est pour te donner une idée. Loin d’être un laideron au sens le plus cour-de-récréation, n’est-ce pas ? Elle ressemble tellement à l’idée que je me faisais petite de ce à quoi je voulais ressembler plus tard. Pourtant, dans la série, le gros running-gag, c’est qu’il est de notoriété publique qu’elle n’est pas belle. Entre le personnage qui s’autoflagelle, et les autres qui font des vannes sur son physique, son âge et la traitent comme un gentil boudin, j’ai souvent ouvert de gros yeux tout ronds.
Grosso modo, la seule à être considérée comme physiquement largement acceptable, c’est Cerie, l’assistance incompétente et complètement feignasse, gravure de mode par excellence, âgée d’une petite vingtaine d’années. Bon alors oui hein, elle est belle. Mais la beauté ne commence ni ne s’arrête à elle.
Je trouve ça tellement paradoxal et incompréhensible de la part de l’actrice/auteure/productrice, féministe assumée, de venir mettre de côté la beauté de la diversité et la diversité de la beauté que ça m’a laissée pantoise, parfois. J’ai toutefois plusieurs hypothèses :
- soit Tina Fey a été largement moquée sur son physique dans le passé et a choisi de faire de l’autodérision sa thérapie tout en refusant l’idée même d’être devenue conforme aux « idéaux » dont on lui refusait l’entrée
- soit elle essaie de faire passer un message libérateur – du genre, dénonciation du jeunisme de la société, message qui ne peut pas marcher sur moi parce que je suis un peu jeune pour être complexée par mon âge
- soit elle a au moins un défaut (ce qui, en soi, est rassurant) : celui de faire complexer les autres avec ses complexes
- soit elle assume mal de vieillir.
Quoiqu’il en soit, j’ai trouvé ça terriblement complexant : alors quoi, si on fait un peu plus que du 34, on est condamnés à être vannés sur notre physique ? J’ai eu beau regarder la série quand j’avais 23 ans, avec une certaine confiance en moi (plus ou moins fluctuante, mais comme tout le monde, je suis passée par l’adolescence et je pars donc de loin) chevillée au corps, mon envie de m’accepter et mon travail au quotidien pour m’aimer, j’ai failli. Et régulièrement, je me suis posé la question suivante :
« Et si en fait, j’étais vraiment trop grosse, si je prenais pas assez soin de moi, et si en fait, j’avais pas le droit de me trouver potentiellement potable ? »
Ces questions pourtant, je peux te dire que ça fait des années que j’y ai répondu d’un bon gros fuck dans la face. Mais surtout, ça m’a fait me demander, avec de la panique partout sur mon corps, si une fois que j’aurais dépassé la trentaine, j’aurais droit aux mêmes réflexions, constamment, que Liz.
Bon tu m’excuseras mais pour ce point-là, il faudra attendre encore quelques années que je puisse confirmer ou infirmer.
Les méchants seront toujours plus intelligents que moi (puisque je ne suis pas flic)
Depuis des années, les séries policières à base de tueurs creepy connaissent un essor conséquent. Si bien que ça fait un bon moment qu’il est devenu très rare de passer une seule soirée sans tomber sur Les Experts ou Esprits Criminels en zappant. Soit : c’est distrayant et ces machines bien rodées sont très efficaces.
Mais c’est pas parce que quelque chose est distrayant qu’il détend.
Dans toutes ces séries-là, le monde semble se diviser en trois catégories :
- les citoyens lambda, victimes potentielles
- les tueurs en série, plus malins qu’eux
- les policiers, qui galèrent un peu mais qui sont finalement plus intelligents que les tueurs.
Je résume en schéma :
citoyens (intelligents -) < tueurs (intelligents ++) < policiers (intelligents +++)
En gros, dans ces programmes-là, la seule façon d’être sûre d’avoir la vie sauve, c’est d’être flic. Et quand on ne l’est pas, ça devient flippant.
Et en plus, ils portent apparemment mieux les lunettes que la moyenne de l’humanité.
La règle des trois jours
Il n’y a pas que mes complexes qui ont souffert d’une certaine paranoïa après avoir regardé des séries : mon rapport aux autres en a aussi quelque peu pâti. À un âge où, enfin, le sexe désiré commençait à s’intéresser à moi, je cherchais dans les séries et les films les réponses aux questions que je me posais, du style :
- comment attirer l’attention sur soi ?
- comment réagir par SMS à un message qui flirte ?
- quand répondre ?
- à quelle fréquence ?
- faut-il répondre au téléphone quand il appelle ?
Me fier aux séries, c’était un peu la connerie suprême. Le truc le plus débile qu’on puisse faire après conduire en vélo sans pédale ni guidon ni frein une écharpe sur les yeux. Car que ce soit dans How I Met Your Mother, Sex and the City ou plus récemment dans New Girl, on a essayé de m’apprendre un truc très simple : au début, n’en fais pas trop. Ne montre pas que tu es intéressée, ne sois pas insistante.
Mieux encore : attends trois jours avant de recontacter la personne que tu as rencontrée et sur laquelle tu as craqué — que tu sois sûre de la réciprocité ou pas — sinon tu paraîtras trop accessible. J’étais persuadée que c’était la bonne chose à faire. Je ne me sentais pas heureuse et épanouie pendant cette période-là, mais je gardais le cap, me disant qu’après tout c’est peut-être bien parce que la période précédant la concrétisation d’un couple n’a rien d’agréable.
Alors j’étais prudente : je répondais aux textos trois ou quatre heures après les avoir lus, en me demandant si ça n’était pas trop rapide, pesais chacun de mes mots, CHA-CUN, pour être certaine de ne pas dévoiler mes sentiments naissants, paniquant dès que je réalisais que j’avais envoyé deux messages le même jour. Et je ne parle même pas du jour où j’ai failli à me mettre à pleurer quand j’ai réalisé que j’avais bipé par mégarde l’objet de mon attraction en voulant lui envoyer un message. « Il va me prendre pour une stalkeuse oh lalaaaa ».
Le drama est total.
Que les choses soient claires : où est le problème dans le fait de se montrer accessible ? Pourquoi se gâcher ce qui, selon moi, est un des plus beaux moments du futur couple, à se poser des questions sur des statistiques à la con ?
MON CUL LA BALAYETTE OUAIS !
C’est vraiment des clichés en intestins de pigeon, si tu veux mon avis. Parce que c’est quoi le problème dans le fait que l’autre comprenne qu’on est attirée par lui/elle et qu’on l’aime bien façon plus-plus ? Ça me dépasse.
Au bout de quelques années de flippe, je me suis dit que c’était vraiment trop con de se gâcher la période pré-touche-pipi avec des questionnements de ce genre. Et j’ai découvert un monde nouveau. Un monde où on envoie ce qu’on veut quand on veut à la personne qu’on aime bien, où on ne calcule rien et où la spontanéité est de mise. C’est quand même un gain de temps énorme pour faire savoir à l’autre qui on est pour de vrai.
J’ai compris que refuser de répondre à un message dans l’instant en se forçant à attendre, alors qu’un échange du tac-au-tac est tellement plus agréable et drôle, c’était de la torture. C’est un peu comme se poser devant une assiette de ton plat préféré et se dire « Oh bah non tiens. J’ai faim et j’en ai envie mais je vais plutôt attendre quelques heures, voire quelques jours, que ce couscous devienne froid voire périmé ».
Tu fais ce que tu veux et ce qui te correspond, bien entendu, mais en ce qui me concerne et pour ma gueule, j’suis contre.
À partir du moment où j’ai arrêté de regarder la télé comme l’enfant que j’étais il y a quelques années, avec un certain recul, j’ai compris un truc tout con : on doit pas attendre plus des séries que ce qu’elles sont faites pour nous donner, c’est-à-dire du divertissement.
Depuis, ça va vachement mieux.
Les séries ont bien failli te rendre dingue aussi, ou je suis seule dans mon délire ?
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires
Je les regarde, je les apprécie ou pas, mais ça n'affecte en rien mon estime de moi ou ma vie sociale et sentimentale.