Laissez-moi vous conter l’histoire d’une étudiante en sciences politiques, qui compensait son jeune âge par sa motivation, se passionnant pour « la chose publique ».
En 2007, j’avais 20 ans, et je suivais la politique avec un engouement qui se perd de nos jours, oserais-je dire sur le ton du vieux con. Et pourtant, c’était vraiment pas mieux avant, bien au contraire.
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La douce naïveté d’une militante
En 2002, je m’étais promis qu’à la prochaine élection présidentielle, je m’impliquerai en amont, pour ne plus avoir à manifester contre le FN — rappelons qu’en 2002, Jean-Marie Le Pen avait atteint le second tour de l’élection présidentielle, qu’on ne puisse plus dire de la jeunesse qu’elle s’emporte et se soulève sans savoir vraiment ce qu’elle vient faire dans cette galère.
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Alors, j’ai préparé les concours, j’ai fait le tour de France pour les passer, je suis entrée à Sciences Po puis dans les mouvements de jeunes pour commencer en politique. En 2007, j’y étais, dans les rangs du Parti Socialiste.
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Je n’avais pas voté pour Ségolène Royal lors des primaires, ce n’était pas ma candidate, mais elle l’était devenue en remportant l’élection. Que voulez-vous, je suis profondément démocrate et républicaine. J’étais donc prête à porter le flambeau en faveur de la rose.
Et puis, j’ai assisté, perplexe, à une campagne présidentielle d’une rare violence. Je n’étais pas complètement naïve non plus, je m’attendais à ce que les mesquineries fusent, que les échanges de coups soient plus ou moins francs.
Je trouvais que le traitement médiatique réservé à Ségolène Royal était particulièrement injuste, qu’on remettait sans cesse en cause sa compétence à diriger la France, alors qu’elle avait quand même une sacrée expérience d’élue, de présidente de région, de députée, de ministre, et qu’on ne pouvait pas vraiment en dire de même de Nicolas Sarkozy, lequel semblait être naturellement compétent…
… Mais je me disais que j’étais partisane, donc que mon avis était nécessairement biaisé, et que si les journalistes étaient plus sévères avec elle, c’est que quelque part, elle était moins rigoureuse que l’autre candidat dans ses interventions.
« Mais qui va garder les enfants ? »
Et puis, il y a eu cette « petite phrase », cette expression dont on affuble les pires mesquineries, et dont s’amusent les journalistes.
Je m’attendais à ce que quelqu’un la sorte. C’était sûr. Une femme, candidate à l’élection présidentielle, mère de quatre enfants, quelqu’un allait bien finir par faire la blague, ça viendrait d’un vieux réac’ conservateur croyant faire un trait d’humour, et elle l’exploiterait pour dénoncer la faiblesse des arguments de ses adversaires politiques.
Je n’étais pas féministe à l’époque, parce que je n’avais jamais été confrontée au sexisme (que je croyais), c’était un combat qui me semblait dépassé, un problème déjà réglé, un temps révolu (que je croyais…)
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Mais sans avoir aucune connaissance théorique sur la question, je savais déjà, instinctivement, que de renvoyer une femme politique à la cuisine (ou à ses enfants…) était une répartie disqualifiante. Après tout, j’aspirais moi-même à devenir une « femme politique », et je prenais exemple sur les modèles que j’avais sous les yeux, hommes et femmes indifféremment.
Et puis, il y a eu cette « petite phrase », que je n’ai jamais digérée :
« Mais qui va garder les enfants ? »
Oh, elle ne venait pas du clan Le Pen, cette mesquinerie vénéneuse. Elle ne venait même pas du clan Sarkozy, cette pique humiliante. Elle ne pouvait pas venir du Modem, qui se voulait ouvert et égalitaire.
Oh non non non. Elle venait du Parti Socialiste, de l’un de ses ténors en plus, un homme pour lequel j’avais beaucoup de respect, et même un peu d’admiration, lesquels ont été instantanément annihilés par cette réplique, balancée par Laurent Fabius, et que je tiens à répéter tant elle m’a résonné dans la tête :
« Mais qui va garder les enfants ? »
Déjà, mais qui A gardé les enfants pendant toutes ces années où Ségolène Royal était impliquée en politique, où elle oeuvrait pour l’intérêt général, où elle occupait des mandats électoraux ?
Avant d’être sexiste, cette remarque était conne, vraiment.
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Le mépris, cette insulte suprême
J’ai regardé, passive, estomaquée, le propre camp de Ségolène Royal saboter subtilement sa campagne. La pique de Laurent Fabius avait fait exploser ma bulle d’ambitions comme un ballon de baudruche.
Je trouvais déjà que la loi sur la parité était une insulte aux femmes, la simple idée qu’on puisse penser que mon premier succès électoral le serait « en vertu des quotas » et non de ma capacité à mener et gagner une campagne me nouait les tripes.
Que même celles qui assument et qui réussissent se retrouvent renvoyées en cuisine (ou aux langes) par les hommes de leur propre camp, ce constat m’était insupportable.
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L’indifférence des autres
En 2007, j’ai déchiré ma carte, et claqué la porte d’un parti qui m’a insultée en méprisant sa candidate.
Oh bien sûr, la « petite phrase » de Laurent Fabius a été largement commentée… Commentée oui, mais très peu, trop peu dénoncée. C’était « une boutade », vous pensez bien.
Il a fallu que je sois moi-même confrontée au sexisme pour que je prenne conscience de l’étendue de ce fléau dans notre société. Après la politique, j’ai quitté l’entreprise.
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Que voulez-vous, je suis trop jeune, trop motivée, je n’ai pas de temps à perdre à démontrer sans cesse ma légitimité. Je préfère me consacrer à mettre à profit mes compétences, plutôt qu’à tenter de perpétuellement convaincre que non, ni mon utérus, ni mon vagin ne sont des obstacles à ma productivité.
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Quand Vincent Dedienne rétablit les scores
Dimanche 3 mai 2015, j’aurai attendu longtemps, beaucoup trop longtemps, pour qu’on daigne enfin rembarrer Laurent Fabius, et tou•tes ceux et celles qui ont ricané sans réagir.
Cette Bio Interdite de Ségolène Royal est étonnamment pertinente, et finalement pas si absurde qu’à l’accoutumée…
Un texte très (très) fin, qui renverse le mépris sur ceux qui l’ont pratiqué (« ces garçons dont elle n’a plus entendu parler »), moque la manie de dévaloriser et minimiser tout ce qu’une femme politique accomplit (« promotion Voltaire, comme la station de métro »). Ça fait. Tellement. De bien.
Alors merci, merci Vincent Dedienne d’avoir saisi cette opportunité pour revenir sur cette « petite phrase » dévastatrice, de rappeler le traitement politique et médiatique indigne qui avait été réservé à la candidate socialiste en 2007.
J’avais, pour ma part, dédié l’ouverture de notre répertoire du sexisme en politique à Laurent Fabius, car s’il a refroidi mes ambitions politiques, il a bien inspiré mon engagement féministe.
Et si le parti socialiste avait retrouvé un peu de grâce à mes yeux depuis la création du Ministère des Droits des femmes, et les efforts faits en faveur de la promotion de la parité, et de la lutte contre le sexisme, on est encore loin du compte :
- Lorsque Benoît Hamon se disait « gêné » par les études de genre
- Lorsque le gouvernement reculait sur le genre
- Lorsque François Hollande envisageait une « liberté de conscience » des maires homophobes
- Lorsque tant de députés et de sénateurs se sont prononcés contre le droit des femmes à disposer de leur corps, contre la liberté de choix.
Lorsque tant de femmes font les frais du machisme en politique :
- Lorsqu’il faut encore des quotas pour lutter contre le préjugé d’incompétence
- Lorsqu’on refuse même de nommer au féminin les postes de pouvoir
- Lorsqu’on imite une poule alors qu’une femme s’exprime à l’Assemblée Nationale
- Lorsqu’une femme en robe se fait siffler… dans l’hémicycle de l’Assemblée
- Lorsqu’elles doivent continuellement rappeler que « et sinon, [elles font] de la politique »
Et bien d’autres joyeusetés mises en évidence dans cet excellent documentaire, ou dénoncées dans notre répertoire (car nous n’allions pas continuer à publier un article par anecdote sexiste, on ne ferait plus que ça).
Ségolène Royal a été mon premier véritable modèle en politique, car pour la première fois, une femme crevait le plafond de verre. Je ne savais pas encore qu’il existait à l’époque, je ne voyais aucun obstacle sur ma route, aucun qui ne pourrait résister à la force de mes ambitions.
C’était peut-être beaucoup d’importance accordé à une « petite phrase », mais pour moi, c’étaient les autres qui accordaient trop d’importance à un détail de mon anatomie. Dans « femme politique » je ne voyais que le politique, « femme » était un genre grammatical relou pour l’accord du participe passé avec avoir (entre autres).
Mais non. En politique, je serai « femme » avant tout. Fort bien. Depuis 2007, je n’ai pas oublié de voter avec mon genre (et mon utérus !) à toutes les élections…
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Les Commentaires
J'ai bien precise a mes "camarades" que je ne soutenais pas tout le monde au gouvernement, mais comme je ne vis pas en France c'etait la meilleure option de gauche a prendre pour le moment vu que je veux etre plus engagee (politiquement et au niveau de l'humanitaire) et que il y a des sections PS la ou je vis. Je n'y connais pas grand chose mais les choses ont fait que l'annee derniere on a fait campagne pour les consulaires et y avait pas mal de PS dans la liste. Je me reconnais plus a gauche et je suis degoutee par ces attaques, meme si pour autant je n'aime vraiment pas Segolene Royale (l'individu pas la femme.)
Il faudrait que ces vieux dinosaures se cassent, mais je ne crois pas que son feminisme doit empecher de milliter un minimum dans ce genre de "grands partis", j'ai ete a une universite de printemps ce week end et quand j'entends parler les millitants, on se rend compte que ce parti regroupe vraiment beaucoup de choses super positives bien plus a gauche que ce que nous montrent les grands pontes. En tous cas moi entre la politique et le feminisme je n'ai pas du tout fait un choix et si la remarque vient d'un de mes camarades ca ne m'empechera pas de monter au creneau.