En novembre 2016, à l’occasion de vacances bien méritées en Thaïlande, j’ai réalisé un truc : je passe beaucoup de temps à parler. Mais genre, vraiment beaucoup. Et en plus je suis pas sûre sûre que ça serve toujours à quelque chose…
À mon retour en France, j’ai décidé de me forcer à ne plus parler pendant cinq jours. Pas pour apprendre à devenir zen, pas pour trouver la paix. Mais pour voir si j’ai vraiment besoin de tout le temps m’imposer dans le discussions, les débats. Et aussi pour essayer de comprendre l’importance de la parole dans mon métier et ma vie de tous les jours.
Cette expérience, je l’ai menée avec vous, en vous racontant mes péripéties tous les jours. Vous pouvez retrouver ci dessous mon carnet de bord, jour par jour.
Jour 1 : le projet
Je crois qu’il y a des moments dans la vie où il faut se challenger un peu. Sortir de sa zone de confort pour comprendre des trucs sur soi, sur les autres, sur la façon dont fonctionne la société.
Il y a deux ans, je partais en Thaïlande alors que je ne connaissais strictement rien à ce pays, de sa monnaie à sa capitale en passant par son gouvernement.
Cette fois-ci, je me pose un nouveau défi : essayer de ne pas parler du tout, pendant cinq jours, de lundi 9 heures jusqu’à vendredi 18 heures. Pendant le boulot, mais aussi en dehors, dans la vie de tous les jours, et MÊME toute seule.
Pourquoi ne pas parler pendant 5 jours ?
Lorsque j’étais en Thaïlande, j’ai rencontré une étudiante qui avait fait une semaine de silence, dans une retraite aux Philippines. Elle m’avait décrit l’expérience de A à Z, ainsi que les effets que celle-ci avait eu sur elle.
Déjà à l’époque, j’avais eu envie de m’y mettre. Mais je n’avais ni les moyens financiers, ni le temps. Cette année, j’ai discuté avec Marine, atteinte de la sclérose en plaques, qui a entrepris un voyage initiatique.
Son but : « nettoyer » son corps, son esprit et son âme. Et elle aussi a décidé de tenter l’expérience, dans un monastère en Birmanie.
L’envie m’est revenue, mais se posait toujours la question du temps et de l’argent. Et puis je me suis dit : après tout, pourquoi forcément faire ça dans un monastère ? Si je faisais ça dans la vie de tous les jours, est-ce que je n’apprendrais pas d’autres choses ?
Le silence pour réfléchir sur d’autres choses
Je me suis d’abord dit qu’il était impossible d’arrêter de parler pendant une semaine normale, pendant laquelle je suis à Paris et je bosse tous les jours. Mais finalement, pourquoi pas ? Dans le cadre du travail, ça pourrait être une expérience intéressante à raconter.
Et dans la vie de tous les jours, est-il vraiment possible de ne pas parler ?
Si on y réfléchit bien, il y a des gens qui sont muet•tes, qui ne peuvent pas utiliser leur voix pour communiquer avec les autres. Comment font ces personnes ? Comment font-elles pour commander un kebab, passer un coup de fil, appeler à l’aide quand elles sont en danger ?
J’ai donc décidé de tenter l’expérience, pour essayer de mieux comprendre comment ça marche. Et qui sait… en arrêtant de parler, j’apprendrai peut-être à mieux écouter ?
Prendre du recul sur moi-même en arrêtant de parler
Ceux et celles qui me connaissent savent combien ce challenge est compliqué pour moi : je suis une bavarde invétérée. Je parle BEAUCOUP. Quand j’étais ado, tous mes bulletins de notes portaient au moins une fois la mention « trop bavarde ».
Mon prof de philo après avoir commis l’erreur de me dire « Qu’en penses-tu ? »
Cette idée, je la mijote depuis un bail. J’en ai discuté avec ma mère parce que quand je doute sur un truc, j’en parle toujours avec elle. Et elle m’a dit : « t’y arriveras jamais ».
Elle est sympa, ma mère, hein. Mais réaliste aussi.
Je vous l’avoue, je ne suis pas la reine de la volonté. L’année dernière j’ai tenté de faire une cure de pommes : ne manger QUE des pommes pendant trois jours. J’ai tenu une demi-journée.
Alors est-ce que je vais y arriver ? Je n’en sais rien. Ça fait deux heures que ma semaine du silence a commencé et j’ai déjà un dépôt bizarre au fond de la gorge.
En plus je suis allée voir Vaiana ce week-end, j’ai essayé de rigoler silencieusement pour m’entraîner et j’ai pas réussi. Autant dire que ça va être chaud jeudi soir pour le CinémadZ Tous en scène…
Il n’empêche que je vais tout faire pour m’y tenir. Même si raconter des potins me prend le double de temps parce que je suis obligée de les écrire à mes copines. Même si je dois aller faire des courses et que je vais passer pour une malpolie à la caisse.
Vous pourrez retrouver mes impressions tous les jours sur madmoiZelle. Souhaitez-moi bonne chance !
Jour 2 : faire du tri dans mes paroles
Voilà une journée que je ferme ma bouche et je vais être très honnête avec vous. J’ai déjà fauté.
Bon, pas fauté-fauté, j’ai pas prononcé de mots : j’étais en train de mater Skins (oui, team nostalgie) et d’un coup j’avais complètement oublié mon vœu de silence, j’ai explosé de rire sans aucune retenue.
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J’aimerais arriver à ne plus faire fonctionner mes cordes vocales. Ce que j’ai fait, ça n’a pas rompu la petite bulle dans laquelle je me suis installée cette semaine, mais quand même, ça craint ! Promis je vais faire plus gaffe.
Quoi d’autre ? J’ai guetté vos réactions depuis hier, parce que quand j’ai présenté mon projet à l’équipe, elle m’a déjà posé mille questions. Alors je me doutais que ce serait pareil avec les lecteurs et lectrices.
Une démarche qui n’a rien de spirituel
Et LA question qui revient souvent c’est plus ou moins : « tu penses vraiment obtenir les mêmes effets qu’une retraite dans un monastère » ? Au début je me suis dit : l’un de mes intertitres s’intitule « réfléchir sur d’autres choses », ils sont pénibles les gens qui ne lisent pas les articles en entier !
Et puis après j’ai vu que vraiment beaucoup de monde posait la question, donc j’ai compris que je m’étais mal exprimée (on appelle ça « prendre du recul sur soi », j’apprends en ce moment).
Donc pour vous répondre : NON je n’espère absolument pas obtenir les mêmes résultats qu’une retraite dans un monastère. La démarche et les objectifs sont différents.
Les deux personnes que j’ai rencontrées, qui avaient tenté cette expérience, m’ont donné l’idée de faire vœu de silence. Par la suite, j’ai réfléchi à l’intérêt que ça pouvait avoir dans la vie de tous les jours.
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Je n’espère évidemment pas trouver la même sérénité, ce n’est d’ailleurs pas le but. L’objectif c’est de repenser mon rapport à la parole et à la communication dans ma vie quotidienne.
Faire le tri dans ce que je dis
Et je n’en suis qu’à un jour, mais j’ai déjà pas mal réfléchi. Dans le cadre de mon travail, je me dois d’échanger avec mes collègues (l’équipe de madmoiZelle). Comme c’est hyper long d’écrire plutôt que de parler, hé bien… Je ne communique que sur les choses essentielles.
Les râlages intempestifs, les blagues pas drôles et les « Moi aussi je… » passent à la trappe. Je ne dis pas que je ferais bien de définitivement fermer ma bouche. Ni que râler est inutile (bon sang j’en aurais des gens à engueuler ce week-end). Mais je réfléchis mieux sur l’utilité de mes interventions.
Ah j’en aurais des choses à dire hein !
Côté pratique, je sens déjà combien ça va être pénible à la longue. Je suis obligée de monopoliser Clémence beaucoup trop longtemps pour un simple débat sur un sujet d’article (on n’arrivait pas à se comprendre sur le mec qui apprend à programmer en un mois).
Côté collègues, ça rigole bien. Je monopolise Slack, notre outil de discussion au travail, et ça les fait bien rire. Tant mieux pas vrai ?
Rendez-vous demain sur cet article pour un point à mi-parcours de mon expérience !
Jour 3 trouver d’autres façons de communiquer
C’est fou comme certains proverbes, à première vue anodins, peuvent sembler choquants quand on y réfléchit bien.
Hier on a proposé une idée d’article et comme je suis du genre à tout le temps donner mon avis, les autres s’attendaient à ce que je me manifeste.
Devant mon silence (évidemment), quelqu’un a lancé « hé, qui ne dit mot consent » ! Et là on a réalisé combien ça craignait de dire ça.
Après on s’étonne que ce soit si difficile d’éduquer au consentement quand de tels proverbes sont gravés dans nos tics de langage… En tout cas, nous on a rayé celui-ci de notre vocabulaire !
Comment parler… sans parler
Même si j’ai décidé d’arrêter de parler, je suis bien obligée de communiquer avec les gens. Je suis quelqu’un d’assez poli de base et il ne me viendrait pas à l’idée de croiser un•e voisin•e dans les escaliers sans lui dire bonjour.
Pas comme les colocs étudiants en médecine d’à côté de chez moi, dont les interactions sociales se résument à des regards méprisants sur mes fringues. Ceci est un message à peine caché.
DONC au lieu de simplement snober les gens, je multiplie les hochements de tête. Comme je ne peux pas être sympathique dans mes paroles, je n’arrête pas de sourire.
Un sourire pour dire merci, pour dire bonjour, pour répondre par l’affirmative… À force, j’en ai mal aux zygomatiques.
Ce qui m’étonne, c’est que du coup les gens sont carrément plus sympas. Je dégage probablement plus d’ondes positives. On n’arrête pas de me demander si ça va, on me souhaite bonne chance, on me tapote gentiment l’épaule…
Ah oui, les autres sont plus tactiles aussi. Pourquoi ? C’est bizarre non ?
N’empêche que cette communication non verbale ne fonctionne pas toujours. En allant à la salle des podcasts pour préparer le live de Margaux et Fanny sur Les Sims, j’ai croisé Navie, co-prêtresse de l’Émifion.
Elle m’a dit un truc du genre « Salut comment ça va ? ». Et moi je me suis contentée de hocher la tête bêtement. Sauf qu’elle ne sait pas que j’ai arrêté de parler. C’était hyper gênant.
Ah vous rigolez bien hein !
Il faut bien l’avouer, je me suis fourrée toute seule dans cette situation. Du coup mes collègues n’hésitent pas à me taquiner un peu.
La dernière vanne en vogue ? Margaux qui me lance « t’en dis quoi ? » quand je goûte un truc trop bon qu’elle a cuisiné… Des barres de rire hé !
La tendance c’est aussi de me dire « hé ben Lise, t’es pas polie, tu dis pas au revoir ? » (ou bonjour, selon le moment). Ce que j’aime bien avec mes collègues, c’est qu’elles sont très sensibles au comique de répétition !
Ma voisine de bureau après m’avoir lancé « t’as mangé ta langue ? »
J’ai un peu l’impression que ma gorge est en train de s’emplâtrer. Je sais, ce mot n’existe pas, mais ça décrit très bien ce que je ressens ! Et je ressens une très forte envie de CHANTER.
Jour 4 : réfléchir sur moi-même
Hier Margaux m’a demandé quels seraient les premiers mots que je dirai quand je pourrai à nouveau parler, demain à 18 heures. J’ai eu un gros blanc. Je pensais tout simplement à « Ah, ça fait du bien ! » mais c’est pas très… épique comme phrase, non ?
Je crois que je me suis tellement habituée à ne plus parler que je ne suis plus trop en mesure de réfléchir à ce que je vais dire. J’espère juste que ma voix ne sera pas trop rouillée !
La communication non-verbale dans la vie de tous les jours
Hier j’expliquais que j’avais commencé à développer d’autres façons de m’exprimer, pour me faire comprendre de mon entourage. Je ne connais pas la langue des signes mais des hochements de tête et un contact visuel suffisent pour des communications basiques.
J’ai constaté que je souriais beaucoup plus de manière générale, pour faire passer des messages. En parallèle, j’ai aussi remarqué que les gens étaient dans l’ensemble plus sympas avec moi.
Et si mes problèmes de communication avec les autres venaient tout simplement du fait que je fais toujours la tronche ? Je suis pas une fille méchante, je dis pas des choses agressives aux gens, je suis respectueuse… pourtant il ne se passe pas une semaine sans que je me mette à dos quelqu’un.
Moi quand une pote m’annonce qu’elle va se marier.
Si ça se trouve, les gens s’arrêtent à mon expression faciale et ne prennent plus le temps d’écouter ce que je dis, parce que la communication faciale serait…
Plus importante que la communication verbale ?
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Les autres gens… et moi
Finalement avec le boulot, je suis un peu dans ma bulle : mes collègues sont au courant de ma démarche, personne ne s’étonne que je communique par gestes. Quand des lectrices viennent, elles sont vite averties que je ne parle pas donc elles ne sont pas surprises.
Alors qu’en dehors, c’est une autre paire de manches. Hier j’ai voulu aller acheter du pain dans une boulangerie. Je suis restée dix minutes à hésiter devant la vitrine… Et je suis partie.
J’ai pas eu le courage. Tant pis, les grilled cheese au fromage à raclette attendront la semaine prochaine.
Ce matin particulièrement a été très compliqué : je dois prendre le RER B pour aller au travail, la pire ligne de tout le réseau ferré de Paris (ceci est totalement subjectif).
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On était serré•es comme des sardines et une fille marchait sur mes bottines que j’ai payées cent euros, soit un bras.
Je ne savais pas comment faire pour lui demander de faire attention. Surtout que tout le monde était à cran, il y avait deux chances sur trois pour qu’elle me hurle dessus !
Point plus positif, j’ai eu envie d’insulter copieusement quelqu’un sans vraiment avoir de raison. Et évidemment, je ne l’ai pas fait. La semaine de silence, plus efficace qu’une séance de yoga !
Demain, c’est le dernier jour de mon défi. J’ai hâte et en même temps… Je suis un peu nostalgique aussi ! Par contre j’ai remarqué que plein de collègues m’ont dit que mon initiative était une bonne idée.
Ce serait pas un message caché, un peu comme quand on offre du savon à quelqu’un à l’hygiène douteuse ?
Jour 5 : la libération
Ça y est, on approche de la fin ! Dans quelques heures je pourrai enfin reparler. Je ne sais même pas si je vais attendre impatiemment 18 heures avec le cœur battant, ou si je ne vais même pas voir le temps passer. Pour l’instant en tout cas, je ne suis pas HYPER impatiente. Ça va.
D’habitude je suis une fille sympa, promis !
Hier au CinémadZ, j’ai rencontré une future membre de l’équipe. On l’avait invitée à se joindre à nous, histoire qu’elle fasse déjà un peu connaissance avec l’équipe. Je m’en voulais de passer pour une fille pas très sympa qui n’adresse pas la parole aux autres…
Du coup j’ai dû écrire sur mon téléphone pour lui expliquer ma démarche, et même pour discuter avec elle. Bon, elle a l’air sympa comme fille donc elle ne l’a pas mal pris !
Quand le silence commence à devenir obsessionnel
Je dois vous faire une confession : hier, Marina notre jolie rédactrice beauté a dit un truc, je ne sais plus quoi, et d’un coup j’ai ressenti un élan de vive jalousie envers elle. En mode « Elle au moins elle peut parler ! Elle a trop de la chance ! ».
Pourquoi à ce moment-là, pourquoi contre elle ? Je ne saurais l’expliquer, mais c’est le signe que je dois vite m’arrêter.
La nuit dernière, j’ai rêvé que j’étais à la rédac et que j’intervenais au cours d’une conversation même pas intéressante pour mettre mon grain de sel. Et tout le monde me regardait avec des yeux ronds parce que j’avais brisé mon vœu de silence pour ça. C’était horrible.
NON JE… PROMIS J’AI PAS PARLÉ !
Et la nuit d’avant PAREIL, cette fois pour taper la causette à mes parents. Le pire c’est que le matin je me réveille avec une grosse déception au ventre, parce que je crois que j’ai raté mon défi.
En même temps comme ça quand je me rends compte que c’était juste un rêve, je suis contente !
Bon je vous rassure, je ne suis pas la seule à perdre la boule : Fanny aussi a rêvé de ma semaine du silence, alors qu’elle, elle a le droit de parler !
Vous l’aurez compris, j’ai beau ne pas trépigner d’impatience à l’idée de reparler (disons que je suis à sept sur dix sur l’échelle de l’ouverture des cadeaux de Noël), il me tarde de pouvoir chantonner à nouveau !
Et après ?
À la fin de mes cinq jours de silence, j’ai recommencé à parler. Et j’ai prononcés mes premiers mots devant la caméra du vlog parce que hé, si je commence l’expérience sur madmoizelle, je la finis sur madmoizelle ! Retrouvez donc le vlog de cette semaine, avec Margaux qui s’est amusée à me bolosser en guest star.
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Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
Puis on m'a tellement usée avec l'expression "Qui ne dit mot conscent", c'est sûrement l'expression qui m'agace le plus du coup !
Lise F. es-tu sûre de ne pas avoir parlé pendant ton sommeil pendant cette fameuse semaine ? ah ah ! (Bon, deux ans plus tard, peu de chance que tu lises ce message.)