Nom d’une Dame Blanche aphone ! Quelle plus belle erreur de jeunesse que celle de faire du spiritisme le samedi soir à la lueur de la bougie, mis à part les soirées vin blanc/grenadine – abribus ? Arrive un moment où vos ami(e)s et vous avez fait le tour du patelin et des sujets de conversation. Votre soif d’adrénaline se met à vous ronger les os… que pourriez-vous faire sans avoir à ressortir le Monopoly et sans terminer la nuit au poste ? C’est dans ce moment de désœuvrement qu’une personne bien avisée va proposer de faire une séance de spiritisme. Attention au revival de l’Exorciste.
« L’homme en société, d’ici et d’ailleurs, d’hier et d’aujourd’hui, semble produire des croyances collectives comme le foie produit de la bile », écrit Pascal Sanchez dans son livre Les Croyances Collectives (éd. PUF). Esprit, es-tu là ? Sauf mauvaise volonté, le saligaud se manifeste toujours. Pourquoi et comment ?
L’avantage de la séance de spiritisme, c’est qu’elle ne coûte rien, demande peu de préparation (écrire chaque lettre de l’alphabet et les chiffres de 0 à 9 sur une feuille blanche avant de les découper ou prendre les pièces du Scrabble), et ne nécessite pas d’avoir le permis (on peut le faire chez soi en pyjama). C’est un divertissement accessible à tous, et aussi un bon moyen d’avoir la chair de poule sans trop d’efforts. L’inconvénient, c’est que les légendes urbaines concernant les séances de spiritisme sont aussi nombreuses que les regards libidineux sur un string dans un téléfilm érotique.
Nous avons toutes entendu ce genre d’anecdotes : « ma mère faisait tourner les tables quand elle était jeune, et un jour deux chats noirs sont rentrés dans la pièce alors que toutes les portes étaient fermées et ils se sont battus jusqu’à la mort » ; « un copain de mon frère a fait du spiritisme une seule fois, il a arrêté car il a vu que le poster de Bob Marley accroché au mur se décrocher puis se remettre sur le mur, avec les punaises et tout » ; « une fille de ma classe, elle est tombée sur un esprit malin, et le lendemain elle a fait un coma éthylique » etc. Vous remarquerez donc qu’il s’agit dans 99% des cas d’une histoire vécue par l’équivalent d’un ectoplasme (le cousin de votre voisine, la femme d’un collègue, un mec dans un autre lycée…). En ce sens, on peut dire que les fantômes existent.
Les séances de spiritisme obéissent à des règles obscures. Il faut utiliser un verre en cristal (mais on finit par prendre un verre de Nutella), brûler l’intérieur (mais on oublie), et casser le verre après (mais il rebondit sur la moquette et c’est la nuit blanche assurée). Il y a toujours quelqu’un qui EST TRÈS AU FAIT du rituel. D’où tient-il ses informations ? Personne ne sait mais si l’épreuve existait au bac il aurait mention TB. Allan Kardec (1804-1869), en revanche, a flairé le bon filon en écrivant plusieurs manuels de pédagogie sur la question (Le Livre des Esprits, Le Livres des Médiums, Qu’est-ce que le spiritisme ? Introduction au monde de l’invisible…).
Tout le monde vous le dira : invoquer les esprits est dangereux. C’est totalement vrai. Invoquer les morts est dangereux pour votre tranquillité d’esprit et vos relations sociales. Voyons ensemble les étapes classiques d’une séance de spiritisme.
22h02 : Après avoir posé 40 fois la question « Esprit, es-tu là ? » et lancé 40 fois un « CHUT » hargneux contre votre copine Roberta qui n’arrêtait pas de pouffer bêtement, l’esprit se manifeste enfin.
22h03 : Vous lui demandez de se présenter. L’esprit est complètement bourré (on est samedi soir). Il ne dit que des conneries. A votre connaissance, personne ne peut s’appeler WY7DS.
22h04 : Vous pensez que c’est peut-être une plaque d’immatriculation, et que l’esprit est sûrement mort fauché par une voiture. Ce qui expliquerait pourquoi il est encore parmi nous. Vous proposez de l’aider.
22h10 : L’esprit est parti, il vous a mis un gros vent. Soudain, un bruit incongru vous fait sursauter : Roberta vient de s’étouffer avec une chips.
22h15 : L’esprit est de retour. Du moins, c’est ce que vous pensez. Il se présente comme étant le grand-père de Roberta. Roberta retrouve son sérieux.
22h16 : Vous lui demandez à quel âge vous allez perdre votre virginité. Le grand-père de Roberta répond : « 63 ans ». Vous soupçonnez Roberta de bouger le verre.
22h31 : Maintenant que toutes les questions d’ordre sexuel ont été posé au grand-père de Roberta, quelqu’un lui demande à quel âge il va mourir. Réponse : « M-O-I-S-P-R-O-C-H-A-I-N ».
22h32 : Frappées d’effroi, vous redemandez si vous êtes bien toujours en communication l’esprit du grand-père de Roberta.
22h32 : Il y a du grésillement sur la ligne. Le verre ne bouge plus sous vos doigts.
22h33 : Après un silence inconfortable, l’esprit avoue tout : c’est un esprit malin.
22h34 : Roberta pleure parce qu’elle croit que son grand-père est devenu un esprit malin.
22h37 : L’esprit décline son nom en allant trois fois vers le 6. Vous parlez donc avec Satan. Vous ne savez pas si poursuivre la conversation ou non.
22h38 : Après réflexion, vous êtes toutes d’accord sur le fait que le risque de possession est élevé.
22h40 : Vous stoppez la séance.
Les conclusions sont les suivantes :
Cela nous rassure que certaines choses relèvent du surnaturel et ne puissent être expliquées. L’esprit invoqué est souvent un membre de la famille ou un proche disparu, et pour cause : ce sont eux qui nous manquent le plus, et nous aimerions nous assurer qu’ils vont bien, qu’ils peuvent nous aider et nous protéger, et que nous allons les retrouver un jour. Mais la fascination pour l’au-delà n’est pas seulement un moyen de contourner notre peur de mourir, ou de nous persuader qu’il y a bien une vie après la mort. Pour Guy Michelat, la croyance au paranormal tend à s’accroître avec le niveau d’études (on trouve plus d’adeptes chez les étudiants que chez les agriculteurs par exemple). Selon lui, il ne s’agit pas d’un refus de la rationalité scientifique mais une vision complémentaire : que ce soit à travers la science ou à travers une séance de spiritisme, notre but serait donc de produire du sens. (G. Michelat, L’essor des croyances parallèles, n° de janv. 2001 de Futuribles).
Face à notre désenchantement du monde, le spiritisme peut aussi conforter nos rêves de gosse : enfant, le fantastique avait une place importante dans notre quotidien. Communiquer avec l’au-delà est, en un sens, un retour à l’univers de la magie. Il suffit alors de ne pas tomber dans l’obsession, et de ne pas constamment chercher à parler à José, votre chat décédé d’un anévrisme en 1999. Il n’était d’aucune aide avant, il ne le sera pas plus six pieds sous terre.
La prochaine fois je vous parlerai des gens qui ne connaissent rien en politique, mais qui savent très bien en parler avec condescendance.
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Les Commentaires
Moi qui ai vécu de nombreuses expériences paranormales, je ne vais pas tourner le dos à cela et dire "non, ce n'est pas vrai". Peut-être que les gens se moquent du paranormal pour masquer leur peur, je ne sais pas.