Avant la loi, c’est-à-dire : sans se préoccuper de la punition d’un point de vue législatif. Plus précisément : meurtre, vol, errance, perte d’identité ; ceci considéré d’un point de vue purement humain. A travers le monde, voilà posée la question du choix de l’homme, de ses actes, des conséquences de ceux-ci, par le biais d’une sélection de romans.
Pierre ou les ambiguïtés (Herman Melville)
1852, Etat-Unis
Pierre commence avec des airs de roman de chevalerie. On trouve le héros, riche héritier promis à un bel avenir et sur le point de se marier à la belle Lucy Tartan avec laquelle il connaît alors un amour platonique.
Pas la moindre modernité pour le moment dans ce roman. Pourtant à mesure que l’intrigue se noue et se dénoue, Pierre se trouve confronté à des choix qui vont bouleverser sa vie et le porter jusqu’au meurtre. Si le récit garde une affectation peut-être agaçante, il reste que l’analyse des ambiguïtés auxquelles se heurte le personnage (qui viennent des circonstances extérieures et, surtout, de ses propres sentiments) est riche et intéressante.
Pola X, le film de Leos Carax avec Depardieu et Deneuve, en est une adaptation.
Crime et châtiment (Dostoïevski)
1866, Russie
Crime et châtiment est le roman le plus connu d’un des romanciers russes les plus lus.
Il raconte l’errance d’un homme, Raskolnikov, qui après avoir tué puis volé une prêteuse sur gage se trouve en proie à la culpabilité, à la paranoïa, à des obsessions qui ne le laisseront tranquille qu’à un certain prix.
Cette errance intime a la réputation justifiée d’être parmi les meilleurs romans jamais écrits.
La faim (Knut Hamsun)
1890, Norvège
Le personnage anonyme de La faim est hors du commun. La narration est à la première personne et nous suivons ses divagations d’affamé, de vagabond, qui sont parsemées d’éclairs de génie littéraire (ou supposé tels) car il est aussi écrivain ; ceci en oscillant sans cesse entre deux postulats : est-il fou ou a-t-il tout son bon sens ?
Nous sommes entraînés avec lui dans les rues de Christiania, nous subissons avec lui le regard plein d’effroi de ceux qui l’entourent, et devenons à notre tour affamés : cette fois, de la force de l’écrivain Knut Hamsun.
Adapté au cinéma par le Danois Henning Carlsen dans un film qui reconstitue bien l’originalité de ce personnage et ses particularités quasi envoûtantes.
Le voleur (Georges Darien)
1897, France
Premier vol dès l’avant-propos : Georges Darien n’a pas écrit le roman qui va suivre mais l’a volé après l’avoir trouvé dans un sac. Voilà qu’il le publie sous son nom, comme l’avait présagé en fait Georges Randal, personnage à l’origine du témoignage que nous lisons.
Déjà une amusante réflexion sur le vol, à peine avons-nous tourné la première page. C’est qu’en fait, au-delà de l’anecdote qu’il raconte (un fils de bonne famille devenu orphelin est volé par son oncle et se fait à son tour voleur, rencontre des cambrioleurs de tout type au court de ses aventures), Le voleur est plutôt un penseur. Parmi tous ses vols en effet fleurissent des pages et des pages de réflexion sur le capitalisme, l’anarchisme, la légitimité du vol ; bref rien d’aléatoire chez ce personnage. Au contraire tout est justifié : à notre tour alors de penser avec lui.
Feu Mathias Pascal (Luigi Pirandello)
1904, Italie
Le personnage de ce roman de Pirandello se trouve presque malgré lui dans une position dont on peut rêver : la possibilité de changer de vie. Par erreur en effet ses proches confondent un corps mort qu’ils trouvent là où travaille le héros avec le sien. Justement, il étouffait. Devenu un anonyme ou, plus précisément, celui qu’il a envie d’être, Mathias Pascal change de vie, avec en poche de l’argent qu’il a gagné dans un casino.
Rien ne permet mieux de considérer le choix de l’homme que dès lors qu’il n’a plus d’identité. Car si Mathias Pascal est libre d’être qui il veut être, l’absence totale de contrainte sociale dont il profite se trouve assez vite entravée par des obstacles intimes.
Nous avons les mains rouges (Jean Meckert)
1947, France
Peu après la Seconde Guerre mondiale. Alors qu’un nouveau pouvoir se bâtit sur l’image héroïque des résistants, quelques hommes et femmes réunis dans la montagne savent, eux, qu’il est toujours nécessaire de lutter, quitte à avoir du sang sur les mains.
Le personnage principal, à peine sorti de prison, est aspiré au sein de ce groupe et c’est par le biais de ses interrogations sur la légitimité de ce combat que le lecteur suit les actions et peurs de la bande.
Un roman difficile à trouver mais qui vaut le détour, à l’image d’autres romans de Jean Meckert, écrivain par ailleurs de romans policiers sous le pseudonyme de Jean Amila.
Aucune bête aussi féroce (Edward Bunker)
1973, Etats-Unis
Les romans d’Edward Bunker ont ceci d’exceptionnel qu’ils ne sont pas écrits par quelqu’un qui est étranger à ce dont il parle. Plus précisément si l’Américain écrit des romans policiers, c’est parce que le milieu des bandits, du vol et des prisons, il les connaît bien. Depuis sa jeunesse déjà, il a fréquenté des maisons de redressement en tout genre, pour finir par atterrir avant vingt ans au pénitencier de Saint-Quentin. Des années plus tard, toujours en prison, il se décide à écrire : c’est là qu’il rédige son premier roman, Aucune bête aussi féroce.
Bien que certains passages semblent inspirés par son expérience, le roman de Bunker est fictionnel (à la différence de son autobiographie, L’éducation d’un malfrat). On cueille le personnage principal à sa sortie de prison, alors qu’il a décidé de devenir un bon petit citoyen. Mais avec son responsable de conditionnelle les ennuis commencent déjà et, d’embûche en embûche, le revoilà en cavale, récidiviste.
Ce roman n’est pas l’histoire d’un rachat : au contraire, il tire les ficelles du système punitif des Etats-Unis pour montrer que ce personnage n’est au fond que le produit de la société. Et même ce parti pris mis à part, c’est un roman poignant et d’une intelligence qui fait valser n’importe quelle idée reçue sur voleurs et malfrats.
Adapté au cinéma par Ulu Grosbard : Le récidiviste, avec Dustin Hoffman.
Les exclus (Elfriede Jelinek)
1989, Allemagne
C’est à partir d’un fait divers qu’Elfriede Jelinek a écrit ce roman : celui d’un jeune garçon ayant tué toute sa famille.
Jelinek ne cherche pas en fabriquant une fiction aboutissant à ce massacre à expliquer le meurtre du jeune homme. Mais la démarche est intéressante : elle dresse le portrait de quatre adolescents qui se croisent, tiraillés par des aspirations contradictoires et incompatibles les unes avec les autres.
Comme à son habitude, la romancière écrit avec une force saisissante le parcours de ces quatre jeunes exclus et parfois extrêmes.
Un doux parfum de mort (Guillermo Arriaga)
1994, Mexique
Un doux parfum de mort est un roman policier à la structure peu commune, faite assez souvent de flash-back comme les films dont Arriaga est le scénariste (Amours chiennes, 21 grammes, Trois enterrements). Si le roman n’a pas la force sans doute donnée à deux de ces films par la réalisation de son acolyte lui aussi Mexicain, A. Gonzalez Iñarritu, il est pourtant assez original.
Dans un petit village du Mexique, le cadavre d’une jeune fille est retrouvé et plutôt que de se focaliser à proprement parler sur l’habituelle enquête policière, le roman s’intéresse aux différentes réactions des villageois à ce crime : désir de vengeance, fuite, accusations erronées. Point de punition ici, de communes errances policières en quête de justice, mais les divers choix que font les habitants face à cette situation hors normes.
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
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