Le cinéma filme souvent le monde de l’entreprise de manière critique ; c’est en tout cas le but de cette sélection que de réunir des films qui pour la plupart pointent du doigt ses dysfonctionnements, son inhumanité, son incohérence.
C’est pourquoi parmi des films qui ont pour théâtre tel ou tel domaine du monde du travail, on en trouvera d’autres qui ont plus particulièrement pour thème le chômage : à l’écart de l’entreprise, ce thème y est bien sûr irrémédiablement lié.
Les films ici réunis cristallisent chacun à leur façon les préoccupations sociales et économiques de leur époque, avec humour ou gravité… Voilà donc un petit tour d’horizon qui traverse le monde.
Des films assez connus pour leur réflexion sur le sujet, comme par exemple Ressources humaines de Laurent Cantet ou Le voleur de bicyclettes de V. De Sica manquent à l’appel : c’est uniquement par souci de faire un choix, et finalement de se concentrer sur des films assez récents étant donné la vitesse à laquelle un tel sujet se transforme.
Le grand saut (Joel & Etan Coen)
Etats-Unis, 1994
C’est sur le mode de la plaisanterie qu’on entre dans The Hudsucker proxy. Le conseil d’administration d’une grande entreprise met au point une combine pour éviter la faillite : placer à la tête de son empire un benêt qui, faisant chuter les actions par son air et ses méthodes simplettes, leur permettra de les racheter à bas prix. C’est Norville Barnes qui décroche le gros lot, idiot du village qui se retrouve projeté des sous-sols où il travaillait comme larbin au sommet de la grande tour Hudsucker.
L’idée simple de ce film des frères Coen est d’introduire dans les rouages d’un système capitaliste qui jusqu’alors fonctionnait à merveille un petit caillou. Ou plus exactement un petit grain de folie, une aspérité, ici représentée par ce simplet qu’est Norville Barnes. Avec son arrivée, c’est tout ce système qui est tourné en dérision, pointé du doigt dans ses incohérences, et finalement détourné au profit d’une inventivité délicieuse. Placer l’idiot dans l’entreprise Hudsucker, c’est en effet y faire entrer un élément perturbateur, mais pas celui qu’on croit ; car la simplicité va finalement se transforme en créativité – celle qu’on n’écoutait pas et qu’on ne comprenait pas – et par là, ferment de liberté.
Ceci donne lieu à ce qui est sans doute une des scène les plus inventives et gracieuses du cinéma des deux frangins. En quelques minutes, elle suffit à condenser tous les mécanismes à l’œuvre dans ce système et à en faire jaillir un élan de liberté, seul espoir dans un monde qui tournait avant ça beaucoup trop rond !
Avec Tim Robbins, Jennifer Jason Leigh, Paul Newman
Au loin s’en vont les nuages (Aki Kaurismäki)
Finlande, 1995
Les personnages d’Au loin s’en vont les nuages vivent dans un premier temps dans le même monde placide que la plupart des héros de Kaurismäki. Pourtant, ce calme n’est qu’apparent, effet de mise en scène. Tout comme les deux autres personnages de sa trilogie des loosers, qui réunit son dernier film Les lumières du faubourg et son plus grand succès, L’homme sans passé, Ilona et son mari illustrent à leur tour un des maux de notre temps. Koistinen est solitaire, M. est un marginal ; Ilona et Lauri, quant à eux, se retrouvent au chômage.
Derrière l’habituelle stylisation des films de Kaurismäki qui pourrait d’abord laisser croire à une vie paisible, on retrouve donc une cruauté et une difficulté auxquelles ne peut répondre que l’humour de quelques gags un peu patauds, qui portent comme toujours en eux une charge de vérité. Mais plus rien n’est tranquille : avant que la vie et le temps reprennent enfin leur cours, Au loin s’en vont les nuages est un film de lutte, un film dans lequel des personnages, emportés dans la tempête du travail, tentent d’y injecter un peu d’humanité. La cruauté n’est montrée du doigt qu’avec humour et c’est comme ça, qu’enfin, la tendresse peut faire retour.
Comme le dit Kaurismäki, Au loin s’en vont les nuages devient à mesure qu’il se déroule un film sur la solidarité, une solidarité en voie de disparition et qui donne à ce film un aspect revigorant. La fin, vivifiante à sa façon, c’est-à-dire sur un mode très posé, se déploie au milieu d’un chagrin, d’une difficulté qui barrait l’existence des personnages tout au long du film.
Avec Kati Outinen, Kari Vaananen
Rosetta (Jean-Pierre et Luc Dardenne)
Belgique, 1999
Comme beaucoup de personnages de Kaurismäki, ceux des frères Dardenne sont des marginaux. C’est le cas de Rosetta. Mais bien que rejetée aux limites de la société, elle tente d’y rentrer par coup de forces. Car ce qui caractérise Rosetta est avant tout sa hargne, la façon qu’elle a de se débattre dans le monde pour y faire entrer le sien, pour qu’enfin l’un et l’autre soient en adéquation.
Et ceci passe par le problème de l’emploi. Si Rosetta est marginale c’est sans doute avant tout parce qu’elle est chômeuse, parce qu’elle en bave dans sa caravane et qu’elle est prête à tout pour décrocher un job, quitte à perdre toute humanité. C’est bien le propos des deux frères belges qui, en quelque sorte, va à l’inverse de celui d’Au loin s’en vont les nuages. Ici, le chômage n’est pas quelque chose dont on se tire, quelque chose à partir de quoi on s’échappe. En revanche le chômage, le désarroi, la sauvagerie qui l’accompagnent se posent dans Rosetta comme source d’aliénation : pour les personnages et, finalement, pour le film lui-même, boucle fermée, circuit indépassable, qui ne peut se terminer que par l’anéantissement de soi, c’est-à-dire de son personnage éponyme.
Comme d’habitude chez les frères Dardenne, Rosetta est un film d’un réalisme saisissant, sur le mode caméra à l’épaule, qui fait que mise en scène, propos et personnage sont en totale adéquation. C’est la poigne et la hargne de la jeune femme qui en font un film violent, dur ; à l’image du monde où il s’installe. Par là-même, Rosetta devient un portrait, le portrait d’un monde et de l’insoumise qu’il n’a su mater, et qui ne se courbera même pas devant la bête qu’elle est devenue.
Avec Emilie Dequenne
Violence des échanges en milieu tempéré (Jean-Marc Moutout)
France, 2002
L’approche de Violence des échanges en milieu tempéré ne consiste pas à dépeindre le monde de l’entreprise à travers le regard d’un réalisateur qui en soulignerait l’horreur. Sa violence apparaît bel et bien saisissante ; pourtant, le propos de ce film est finalement celui d’un drame intime qui, bien que l’entreprise en soit le cadre, concerne plus strictement l’évolution d’un personnage.
L’approche demeure donc celle d’un cinéma qu’on pourrait dire social : mettre un personnage dans un bocal (telle entreprise) et regarder ce qui se passe. Précisément, Violence des échanges en milieu tempéré, dont le titre évoque presque un travail scientifique, se présente comme une description : la description d’un processus qui, petit à petit, va transformer un homme à qui on confie un pouvoir qu’il va devoir apprendre à dompter et surtout à rendre acceptable aux yeux de ses proches et même des siens : celui des ressources humaines.
L’intéressant dans ce film est donc de suivre la transformation de Philippe : d’observer en lui l’humanité se transformer comme sous l’effet d’une réaction chimique. De regarder le chemin qu’il parcourt, peu à peu, vers l’abdication de soi.
Avec Jérémie Rénier, Laurent Lucas
Los lunes al sol (Fernando Leòn de Aranoa)
Espagne, 2003
« Le lundi au soleil / C’est une chose qu’on n’aura jamais »… à moins d’être chômeur, comme c’est le cas des personnages de ce film qui prend place après un mouvement de grèves. Les ouvriers les plus motivés sont restés sur la paille. Certains ont retrouvé du travail – mais se sentent toujours dégradés. D’autres, toujours sur le carreau, considèrent leur situation avec poigne et humour.
C’est à travers Santa, interprété par Javier Bardem, qu’on prend Los lunes al sol. C’est-à-dire que son regard joue d’une part le rôle de filtre : ce qui est chez ses compagnons désabusés considéré comme étant sans espoir est chez lui objet de colère, autrement dit de vie, ou de tentative de s’y accrocher… La fierté est avant tout ce qui le commande, contre la soumission qu’on voudrait lui imposer. Face à cette soumission, face à l’exploitation, Los lunes al sol se fait à l’image de son protagoniste un film contre, qui remobilise ainsi une forme de résistance. Ce contre quoi il se pose, le film ne le montre pas : il en parle, l’évoque comme un arrière-pays menaçant et surtout laisse planer son empire. Celui de ce qui est sans cesse nommé, ce qu’on combat, mais à quoi on ne peut pas se confronter directement.
D’autre part le personnage de Santa transforme la noirceur absolue d’une telle situation en matière à humour. Bien sûr les moments tristes ou pénibles ne manquent pas, mais la vie de ces personnages cassés par le chômage, par un travail épuisant, détruits par la nécessité de se vendre est aussi traversée par une force, celle de l’humour qui, sans en faire un film optimiste, y fait circuler un élan de vie, positif, revendicatif.
Avec Javier Bardem, Luis Tosar
La question humaine (Nicolas Klotz)
France, 2007
Le propos de La question humaine est simple : faire surgir petit à petit dans la conscience de son personnage principal, qui travaille aux ressources humaines d’une entreprise, un parallèle entre ses méthodes et celles des nazis. Attention, il ne s’agit pas, comme on pourrait le penser à la lecture d’un tel résumé, d’assimiler libéralisme et nazisme mais de poser l’histoire à l’horizon de notre société, en l’occurrence dans ce qu’elle a de plus dur. Ce qui est intéressant dans ce film, c’est que c’est par le langage que ce parallèle se met peu à peu en place dans une mise en scène froide, glacée. Froide comme le langage utilisé, dur, formel ; et surtout habile à cacher la blessure qu’il occasionne.
La question humaine est sans doute un film lourd, ne serait-ce que dans l’intention comparative du départ. Il y règne par ailleurs une certaine rigidité, solennelle. C’est celle d’un film qui dissèque avec ses personnages, avec leurs conversations et à travers la langue, le processus de déshumanisation auquel l’entreprise et ici le personnage de Simon confrontent les homes. Toutefois, l’émotion prend petit à petit place dans le film et notamment dans le monologue final.
Avec Mathieu Amalric, Michael Lonsdale, Jean-Pierre Kalfon
Les Commentaires
France, 2002
J'ai trouvé que c'était un film vraiment bon, et comme tu dis, c'est le changement qui s'opère chez ce type qui est intéressant...