L’enseignement des langues régionales, et notamment du breton, n’est pas très connu. CokdeBiz nous avait déjà parlé des bretonnismes, mais j’ai eu envie d’aller encore plus loin et d’évoquer mon expérience personnelle !
Le breton est ma langue maternelle, et je l’utilise au quotidien. Cela a été rendu possible grâce aux écoles Diwan, où quasiment tous les cours se font en breton de la primaire à la première.
Les écoles Diwan : un phénomène plutôt récent
Pour commencer, remontons un peu dans le temps. La première école Diwan a été ouverte en 1977 à Lampaul-Ploudalmézeau dans le Finistère, et elle comportait à l’époque cinq élèves. Le premier collège fut ouvert en 1995 à Plésidy dans les Côtes-d’Armor, et on en compte aujourd’hui cinq de plus : à Guissény (29), au Relecq-Kerhuon près de Brest (29), à Quimper (29), à Vannes (56) et à Saint-Herblain près de Nantes (44) — le dernier-né, qui a ouvert ses portes en 2008.
En 1994 fut créé le lycée Diwan à Carhaix dans le 29, sur le site de Kerampuilh (collé au site des Vieilles Charrues !). Il a donc 20 ans cette année ! Il comptait en 2013/2014 près de 300 élèves, dont l’écrasante majorité est interne, ce qui va de soit vu que les lycéen•ne•s viennent des trois coins de la Bretagne. Il y a aujourd’hui trois sections disponibles : littéraire, scientifique et économique et social.
En résumé, il y a aujourd’hui 46 écoles dont une à Paris (eg oui !), six collèges et un lycée, ce qui nous fait à peu près 3700 élèves (chiffre trouvé pour l’année 2013/2014). Pour info il y aussi des écoles avec des classes bilingues : Div Yezh pour le public et Dihun pour l’enseignement catholique.
En ce qui concerne Diwan, la scolarisation est gratuite et laïque, bien que les écoles soient privées sous contrat d’association. Les programmes suivis sont ceux de l’Éducation Nationale, sauf que… ils sont en breton !
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L’enseignement en immersion
Vous devez vous demander comment se passe une scolarisation dans une langue régionale, « non-officielle », qui n’est pas celle de l’environnement des élèves et de la société tout simplement. En fait, tout est pareil que dans n’importe quelle autre école, à quelques choses près qui ne se passent pas forcément au niveau scolaire.
Premièrement, quasiment tous les cours sont, quelle surprise, intégralement en breton. Eh oui, TOUS, sauf bien sûr les cours de langue — mais nous y reviendrons plus tard.
L’enseignement en immersion veut bien dire qu’on est plongés dans quelque chose, en l’occurrence une langue différente de celle utilisée par la majeure partie de nos compatriotes. Ça se joue dès la maternelle, où l’enfant tel une éponge aurait la capacité d’intérioriser beaucoup plus simplement les sons différents qui lui parviennent.
Dans mon cas, c’est un peu le contraire qui s’est passé : je suis née dans une famille bretonnante, c’est donc ma langue maternelle. C’est donc le français que j’ai appris en arrivant à l’école, grâce à mes petits camarades ! Mais pour la majorité des petiots, leur premier contact avec le breton se fait donc en primaire, quand l’immersion commence. L’introduction du français se fait progressivement à partir du CE1 ou du CE2, à raison de deux heures de cours par semaine.
Cela implique évidemment d’avoir des professeurs bretonnants. Et ma mère étant institutrice à Diwan, je peux vous dire que c’est parfois une sacrée galère pour trouver des documents pédagogiques en breton qui soient modernes et adaptés…
C’est pour ça que la bidouille est souvent de mise : par exemple une technique souvent utilisée est celle de la traduction en breton d’un texte figurant sur un document en français, traduction qui sera imprimé et collée sur le document d’origine, pour qu’à la photocopie ni vu ni connu j’t’embrouille ça fasse un document que les pitchounes colleront dans leur cahier de « yezhadur » (grammaire), ou « matematik » (maths).
Maintenant, il existe bien sûr une flopée de manuels imprimés directement en breton, bien écrits, qui n’ont rien à envier à leurs équivalents francophones. Des manuels en langue bretonne sont aussi utilisés au collège, mais malheureusement il n’en existe pas pour le niveau lycée — peut-être parce qu’il n’y a pas assez de demande…
Concernant les cours de langues, maintenant que je suis en études supérieures j’ai pu constater une nette différence au niveau de l’utilisation de la langue étudiée : à Diwan, en cours d’anglais, d’espagnol ou d’allemand, le/la professeur ne parle que la langue du cours. De même pour les élèves ! Le principe de l’immersion s’applique à toutes les langues étudiées.
Quand les élèves ont une question à poser, c’est systématiquement dans la langue du cours. Cette différence se ressent aussi dans le niveau : selon mon expérience et celle de mes amis, le niveau en langues d’un élève de Diwan est souvent plus élevé qu’un élève d’une école « classique ». Même s’il ne faut bien sûr pas forcément en faire une généralité !
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D’excellents résultats aux examens nationaux
En ce qui concerne les diplômes, cela se passe comme dans les autres établissements scolaires, sauf qu’on doit réviser des notions dans une autre langue que celle vue en cours.
Je passe rapidement sur le Brevet des collèges parce que dans mon souvenir, on était autorisés à passer les épreuves d’histoire-géo et de maths en breton, ce qui facilitait grandement la chose. Pour la nouvelle épreuve d’histoire de l’art, je ne sais pas trop comment ça se passe. Comme il y a un jury interne à Diwan, l’épreuve se fait peut-être en breton ? À moins que le jury soit francophone ?
Je vais plutôt vous parler d’une épreuve qui m’a concernée un peu plus récemment, j’ai nommé le BACCALAURÉAT.
Pour le bac c’est un peu différent, parce que seule l’épreuve d’histoire-géo peut être passée en breton. Les autres matières se passent en français. Alors qu’est-ce que ça pose comme conditions tout ça ?
- Pour le cas de l’histoire-géo, c’est cool parce que cela veut dire qu’on peut réviser nos cours tranquillou-bilou sans avoir à tout traduire. SUPER ! Sauf que du coup, il faut faire un peu de gymnastique mentale pour lire les annales du bac, qui ne sont elles publiées qu’en français ; cela implique donc de faire la correspondance entre la terminologie en breton vue en cours, et celle en français lue dans les compléments.
- Pour les autres matières comme les maths, l’économie, les sciences et j’en passe, le français prend le relais autour du mois de janvier pour que les élèves ne soient pas trop perdus.
Vu comme ça, ça pourrait faire peur : couvrir en six mois un vocabulaire qui n’est parfois pas transparent, et qui concerne les acquis de toute une scolarité ?
Mais tout se passe tranquillement, en général : les élèves n’étant pas du tout hermétiquement fermés à la francophonie, les termes sont souvent déjà connus. Et pour les matières scientifiques, les mots en breton ont souvent la même racine que leurs équivalents en français.
À noter que Diwan a mis en place des examens internes sur le modèle du brevet et du bac, témoignant d’un niveau acquis en breton et dans les matières évaluées.
Et a priori, tout fonctionne très très bien, comme notre ami Wikipédia nous l’explique :
En 2013, Le Figaro classe le lycée Diwan de Carhaix « meilleur lycée de France » en considérant les résultats au baccalauréat 2012 (99%), pondérés par la capacité de l’établissement à accompagner et faire progresser ses élèves et par sa capacité à garder ses élèves entre la seconde et la terminale.
Ce même lycée de Carhaix avait selon le classement du Figaro déjà occupé en 2010 la place de « 2e meilleur lycée de France » parmi 1930 établissements. Ce classement est calculé sur la base des données de l’éducation nationale, qui indiquent qu’en 2012 un élève de seconde du Lycée Diwan de Carhaix avait 93% de chance d’obtenir son baccalauréat dans le même établissement. En 2014, Le Parisien classe le lycée Diwan de Carhaix quatrième de l’Académie de Rennes et trente-sixième de France.
Mais alors, parler breton ne serait pas une tare, et ça donnerait même d’assez bons résultats ? Pour l’instant fair-play, il faut savoir que le nombre d’élèves passant le bac au Lycée Diwan est généralement aux environs de 80, et que ce chiffre s’accroît d’années en années. Donc 99% de réussite, ça veut dire que seul un élève (ou deux peut-être) a loupé son bac.
Et après ? Eh bien la poursuite d’études d’un bachelier de Diwan est assez similaire à celui d’un élève classique, même si, selon le Télégramme :
les anciens de Diwan se rendent plus souvent à l’étranger pour leurs études (12 % en 2012 contre 4 % chez les autres étudiants français). À la fac, ils fréquentent bien plus que les autres étudiants les amphis des disciplines linguistiques (50 % contre 33 %), à commencer par les langues (22 % contre 8 %).
J’ajouterais à ces données que les bacheliers restent souvent en Bretagne pour les études, les deux villes concurrentes dans l’accueil des élèves (ou dans l’accueil des soirées étudiantes breton-friendly) étant Brest et Rennes.
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La différence comme une force ?
Étudier dans un établissement « hors normes » implique, toujours selon mon expérience personnelle évidemment, d’avoir un environnement un peu différent de celui des écoles « classiques ».
Il y a vraiment une ambiance particulière dans le secondaire. Je ne peux évidemment pas vraiment comparer avec celle des établissements « français » (comme on dit chez nous) puisque je n’en ai jamais fréquenté, mais selon les articles que j’ai pu lire et ce que mes amis extérieurs à Diwan m’en ont dit, elle semble différer un tantinet.
Comment dire ? Au vu du nombre réduit d’élèves, tout le monde se connaît, tout le monde connaît les profs, et tout le monde connaît les frères, les soeurs et les parents de tout le monde. Comme c’est souvent le cas, ça veut évidemment dire que les nouvelles vont vite et que les commérages sont légion.
Mais ça veut aussi dire qu’il y a de la bienveillance, et un esprit de communauté comme il en existe peu dans des établissements scolaires (à mon humble avis). Par exemple, prenons le cas de la méga grosse fête qui s’est déroulée le 18 octobre à Carhaix, pour les 20 ans du lycée. C’était un événement attendu par tout les gens impliqués de près ou de loin dans Diwan, et c’était un mélange de générations comme il y en a rarement à cette envergure.
Mais ça vaut aussi pour tous les événements à plus petite échelle : dans un fest-noz (fête bretonne avec de la musique traditionnelle à danser) organisé par une école Diwan, des gens se connaissent et se reconnaissent pour peu qu’ils aient été au lycée ou au collège en même temps. Les générations plus âgées sont souvent liées avec les plus jeunes par des frères, des soeurs.
Et pour ce qui est de l’ambiance interne au collège ou au lycée, vu que tout le monde se connaît, il y a moins de jugement — au niveau vestimentaire par exemple.
J’aurais tendance à dire que les esprits sont un peu plus ouverts en général, et que la tolérance est plus présente.
Bon, entendons-nous bien : je ne dis pas que les collèges et lycées Diwan sont un monde tout mignon et que c’est le paradis. Ça reste un environnement d’adolescents qui peuvent être cruels entre eux, et les moqueries peuvent exister. Mais je continue de penser que la solidarité est plus présente qu’ailleurs.
Cela peut s’expliquer par un autre facteur : le nombre d’élèves est réduit, ce qui fait qu’à part en cas de redoublement ou de changement de voie par exemple, les mêmes personnes sont ensemble tout au long de leur scolarité !
Pour parler de moi encore une fois, j’ai des amis que je connais depuis la primaire, auxquels se sont rajoutés les amis que j’ai rencontré au collège, auxquels se sont rajoutés ceux que j’ai rencontré au lycée. Et ça a donné une belle brochette soudée d’amis que je connais bien, et que je vois toujours très souvent même plusieurs années après la fin du lycée.
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Des limites à l’immersion
À Diwan, le passage des traditions et le respect de la culture bretonne est un point clé de la pédagogie. Ça passe aussi bien par des cours de danse bretonne au primaire, que des fest-noz organisés au lycée avant chaque vacances, avec des groupes de potes qui jouent de leur musique (traditionnelle ou non). C’est un point important parce qu’à la fin de la semaine ou de la journée, quand les élèves rentrent chez eux, beaucoup sont dans un environnement totalement étranger au breton et à ce qui s’en rapproche.
C’est bien là un problème de taille à Diwan : le poids de la France et du français. Les élèves parlant breton en dehors du cadre scolaire ne sont pas nombreux.
J’ai passé 18 ans de ma vie à faire attention à quelle langue j’employais en la présence de l’équipe pédagogique de l’école, et à changer de langue dès qu’un pion ou un prof était dans les parages. Car l’envers du décor, c’est qu’en dehors des cours, les élèves parlent français entre eux, lisent en français, vivent dans un environnement en français.
Ce qui donne un niveau de langue souvent en dessous des attentes ; comment voulez-vous parler parfaitement une langue si vous ne la pratiquez pas régulièrement dans un cadre différent de l’école ? Sans parler du rejet de la langue de la part des adolescents, souvent au collège, quand les jeunes ont des amis extérieurs à Diwan, et que ceux-ci voient le breton comme une langue « de paysan », ou même comme une langue morte…
Donc oui, le vocabulaire et la grammaire ne sont pas toujours le fort des élèves, tout simplement parce que personne ne vit dans un environnement 100% bretonnant. Heureusement, les médias en breton se développent et proposent de plus en plus un contenu riche et moderne. Il en va de même pour la lecture : des magazines attrayants existent, et l’offre jeunesse en littérature est assez conséquente.
Et pour finir sur une note positive, les jeunes sortant du lycée ont bien souvent un regain de « conscience culturelle » si on peut dire ça comme ça. Une fois hors d’un contexte où ils parlaient et entendaient le breton tout les jours ou presque, ils se rendent compte de la chance qu’ils ont d’avoir appris une autre langue, et à quelle vitesse on peut l’oublier si elle n’est pas pratiquée.
Je ne sais même plus comment on dit casquette, tiens.
Beaucoup s’engagent donc dans des associations de défense de la langue, une quantité non négligeable étudie le breton à la fac en majeure ou en option, et tous glissent une phrase par-ci par là, essayant de conserver leur langue la plus possible.
Surtout qu’elle se perd ; cet article de Ouest France explique ainsi que :
Entre 1997 et 2007, le nombre de locuteurs bretons en Basse-Bretagne a baissé de 30 %. On est passé de 246 000 à 172 000 personnes qui déclarent parler breton. […] Près de 35 000 personnes pratiquent encore le breton tous les jours. Mais ils sont moitié moins nombreux qu’il y a dix ans.
En conclusion
J’espère avoir donné un portrait assez exhaustif de Diwan et de comment j’y ai vécu ma scolarité. Ma vie n’aurait évidemment pas été la même si je n’y avais pas été, et c’est un monde que personne ne peut oublier. Ça forge assurément l’identité de tout ceux passés par là ! J’imagine qu’une bonne partie des lectrices-teurs ne soupçonnaient même pas l’existence de telles écoles, et je suis bien entendu ouverte aux questions dans les commentaires.
Les langues régionales sont une vraie richesse qu’il est important de préserver, et elles sont nombreuses ! Si vous regardez bien, il se pourrait que vous ayez une ikastola basque, une calandreta occitane ou une bressola catalane près de chez vous…
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