Il n’aura fallu que quelques heures pour que les créneaux permettant de visiter la maison de Serge Gainsbourg soient complets jusqu’en décembre. Située dans un beau quartier de Paris, cette dernière était fermée depuis la mort du chanteur en 1991.
Mercredi 20 septembre, la demeure a rouvert ses portes, cette fois-ci comme musée, accessible pour une douzaine d’euros. Pour autant, il est difficile de n’y voir qu’un lieu culturel comme un autre. Au contraire, ce succès fulgurant auprès du public est symptomatique du silence assourdissant qui règne autour de Serge Gainsbourg, à propos duquel plusieurs femmes (à commencer par Jane Birkin) décrivent ce qui apparaissent comme des actes de prédation et de violences sexistes et sexuelles.
Dans une bande dessinée particulièrement éclairante et nécessaire, l’autrice et illustratrice Cécile Cée explique ce qui pose problème avec Serge Gainsbourg et, plus largement, pointe le traitement défaillant de l’inceste en France.
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C’est quoi le problème avec Serge Gainsbourg ?
Puisant dans les journaux de Jane Birkin, des interviews de Serge Gainsbourg et dans nombre d’autres archives, Cécile Cée décortique avec minutie les mécanismes d’une figure de patriarche protégée et célébrée. Dans une publication Instagram datant du 18 septembre, à la veille de l’ouverture du musée, l’autrice introduit sa bande dessinée par ces mots, qui méritent l’attention du plus grand nombre :
J’aurais aimé parler de tout ce qu’on trouve d’hallucinant dans les journaux de Jane Birkin : comment Gainsbourg a plusieurs reprises lui demande de se laisser agresser sexuellement par d’autres devant lui, comment elle passe son temps à excuser ses violences, à ne rien voir ni comprendre de ce que vivent ses filles…
J’aurais voulu parler de ces trois adolescentes devenues adultes (Constance Meyer, Aude Turpault, Marie-Marie) qui ont écrit des livres pour raconter comment Gainsbourg les a utilisées à la fin de sa vie sexuellement et émotionnellement, qui racontent le même schéma de prédation rôdé, mais qui le font dans le déni le plus total propre à l’emprise que décrit @manon_fargetton dans Tout ce que dit Manon est vrai.
« Totem d’impunité pour tous les agresseurs sexuels »
Au croisement des figures masculines toxiques de « l’artiste incompris », du « misogyne au grand cœur maltraité par les femmes » et même du « père fou d’amour » pour sa fille au point de la désirer, Cécile Cée explique pourquoi il serait légitime de considérer Serge Gainsbourg comme un « totem d’impunité pour tous les agresseurs sexuels ».
Inceste, viols, emprise, prédation, dessins incestueux et pornographiques, humiliations publiques de jeunes femmes (comme France Gall, âgée de 18 ans au moment des faits quand Gainsbourg approchait des 40 ans)… Tout y passe dans ces témoignages d’autant plus édifiants que l’autrice explique qu’ils sont constamment tus, niés ou tournés au ridicule par les médias et les institutions.
Dans ce contexte, il est nécessaire d’interroger le bien-fondé d’une campagne médiatique élogieuse qui passe sous silence des questionnements légitimes sur Serge Gainsbourg. En attendant l’émergence d’un vrai débat public, la bande dessinée de Cécile Cée est à lire de toute urgence, pour continuer à lutter dans une société où la culture du viol et de l’inceste semblent avoir de beaux jours devant eux.
Les Commentaires
J'ai vu cette séquence quand j'étais pré -adolescente. Ma mère avait été choquée par la scène. Quant à moi, je ne pouvais pas imaginer qu'un père puisse désirer sexuellement sa fille, même si j'avais déjà entendu parler d'inceste. Je pensais, très naïvement et avec déni, que Gainsbourg aimait sa fille d'un amour filial un peu trop fort...