Avant d’entrer à la rédaction de madmoiZelle, j’ai fait plein de trucs plus ou moins marrants. Je servais des bières, et je traînais avec mes potes au musée. Je regardais aussi beaucoup de fictions historiques, parce que c’est ma passion dans mon cœur.
Un après-midi d’octobre un peu tristoune, ma meilleure amie m’a proposé de me rendre avec elle au casting d’une série en m’indiquant seulement ceci : « je sais plus trop ce que c’est mais c’est marrant à faire ». La journée est morne, je suis en plein désespoir, en quête de nouvelles expériences, curieuse, et surtout… je n’ai rien de mieux à foutre.
J’apprends entre-temps que ce sera une série française, se déroulant pendant la Seconde Guerre Mondiale : c’est une grosse production, avec un fond historique bien fouillé derrière, qui en est déjà à sa sixième saison (donc la septième est en préparation). Vous l’aurez peut-être deviné, c’est Un village français, fiction historique diffusée sur France 3 depuis quelques années ! En gros, ça raconte les déboires des habitant•e•s d’un village, Villeneuve, sous l’occupation allemande. Le pitch officiel est le suivant :
« En juin 40, Villeneuve, petite ville du centre de la France, est bouleversée par l’arrivée de l’armée allemande. L’Occupation vient de commencer et va durer cinq ans. Hortense, Jean, Raymond, Marie étaient des Françaises et des Français ordinaires, maris, femmes, notables ou paysans… »
C’est bien ficelé, et ça a une bonne réputation dans le monde de la fiction historique. Je suis donc assez intriguée, comme vous pouvez l’imaginer !
Dans l’annonce, ils précisent peu de choses : ils recherchent de très nombreux figurants, et le casting est ouvert à tout le monde, hommes et femmes, jeunes et vieux du moment que les femmes ont les cheveux longs et non-colorés. Niveau crinière, je suis pourvue, alors autant tenter le coup — accompagnée de mon amie, c’est encore mieux !
Les plumes et les cotillons : bienvenue dans la fiction historique. Je serai votre guide.
Premières impressions d’une noob au pays des castings
Mon amie et moi-même nous rendons donc au casting, sur le lieu du tournage de la série. C’est loin (on a fait un changement de RER, c’était fouuuu), il fait froid, on a pas de plan, on est franchement pas en avance mais ça nous fait une petite sortie. Je me suis habillée pour l’occasion et maquillée selon l’époque. Je n’ai jamais participé à aucun casting, je suis à la fois curieuse et un peu amorphe : je me traîne comme une larve au bras de mon amie sans vraiment savoir ce qui m’attend.
Sur les marches de l’imposant bâtiment (un ancien hôpital psychiatrique désaffecté qui sert de lieu de tournage), nous rencontrons une dame d’une quarantaine d’années, très excitée à l’idée de participer au casting : elle est intermittente du spectacle et avait déjà joué dans la précédente saison. Elle avait un peu peur d’être reconnue par certaines personnes car son personnage était supposé mourir : elle tentait donc sa chance à nouveau. Nous avons pu lui poser des questions, plus mon amie que moi d’ailleurs : si c’était rémunéré, comment était l’ambiance sur le tournage, comment cela fonctionnait question recrutement.
Elle nous a dit que dans l’hypothèse où nous serions sélectionnées pour faire de la figuration ou être une silhouette (c’est-à-dire avec un petit texte), ils nous rappelleraient pour nous donner les dates et que nous serions mobilisées toute la journée. Nos repas du midi seront pris en charge mais nous resterions entre figurants. Elle nous prévient qu’on va se peler les fesses, qu’on va avoir des super coiffures et surtout, ce qui nous intéresse le plus à ce moment : qu’il y a de l’ambiance et qu’on gagne des sous.
Métaphore de la figuration : on fait ripaille et on regarde les gens faire plein de choses en ayant des habits rigolos.
La session du casting commence, nous sommes invités à entrer dans une pièce et à remplir une fiche de renseignements avec nos informations habituelles et nos éventuels talents (musique, danse, rot sur commande, casser des noix avec nos fesses). Je suis bien embêtée sur ce chapitre, je n’ai pas de talent particulier. Je note « histoire » et je ne sais plus quel truc stupide — tricot ou twerk — sans penser une seconde que j’ai mes chances d’être prise au casting.
Une demoiselle de l’équipe nous fait un petit discours, en nous expliquant le cadre dans lequel nous allons évoluer : les dates de tournage ne sont pas encore fixées mais ce serait à partir de janvier, on devra se montrer disponibles quand ils nous rappelleront éventuellement d’ici deux mois. Si on a pas de nouvelles fin janvier, c’est que c’est mort.
À ce moment là, je n’ai aucune idée si je serai présente à Paris ou pas : j’indique que je suis entièrement disponible en laissant mon regard se perdre au loin dans des pensées toutes autres, comme à quel endroit j’aimerais être en janvier qui ne soit surtout pas la capitale.
Une fois le speech fini, nous sommes invités à passer devant deux dames qui prennent nos mensurations exactes et nous sommes pris en photo avec un numéro. Nous ne sommes pas beaucoup, seulement une petite dizaine. Le casting est ouvert de 8 heures du matin à 20 heures, ce qui veut dire que les membres de l’équipe présents sont franchement épuisés et répètent le même processus toute la journée pour des petits groupes : tous m’apparaissent sympathiques et surtout très patients.
Deux photos, une face et une profil, et c’est fini : c’est très court mais j’apprends que certaines sessions de casting sont au contraire très longues, que ça dépend. La dame que nous avions rencontré à l’entrée du bâtiment est reconnue car elle ne peut pas s’empêcher de demander si je ne sais plus qui qu’elle connaît de la saison précédente est là. Elle prend un air inquiet du style « oh non, il va me reconnaître » face à la celle qui dirige le casting… je sens qu’elle est partagée entre son envie de participer à nouveau à la série et celle de se sentir reconnue par des gens avec lesquels elle a passé une bonne semaine un an plus tôt.
En sortant, je me dis que finalement ça me tente pas mal de faire ça avec mon amie. En rigolant, nous nous disons que si l’une est prise et pas l’autre, nous ferons un scandale.
Nous rentrons chez nous, et puis nous n’y pensons plus.
Figurante tu seras
Entre temps, je rejoins la rédaction, ma vie change du tout au tout et j’ai complètement oublié que j’avais participé à ce casting. Un soir, tard, je reçois un appel d’un monsieur qui m’annonce que je suis retenue. Il ne sait pas pour mon amie, mais il me convoque pour des essayages de costumes et une journée de tournage. Je suis contactée à nouveau quelques jours plus tard pour modifier mes dates et passer de un jour de tournage à trois : après avoir demandé à mon patron (Fab, donc) qui dit oui, je confirme ma présence. Merci patron.
Malheureusement, mon amie n’est pas retenue de son côté. Très occupée, elle n’aurait probablement pas pu s’y rendre si elle avait été prise. C’est donc seule que je vais faire cette nouvelle expérience !
Voilà, je vais participer comme figurante à une série historique. Je suis assez excitée, pour la première fois, car je vais voir comment se passe un tournage. Le budget est plutôt important, l’équipe déjà bien rodée et je me dis que je vais apprendre plein de choses si j’ouvre mes yeux et mes oreilles en grand.
Moi qui m’imagine costumée. Entre joie et déguisement improbable, le combo parfait.
J’aime l’histoire, mais aussi les vêtements d’époque, les objets anciens (du chandelier à la montre) et je m’enthousiasme globalement trop pour ce qui est vieux. En plus, j’ai un physique souvent qualifié de vintââge — ou comme l’ont un jour dit mes camarades de fac, « t’aurais été vachement bonne entre 1300 et 1950 ». Dès que je veux la jouer rétro, il n’y a aucun côté décalé, je suis tout de suite dans le total look : ça me plaît en général, mais jusque là, ça ne m’a jamais vraiment été utile. C’est l’occasion de voir si ce que l’on m’a toujours dit est vrai, si je me suis vraiment bien trompée d’époque question apparence physique.
Paradis du costume et mise en situation historique
Le jour des essayages, je me déplace dans un immense complexe spécialisé dans les costumes de scène et de théâtre. J’attends mon tour, et on me fait entrer avec une pancarte avec un numéro et mon rôle (sobrement intitulé « bal ») dans un hangar rempli de vêtements des années 1940. Manteaux, écharpes, chapeaux, chaussures, robes, jupes, chemisiers, sous-vêtements du siècle dernier débordent des portants.
Bon, là je me rends compte que parler de vêtements « du siècle dernier » ça vaut aussi pour les trucs des 1990’s, donc je précise que ce sont vraiment des choses ANCIENNES, du style que portaient mes (arrières-)grands-parents dans leur jeunesse. Moment émotion…
C’est un peu le paradis sur Terre, le temple du vintage… sauf que je ne peux toucher à rien et que ça sent vraiment bizarre, pas vraiment mauvais mais comme dans un placard mal aéré. L’atelier des couturiers est placé là, au milieu des mètres de portants : l’accueil de l’équipe est chaleureux, mais tout le monde semble fatigué et très concentré.
La maquilleuse/coiffeuse en chef (je ne sais pas trop quel est son titre mais elle semblait gérer question tifs) s’enthousiasme de ma masse capillaire. Elle les malaxe sans vraiment me demander mon avis, comme si j’étais une poupée. Une stagiaire me conduit dans la salle des essayages et je suis présentée au couturier-costumier qui semble gérer l’attribution des tenues.
Au début, il se méprend sur mon rôle, il pense que je fais une silhouette pour une scène un peu tragique. Je lui dit que non, je ne suis qu’Audrey et je suis indiquée comme femme simple dans un bal. Il me toise des pieds à la tête, et dit :
« Je crois qu’on a trouvé ma demoiselle pour le chemisier français. »
Il dit cela d’un ton définitif et enthousiaste, de quasi soulagement, du genre « ouf, enfin la paix dans le monde ».
Puis il doute :
« Oh, le chemisier ou la robe russe ? Non non, c’est définitivement le chemisier français ».
Mon costume m’est attribué en deux secondes, emballé, c’est plié ! Je me déshabille et j’essaie la tenue en question. Il a l’œil car il comprend quelles sont mes mensurations sans même me regarder sans mon gilet pourtant très épais. La stagiaire qui me suit me demande si je suis pudique alors que je me déshabille : je ne suis pas épilée depuis un bail, j’ai eu trop chaud dans ma robe et j’ai très mal choisi mes sous-vêtements. Mais je me déshabille vite fait pour éviter de passer directement pour la fille qui est là par hasard, genre même pas habituée à la nudité alors qu’être comédien•ne, c’est aussi être à l’aise avec son corps.
On me fait enfiler une combinaison si douce que j’ai eu envie de partir en courant avec, et une jupe que je trouve un peu moche, en tissu très épais, un peu large à la taille. Je passe ensuite un chemisier magnifique, fabriqué à l’époque dans un vrai drapeau français. Le tissu est extrêmement léger et fragile, une telle étoffe n’est plus fabriquée de nos jours… c’est une pièce de collection qui aurait sa place dans un musée.
De quoi vous donner une idée en attendant que je reçoive de meilleures photos !
Mon cœur se gonfle et mes yeux brillent, car enfin, je sens l’histoire contre ma peau. Joie de l’historienne qui s’habille d’époque, de vécu, et pas seulement d’une imitation ! On me donne de jolies chaussures à talons — et même que celles-là aussi, j’ai eu envie de les piquer. L’espace d’un instant, fugace, j’ai eu envie de courir dans tous les sens, prise d’une crise de folie amoureuse pour les portants croulant sous des vêtements plus jolis les uns que les autres.
Et puis j’ai décidé que ne pas jouer les foldingues dès le début était une meilleure idée, alors je me suis mise à parler sans m’arrêter.
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Le couturier vient ensuite me manipuler comme un pantin, pose quelques épingles ça et là et admire son travail. Il commente la carnation de ma peau, « joli teint de porcelaine, et ce rouge à lèvres c’est vraiment pile l’époque » : il faut que j’attende de jouer la figurante dans une série historique, sapée comme mon arrière-grand-mère, pour qu’on me trouve méga jolie ! Je me sens flattée et un peu déçue qu’on soit en 2015, du coup.
Autour de moi, il règne une concentration de bibliothèque avant les concours de l’école normale, une atmosphère d’effervescence contrôlée par un emploi du temps délirant.
Le couturier-costumier en chef hausse les sourcils en guise de validation de ma tenue, puis part à l’autre bout de l’atelier. On m’attribue un manteau et un sac à main, on le change parce qu’il fait vieille dame, et je suis baladée par la stagiaire d’un bout à l’autre de la pièce pour que tout le monde valide l’ensemble et apporte son commentaire. J’ai envie de lui demander si on ne peut pas changer la jupe, parce qu’elle est quand même vachement moche (à mon humble avis, parce que j’ai pris l’habitude des paillettes partout), mais je me ravise. C’est pas le moment de faire la difficile !
Je fais plutôt l’unanimité, à part pour un monsieur qui trouve que le chemisier tombe bizarrement : c’est normal, il est en train d’être décousu dans le dos pour être bien consolidé. Je ne suis pas mécontente de faire la belle gosse au bal, même si je pressens que je vais déchanter si je reste habillée comme cela en plein mois de janvier…
Une fois prise en photo sous tous les angles avec une ardoise à numéros, je dois déjà enlever le costume, alors que j’avais envie d’essayer plein de trucs et me déguiser comme quand j’étais petite.
Heureusement, on m’a rassurée (et bien calmée) : je vais suffisamment me peler les fesses dedans pendant mes trois jours de figuration pour ne plus regretter du tout mes tenues contemporaines. On m’annonce que je n’ai pas le droit au vernis à ongles, ni aux collants en nylon et que je vais devoir porter des sous-vêtements chair. Si la manucure et les dessous ne me dérangent pas, je sais d’avance que les collants vont me manquer. On me conseille très fortement d’amener plaid et grosses chaussettes, car le temps sera long entre deux prises.
Résultat des courses, je me sens assez enthousiaste à l’idée de participer à ce tournage. Nous sommes la veille, et je n’ai ni l’heure de ma convocation, ni l’adresse exacte. YOLO, j’y vais avec ma schnek et mon couteau, OKLM, les yeux grands ouverts, pour vous raconter tout ce qu’il se passe une fois là bas.
J’ai regardé la météo, et je souffre d’avance.
Le matin de mon premier jour de figuration
Bonjour, il est 5 heures du matin, j’ai les yeux tout rouges, bouffis et envie de pleurer, parce que c’est pas une heure pour se réveiller. J’ai oublié d’enlever mon vernis, je n’ai pas de dissolvant et je dois me laver les cheveux. Je suis en rupture de stock question caféine, il y a un vent de malade dehors et je vais devoir me rendre sur les lieux toute seule, en ayant 9 chances sur 10 d’arriver en retard parce que je me suis perdue.
Si j’étais une star, j’aurais une voiture avec chauffeur et je pourrais venir tard pour faire chier tout le monde. Mais je ne suis que figurante, noob et historienne, condamnée à prendre le train et me peler les fesses. Mais ça, je crois que je l’ai déjà dit…
La suite au prochain épisode !
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