Hadopi, du peer to peer aux sites de streaming illégal
Lorsque l’Hadopi est créée en 2009, puis installée en 2010, c’est dans un but simple : lutter contre les sites de téléchargement en peer to peer.
L’Hadopi, c’est la Haute Autorité pour la Diffusion des Oeuvres et la Protection des droits sur Internet. Son but ? Mettre en place une réponse sous forme de sanctions graduées face au problème du téléchargement illégal de contenus culturels, et promouvoir une offre légale. Depuis juillet 2013, une amende de 1500€ est le plus haut degré de sanction encouru.
Ce dispositif avait été loin de faire l’unanimité, du côté des politiques, des fournisseurs d’accès à Internet, des utilisateurs mais aussi des artistes. En cause : la protection de la vie privée, la protection des libertés et la crainte d’un contrôle de l’Internet, l’incompétence technique de l’administration, le manque de pédagogie de l’institution et un coût économique jugé déraisonnable.
Plus généralement le bien-fondé même de la lutte contre le piratage est remis en question : il est par exemple plus juste de parler de crise de l’industrie du disque que de crise de l’industrie de la musique, qui elle ne se porte pas si mal, avec un chiffre d’affaires global en légère hausse l’année dernière.
En 2014, sur 86 dossiers transmis à la justice depuis les débuts des sanctions mises en place par Hadopi, 17 ont fait l’objet d’une décision de justice.
Quand Hadopi se tourne vers les sites de streaming
Mais depuis 2009, Internet a évolué tel un cheval sauvage qui aurait besoin de courir le monde après son destin, et a bien changé.
Désormais ce sont les sites de streaming, ainsi que ceux également dits de « téléchargement direct », qui en font voir de toutes les couleurs aux ayants-droits : selon le site 20 minutes, 13,2 millions d’internautes fréquentent au moins une fois par mois un site dédié à la « contrefaçon audiovisuelle ».
Pour rappel, un site de streaming ça marche un peu comme YouTube, sauf qu’on y trouve films, séries et spectacles en versions longues… et illégales. Le téléchargement direct concerne lui des sites mettant directement à disposition des liens de téléchargement dont les contenus sont stockés par un hébergeur spécialisé.
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Hadopi a réagi dès 2012 en commandant une étude sur le sujet, mais voilà le problème : Hadopi n’a, pour l’instant, aucun droit sur ce périmètre. Elle n’a été créée que dans le cadre de la lutte contre le téléchargement. Alors pour l’instant, il est surtout question d’études supplémentaires : que sont ces sites de streaming, comment fonctionnent-ils ?
Parmi les pistes les plus fréquemment évoquées pour lutter contre ces sites, on trouve l’idée de couper à la source les financements, notamment les publicités qui y sont très nombreuses.
Le dernier rapport d’Hadopi, sorti vendredi 12 septembre 2014, propose donc de :
« […] notamment impliquer davantage et dans un cadre formalisé les intermédiaires de publicité et de paiement en ligne, qui sont utilisés par ces sites pour assurer leur rentabilité. »
Vous remarquerez dans les petites lignes de ce rapport, si vous le lisez en entier, cette expression : « à droit constant ». Ça veut dire que l’Hadopi sait très bien qu’elle sort un peu des clous, mais qu’elle cherche à se raccrocher aux branches :
« La codification à droit constant consiste à changer la forme, la structure des codes, la numérotation des lois et règlements, sans modifier le contenu global du droit. » (Wikipédia)
Hadopi, par ce rapport, cherche donc à dire au législateur quelque chose comme : « Hey, c’est preeeeesque pareil qu’avant, fais pas la fine bouche »… mais il n’est pas dit que ce petit tour de passe-passe puisse se faire aussi aisément.
Pendant ce temps, du côté des offres légales…
Aujourd’hui, 15 septembre 2014, Netflix débarque enfin en France. La fin du streaming illégal ? Pas si sûr…
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https://youtu.be/c0e26IFgwco
Premièrement, Netflix va devoir compter avec la concurrence des autres fournisseurs de vidéos à la demande déjà installés dans le paysage français — Canal+ avec le service Canal Play et Orange avec OCS, entre autres.
Vous me direz : facile, il suffit d’aller chez celui qui a la plus grosse (collection de films et de séries) !
Sauf que ce n’est pas aussi évident que ça… En effet, le vrai amateur de séries sait bien que ce n’est pas seulement la quantité qui compte, mais aussi la qualité. Afficher 120 séries au compteur, comme Canal Play — dont un nouvel accord passé avec HBO, c’est très bien, mais les exclusivités HBO (Game of Thrones par exemple) restent, elles, chez Orange OCS le lendemain de leur diffusion aux États-Unis — l’offre globale d’OCS restant malgré tout moins fournie que celle de Canal.
Une multiplication des abonnements qui ne va pas vraiment dans le sens du client : si vous êtes un consommateur de séries en France, il va falloir s’inscrire à plusieurs abonnements pour être sûrs d’avoir tous vos shows sous la main, gratuitement.
Enfin, dernier problème pour une VOD en téléchargement direct, illimitée, légale et d’envergure : l’infrastructure. Le trafic généré par Netflix inquiète nos opérateurs qui se voient mal payer l’addition de l’amélioration nécessaire du réseau. Problème : Netflix ne semble pas décidé à mettre la main à la poche…
« Pour être diffusés dans de bonnes conditions, CanalPlay, Jook ou Filmo nous reversent un tiers de leur prix d’abonnement. Netflix a refusé. Ils seront donc diffusés directement via Internet, sans passer par nos box », explique un opérateur au Nouvel Observateur.
Un débat qui n’est pas sans rappeler celui de la neutralité du Net, cause ardemment défendue par Netflix, pour des raisons peut-être plus financières qu’humanistes…
« En théorie, les opérateurs peuvent maintenant freiner les flux requis par les utilisateurs, détériorant ainsi le service », dans le but probable d’amener Netflix « à payer pour enrayer cette dégradation » — Le Monde
Pour l’instant, seul Bouygues Telecom a annoncé un partenariat, concernant notamment les abonnés de la Bbox Sensation, dans un contexte de concurrence de plus en plus tendue entre les différents opérateurs.
On est loin du débat autour de la rémunération de l’artiste…
Hadopi a donc beau protester, il semblerait que les sites illégaux de streaming aient encore de beaux jours devant eux, du moins tant que les différents acteurs du milieu ne parviendront pas davantage à dialoguer entre eux.
Et c’est dommage ! Car l’arrivée de Netflix dans le paysage audiovisuel, c’est aussi la possibilité de voir enfin l’offre du marché SVOD boostée ! Il suffit de voir comment Canal a bougé ces derniers jours pour muscler son offre Canalplay alors que Numéricable vient d’annoncer une offre illimitée de séries gratuite pour ses abonnés… attendons de voir comment les Français vont adapter leurs usages à cette nouvelle donne !
Et de ton côté, vas-tu t’abonner à une offre SVOD ?
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- Film de Lover propose de petites infographies sur le nombre des séries et films disponibles sur les services Canalplay, Netflix, OCS, Jook Video et FilmoTV
- Le comparatif très complet de O1.net par points forts et points faibles
- Le dossier de degroupnews.com qui compare point par point les services Jook Video, Canalplay Infinity, FilmoTV, Videofutur, OCS, Canal +/Canal sat à la demande. Le grand absent de ce test : Netflix dont vous pouvez trouver le test dans un article plus récent.
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
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