Article initialement publié le 11 mars 2015
Le 10 décembre 1964, Martin Luther King et sa femme Coretta sont à Oslo, où le pasteur/militant pacifiste en faveur des droits civiques des Noirs aux États-Unis accepte le prix Nobel de la Paix.
Le film s’ouvre sur cette scène feutrée, qui contraste violemment avec la réalité de leur quotidien. En Norvège les honneurs, aux États-Unis le déshonneur.
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En effet, les citoyen•nes afro-américain•es luttent pour exercer leur droit de vote, pourtant garanti par la Constitution depuis que la Ségrégation séparant les Noirs des Blancs a officiellement été abolie par le Civil Rights Act de 1964 (après plusieurs arrêts de la Cour Suprême allant dans ce sens).
Dans les États du Sud, l’égalité n’existe que sur le papier. Les Noir•es ont théoriquement le droit de vote, mais doivent faire face aux pires humiliations pour pouvoir s’inscrire sur les listes électorales. On leur demande de réciter des passages de la Constitution, de passer des tests de connaissances que leurs concitoyen•ne•s blanc•he•s ne seraient pas davantage en mesure de réussir.
Ces obstacles sournois sont parfaitement illégaux, mais les shérifs sont élus, les juges sont élus, les jurés sont tirés au sort parmi les électeurs… et tant que le corps électoral restera blanc, il n’y a aucune raison pour que le paysage politique évolue.
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Cette situation convient tout à fait à l’élite et aux classes moyennes et populaires blanches du Sud, comme par exemple en Alabama, dans la petite ville de Selma.
Mais elle ne peut plus durer pour les citoyen•ne•s Noir•e•s, qui subissent humiliations, insultes et discriminations au quotidien, et sont victimes de répression violente. Les meurtres des Noir•e•s ne sont pas étudiés par la police, les coupables sont rarement poursuivis, toujours acquittés… par les jurés blancs.
Martin Luther King trouve dans la petite ville de Selma le théâtre parfait pour orchestrer des manifestations pacifiques, et compte sur l’excès de zèle du shérif local et l’obstination du Gouverneur de l’Alabama pour mettre le feu aux poudres.
Il s’agit de faire pression sur le Président, Lyndon Johnson, de le pousser à renforcer le Civil Right Act, comme le demandent les activistes Noir•e•s, afin de garantir l’effectivité du droit de vote de tou•te•s les citoyen•ne•s américain•e•s.
À l’aube de l’année 1965, c’est à Selma que l’Histoire s’écrit.
https://youtu.be/hMRUwFPl3Tk
Si vous ne deviez voir qu’un seul film en 2015, et allez voir Selma !
Selma, dans les coulisses de l’Histoire
Selma est bien sûr un hommage au combat de Martin Luther King, mais ce serait une erreur de le réduire à cela. Ana DuVernay, la réalisatrice, a trouvé l’équilibre parfait d’un biopic qui n’est pas égocentré.
En effet, le film fait la part belle à tou•te•s ceux et celles qui ont contribué à donner à ce mouvement l’élan qu’il a connu. Et si le pasteur King en est la figure incontournable, il était loin d’en être le seul pilier !
Les femmes, grandes oubliées de l’Histoire, occupent une place de choix dans celle-ci. Oprah Winfrey s’est impliquée dans ce projet, en tant que productrice mais également à l’écran, où elle tient le rôle d’Annie Lee Cooper, une militante qui a participé activement aux marches pacifiques de Selma.
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Annie Lee Cooper. Amelia Boynton. Diane Nash. Des noms méconnus, inconnus : ceux de femmes qui ont joué un rôle aussi important que les révérends Williams, Orange, Reese, Abernathy, qui ont marché dans les premiers rangs aux côté du Dr King.
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« Selma », le film avec un Martin Luther King, extraordinairement humain
Selma retrace sans romance le déroulé d’événements devenus historiques, avec tout ce qu’ils comportent de coïncidences et de hasard. Sans romance, parce qu’Ana DuVernay ne réécrit pas le scénario avec la conviction acquise que le combat de King était évident dans son déroulement.
Avant d’être le héros dont l’Histoire se souviendra encore longtemps, il était avant tout un homme, perclus de doutes et d’hésitations, habité par la conviction de mener une lutte juste et mesurée, malgré les attaques subies des deux côtés : trop « extrême » pour l’administration Johnson, mais beaucoup trop timide pour d’autres leaders du mouvement, de Malcom X aux étudiant•e•s engagé•e•s, qui réclamaient des actions plus fortes.
David Oyelowo prête ses traits au pasteur King. Il donne une dimension humblement humaine et remarquablement ordinaire à une figure élevée depuis au rang d’icône. L’acteur s’efface complètement derrière le personnage, dont on partage les émotions, la peur, la douleur, la détermination, la tristesse, la lassitude, la colère.
Martin Luther King avait un rêve, mais il avait surtout des convictions, et le courage de se lever pour les défendre, en entraînant les gens avec lui. On connaissait l’homme du discours, mais avec Selma, Ana DuVernay nous présente l’homme d’action, dans sa complexité et ses faiblesses.
Un homme extraordinaire, remarquablement humain. L’étoffe dont on fait les héros semble étrangement banale, accessible. Comme si chacun•e d’entre nous avait le pouvoir de se lever pour faire entendre sa voix et faire une différence. Oui, exactement comme ça.
J’avoue ne pas comprendre pourquoi David Oyelowo n’a pas été nommé aux Oscars 2015 pour ce rôle. Il a été nommé aux Golden Globes mais n’a pas remporté le prix. Le film Selma n’a d’ailleurs reçu qu’une seule nomination aux Oscars cette année, pour le meilleur film. C’est vraiment le minimum.
Pourquoi le film Selma est une claque monumentale ?
En 1965, aux États-Unis, on tuait des Noir•e•s pour faire régner la terreur et maintenir une forme de ségrégation illégale. En 1965, le Ku Klux Klan conduisait des assassinats punitifs. En 1965, ces meurtres restaient impunis, les Blancs étaient systématiquement acquittés.
En 1965, mes parents étaient nés. Quel est le rapport ? Si je vous dis ça, c’est parce qu’en regardant Selma, j’ai eu le sentiment qu’on me racontait une histoire extrêmement lointaine, indigne d’être qualifiée de « contemporaine ». Parce que cela voudrait dire que tout ceci s’est passé dans un temps que mes propres parents auraient pu connaître.
Les quatre fillettes noires tuées lors d’un attentat à la bombe dans une église auraient pu être les mères de mes ami•e•s, des gens de mon âge.
1965, c’était il y a 50 ans seulement.
C’était il y a déjà 50 ans, et pourtant aucun film à gros budget ne s’était penché sur l’histoire récente des Noirs américains. Aucun film à gros budget n’avait été dédié à Martin Luther King.
C’était il y a déjà 50 ans, et pourtant, les marches pacifiques, la lassitude, l’humiliation, la colère, l’épuisement, les violences policières, les discours racistes, violents, les insultes, les affronts, l’injustice, toutes ces scènes sont douloureusement familières.
Selma, 1964
Ferguson, 2014
(Photo de Shawn Semmler, prise à Ferguson en août 2014. Les manifestants crient « hands up, don’t shoot » : les mains en l’air, ne tirez pas.)
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Allez voir Selma, et vous comprendrez pourquoi les meurtres impunis de Michael Brown et Trayvon Martin sont insupportables, pourquoi ces injustices embrasent la colère des habitant•e•s, pourquoi les excuses et les tentatives d’apaisement et d’appels à la patience par les élites blanches sont non seulement inaudibles, mais proprement indécentes.
N’allez pas voir Selma en pensant plonger dans le passé, un chapitre de l’Histoire mal enseigné, méconnu. Allez voir Selma pour comprendre à quel point les discriminations raciales sont insupportables aux États-Unis, aujourd’hui. Parce que le combat pour l’égalité dure depuis trop longtemps, et qu’il a coûté beaucoup trop de vies.
J’ai vu dans le film un shérif proférer des paroles profondément racistes, traiter les Noirs d’animaux. Une scène presque miroir d’un extrait utilisé par John Oliver dans son émission, où un shérif de Ferguson qualifiait ses concitoyen•ne•s afro-américain•e•s de « fucking animals ». 50 ans plus tard…
Selma n’est pas seulement l’histoire du combat des Noir•es amércain•es pour le droit de vote. C’est un témoignage de notre responsabilité collective, nous, complices passifs des oppressions qui persistent au sein de nos sociétés.
J’ai rarement vu un film historique être aussi touchant, sincère et authentique. On a toujours du mal à garder un oeil objectif sur les dilemmes qui ont déchirés nos aînés : l’Histoire est tellement plus facile à lire lorsqu’on l’appréhende avec notre regard contemporain… Mais Selma a conservé les doutes qui criblent les esprits, y compris ceux des hommes d’action, des hommes de pouvoir, ces doutes qu’il faut confronter et dépasser ensemble, à la force de ses convictions.
Et surtout, j’ai rarement vu un film historique être aussi actuel. Selma n’est pas qu’un hommage, c’est un rappel. L’Histoire n’est pas un abstrait lointain, elle s’écrit aussi au présent.
John Legend et Common signent la musique originale qui ouvre le générique, le titre Glory, une poésie engagée qui résume à la perfection ce que les mots ne sauraient exprimer avec autant de justesse.
– Traduction libre
« Un jour, la gloire arrivera Cette gloire sera la nôtre Un jour, lorsque la guerre sera gagnée Nous serons en sûreté
Les mains vers le ciel, aucun homme, aucune arme Ne seront dressés contre nous, La Gloire est notre destinée. Chaque jour des femmes et des hommes deviennent des légendes Les affronts perpétrés contre nous deviennent des bénédictions
Le mouvement est un rythme pour nous Le liberté, une religion pour nous La justice coule dans nos veines
La justice pour tous n’est pas assez spécifique Lorsqu’un de nos fils tombe, son esprit persiste Il vit et revit en nous, nous sommes la résistance C’est pourquoi Rosa s’est assise dans le bus C’est pourquoi nous marchons dans Ferguson les mains levées
Les femmes et les hommes se montrent à la hauteur de la lutte Ils nous disent de rester à terre, et c’est là qu’on se lève Des coups de feu, nous sommes au sol et les caméras filment King a montré la voie et nous l’avons suivi
Un jour, la gloire arrivera Cette gloire sera la nôtre Un jour, lorsque la guerre sera gagnée Nous serons en sûreté
Mais la guerre n’est pas finie La victoire n’est pas encore remportée Nous nous battrons jusqu’au bout Et quand ce sera terminé, Nous crierons cette gloire
Selma est un hommage à tous les hommes, les femmes et les enfants Même Jésus fut couronné devant une foule
Ils ont ouvert la voie, marchant la torche à la main, et nous devons accélérer le pas Ne pas regarder en arrière, le chemin parcouru De l’ombre il est sorti, devenu un héros Face aux tribunaux, aux élus, mais son pouvoir était celui du peuple L’ennemi est mortel, mais King est devenu un roi Il a vu l’image de Jim Crow dans un aigle royal
La meilleure des armes est de rester pacifique Nous chantons, cette musique est le sang qui s’écoule de nos plaies Quelque part dans ce rêve, nous avons eu une révélation Et nous réparons maintenant les torts de l’Histoire Aucune guerre n’est gagnée par un seul homme Il nous faut la sagesse des anciens et l’énergie de la jeunesse Bienvenue dans cette histoire que l’on renomme victoire L’arrivée du Seigneur, mes yeux témoins de cette gloire. »
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Les Commentaires
Il y a des scènes durement réaliste, mais ça touche le spectateur de plein fouet.
Merci MadmoiZelle pour la découverte