L’incompris (Luigi Comencini)
Italie, 1967
Les frères de L’incompris sont ennemis malgré eux : parce que l’un est adoré de son père tandis que l’autre est le vilain petit canard, le mal aimé, l’incompris qui fait tout pour recevoir lui aussi l’affection qui lui est refusée.
Il y a là-dedans, bien sûr, quelque chose d’assez misérabiliste qui peut faire dire facilement que le film le plus connu de Comencini est avant tout larmoyant et ne cesse de s’enfoncer dans cette voie à mesure qu’il avance. Il puise dans un tas de sentiments déjà disponibles chez le spectateur, ce qui sans doute le fait frôler la complaisance.
Mais on peut peut-être voir son développement plutôt comme une projection imaginaire, ce qu’il est en somme en tant que fiction. La projection imaginaire de ce que chaque incompris, avec Andrea, s’est rêvé à être : un martyr ; le devenir étant la seule façon d’attirer l’attention, d’être enfin compris…
Le résultat, c’est qu’il y a quelque chose qui tient presque de la catharsis dans L’incompris. Ce film serait comme un clin d’œil vers le spectateur, un cadeau donné comme seul soulagement possible.
Avec Anthony Quayle, Stefano Cologrande
Ostia (Sergio Citti)
Italie, 1970
Ostia est un film réalisé par Sergio Citti, acolyte de Pasolini qui en signe ici le scénario.
Nous sommes dans un monde presque étrange, presque fermé sur lui-même : on suit deux frères, Bandiera et Rabbino, qui rencontrent une femme comme eux, Scimmia. Elle semble d’abord s’ajouter comme un troisième élément à leur ensemble. Ils sont tous trois hors de la ville comme hors du monde et du temps. Libres ou en prison, dans le présent ou se racontant les uns les autres leurs souvenirs les plus marquants comme s’ils étaient anodins.
Il y a dans la plus grande partie du film une véritable jouissance : c’est celle des personnages, de ces personnages à part et qui, on le croirait avec eux, ont pu n’être qu’un – frères tous ensemble.
Et on aurait envie de dire que c’est un des films les plus beaux de Pasolini, même s’il n’est pas de lui, car il est parmi les plus simples et les plus beaux à la fois. Il y a quelque chose d’élémentaire dans cet amour fraternel, qui devient jalousie quasi animale, une honnêteté saisissante, silencieuse et particulièrement belle. Quelque chose d’élémentaire dans cette jouissance qui se révèle maléfique car dévorante et surtout, trompeuse autant qu’elle avait l’air d’un rêve.
Avec Franco Citti, Laurent Terzieff
Vivre me tue (Jean-Pierre Sinapi)
France, 2003
On ne peut pas parler de haine entre Paul et son frère, c’est même l’inverse : un trop plein d’amour, un sentiment presque délétère tant il enferme l’un et l’autre dans une relation étroite. Etroite à cause de l’antagonisme saisissant qui existe entre les deux frères. A côté de Paul, chômeur se rêvant écrivain et fou de Moby Dick, Daniel joue le rôle de miroir inversé : s’il a peut-être la même finesse que Paul, il ne rêve que de muscles, quitte à se doper pour les gagner plus vite.
Mais par une tendance presque trop appuyée à marquer l’affection de Paul envers son frère Daniel, presque simplet ou qui se croit l’être, à se focaliser sur les sourires pleins de tendresse de Paul ou sur le désespoir enragé de Daniel, certaines scènes – parmi les plus belles – annoncent que le temps de la stabilité ne peut durer.
Ceci sur fond de critique sociale : entre Barbès et Pigalle, Lens et l’Allemagne, Vivre me tue se promène dans quelques coins laissés de côté, autant dans un certain cinéma qu’ils le sont dans la fiction. Il n’y a pas critique violente, il y a comme une ouverture délicate vers un paysage laissé de côté, vers les personnages qu’il abrite.
Vivre me tue, partant d’un amour envahissant, quasi nuisible autant qu’il est beau, projette sur le personnage de Paul tout le poids de la simplicité de son frère ; un poids avec lequel il ne peut finalement vivre à plein, sans jamais l’énoncer. Sauf peut-être dans le fait que dire « vivre me tue« , c’est comme faire de son frère une autre partie de soi, avec laquelle on ne peut pas vivre ; à moins que…
Avec Paul, le film manifeste d’une tendresse folle pour le personnage de Daniel, auquel Jalil Lespert offre à proprement parler son corps. Il y a chez lui, grâce à sa simplicité, une grandeur émouvante, qui donne au film sa perspective la plus belle.
Avec Sami Bouajila, Jalil Lespert, Sylvie Testud
Nue propriété (Joachim Lafosse)
France, 2007
Les deux frères de Nue propriété sont frères à la vie, Jérémie et Yannick Rénier. Par une amusante mise en abyme, ils deviennent presque rivaux à l’écran en tant qu’acteurs autant qu’ils le sont, sournoisement, dans la fiction.
Ce qui est plus intéressant, toutefois, c’est la façon dont à partir d’une relation intense entre deux frères, l’intrigue développe petit à petit la naissance d’une lutte entre eux. Elle part d’une décision de leur mère, qui pour une fois est l’élément qui fait s’accumuler les rivalités fraternelles. C’est en effet quand leur mère leur annonce qu’elle veut vendre leur maison que la lutte s’amorce entre un frère violent, impulsif et petit chef, et l’autre silencieux, qu’on croirait presque aphasique. Ceci jusqu’au dénouement qui cristallise les haines, les pousse à leur comble, dans une dynamique presque similaire à celle de L’incompris, quoique nettement plus distanciée.
Avec Jérémie Rénier, Yannick Rénier, Isabelle Huppert
La nuit nous appartient (James Gray)
Etats-Unis, 2007
Le rapport entre les deux frères de We own the night n’est pas explicitement le propos central de l’intrigue. Il s’agit plutôt d’une intrigue policière. Pourtant la relation entre Bobby et son frère Joseph est plus que le prétexte de la chasse qui se met en place contre la mafia russe. Elle en est la source, la cause, le résultat.
Comme d’habitude chez James Gray dont c’est ici le troisième film, ce sont les relations familiales qui sont la base du développement de la fiction ; relations qui sans cesse se tissent à l’intrigue policière, se tissent jusqu’à ce que les deux éléments deviennent inextricables.
Comme d’habitude quand il y a rivalité entre deux frères, il y a l’empire de leur père qui se pose à l’horizon du film, que ce soit pour l’un en tant que pôle répulsif ou pour l’autre attractif. Ici, la rivalité entre les deux frères se développe sur le plan professionnel puisque leur père est policier. Tandis que Joseph suit brillamment sa voie, Bobby lui penche vers l’autre rive : il est le patron d’une boîte de nuit, fricote avec la mafia… qu’en fin de compte sa famille va lui demander de donner.
Ce qu’il y a de beau dans La nuit nous appartient est donc, avant tout, le poids de cette famille, dans une intention presque tragique. Cette famille qui pèse et pèse sur un homme qui pourtant s’accomplit dans son activité, dans son amour, et se trouve pour sa famille confronté au renoncement de son bonheur, au renoncement de soi, aligné en fin de compte comme son frère sur l’influence paternelle.
Avec Joachin Phoenix, Mark Wahlberg, Robert Duvall
Shotgun stories (Jeff Nichols)
Etats-Unis, 2008
Les frères de Shotgun stories sont deux fois trois. Il y a d’une part les trois frères délaissés par leur père et grandis dans la haine de celui-ci. Ils sont pauvres, vivent dans une tente, une voiture, sont abandonnés par leur femme parce qu’ils jouent leur argent aux cartes. D’autre part, trois frères qui ont tout gagné à être élevés par leur père. Ceci, dans le sud profond des Etats-Unis.
Avec la mort du père de ces six hommes, la haine des trois frères délaissés – Son, Kid, Boy – se transforme en haine de leurs trois demi-frères. Toute la violence, tout le ressentiment jusque là étouffés refont surface dès l’enterrement et la vie de ce petit village de l’Arkansas devient le théâtre d’une vendetta où les armes prennent la place des mots.
Tout se fait par silences dans Shotgun stories. Il n’y a rien de démonstratif chez Jeff Nichols, au contraire : une distance saisissante qui, dans les scènes les plus dures, pousse le tragique à son comble. Dans un monde où tout se cache, où le moindre sentiment est tu et où seule la haine peut finalement s’extérioriser, la mise en scène se fait à son tour sèche, presque apaisante, là où couve et s’exprime la violence.
Avec Michael Shannon, Douglas Ligon
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