Je n’ai pas fait de formation scientifique, loin de là. Mes souvenirs en maths ou physique correspondent à quelques lettres et chiffres énigmatiques tracés sur un tableau noir devant lesquels l’adolescente que j’étais restait perplexe. Seulement voilà, quelques années, lectures et conversations plus tard, j’ai réalisé que ce n’est pas parce que cette approche ne me parlait pas qu’il n’y avait rien derrière.
Personne n’a la même façon d’appréhender le monde qui nous entoure, et c’est probablement un des facteurs qui rendent l’enseignement si difficile. Ce qu’il faut, c’est arrêter de se dire que l’on n’est pas fait pour un domaine en particulier, simplement parce qu’on n’a pas su comprendre comme les autres à l’école. (En gros, t’es pas moins con-ne qu’un-e autre, et tu as autant à apporter. Paf.)
C’est à ça que servent les livres, les conférences, les documentaires… Tous ces supports utilisés par des spécialistes dans un domaine qui prennent le temps avec plaisir de partager, d’expliquer ce qui les passionne, avec d’autres mots et une approche différente. Un peu de vulgarisation, en somme.
J’adore les ouvrages de vulgarisation, parce qu’ils me permettent de (re)découvrir un monde duquel je m’étais fermée, et qui est fascinant. C’est pourquoi je vous présente, modestement, aujourd’hui, une série d’ouvrages chère à mon petit coeur et à mon petit cervelet. Il s’agit de La science du Disque-Monde (The science of Discworld), par Terry Pratchett, Ian Stewart et Jack Cohen.
En bref…
Vous avez peut-être reconnu le nom de Terry Pratchett et, sachant qu’il s’agit d’un auteur de fantasy, vous vous demandez quel est le rapport avec de la vulgarisation scientifique. L’interrogation serait légitime, en tout cas, mais il faut savoir que « fantasy » et « science » ne sont pas deux termes fondamentalement opposés. Même si le premier est plus souvent associé à « magie ».
Terry Pratchett a souvent joué sur ce lien entre science et magie dans ses ouvrages. Il est connu pour sa série des Annales du Disque-Monde, où il s’amuse à martyriser avec humour une quantité assez impressionnante de personnages tous aussi tordus les uns que les autres… et qui évoluent vraiment sur un « disque-monde » : un monde plat, soutenu par quatre éléphants, eux-mêmes soutenus par la Grande A’Tuin, une immense tortue navigant dans le cosmos.
Oui, je sais.
Le plus surprenant étant que la cosmogonie du Disque-Monde a sa propre logique, et se tient parfaitement.
par le génial Paul Kidby
Le Disque-Monde est l’opposé parfait de notre monde, le Globe-Monde ; tous deux ont leur fonctionnement et leur logique propre, sauf que l’un est régi par les lois de la physique, et l’autre par les lois du narrativium, ou « l’impératif narratif » (« ce qui a une chance sur un million de se produire se produit neuf fois sur dix »).
L’histoire de La Science du Disque-Monde commence ainsi sur un monde plat, qui se base sur l’existence et l’utilisation de la magie. Nous retrouvons tout de suite les « grands savants » dudit monde, les membres de l’Université de l’Invisible, sorte de professeurs en magie pas toujours bien fins, mais très attachants et étonnement réalistes. Un jour, complètement par accident (ils cherchaient un nouveau moyen de chauffer l’Université), ils créent un monde… rond.
Ce monde, vous l’aurez compris, est le nôtre, qui vient de naître de la nullité chronique des sorciers de l’Université de l’Invisible. Et c’est lorsque ces derniers décident de le garder et de l’aider à se développer que démarre notre histoire…
Avec d’un côté, Terry Pratchett en narrateur incisif de la partie fiction (chapitres impairs), et de l’autre, l’intervention des scientifiques Ian Stewart et Jack Cohen qui reviennent sur certains thèmes abordés avec nos sorciers (chapitres pairs). Notez que si le thème est plus « sérieux », ces chapitres n’en sont pas moins drôles.
Si Les Annales se déroulent dans cet univers étrange, vous n’avez pas pour autant besoin de les avoir toutes lues, ou lues tout court, pour lire La Science, qui lui-même se décline en quatre tomes (dont seul le dernier n’a pas encore été traduit). En effet, on ne laisse pas le lecteur débarquer dans un monde inconnu sans explications, de la Grande Tortue aux points les plus obscurs (pourquoi le Bibliothécaire est un orang-outang, par exemple), qui rafraîchiront au passage la mémoire les lecteurs des nombreux ouvrages des Annales.
Trois auteurs, une oeuvre
Nous avons donc trois auteurs, six petites mains sur cette série d’ouvrages, et pourtant une narration qui se suit, claire et en même temps subtile dans son humour et dans les points qu’elle soulève. Il faut dire que chacun des auteurs a la joie d’évoluer dans son élément, et le plaisir de revenir sur des points aussi divers et variés que la physique quantique, les dinosaures, l’ascenseur spatial ou la création de l’univers est palpable.
Terry Pratchett, auteur de fantasy, est donc à l’origine du Disque-Monde lui-même, ce qui montre déjà une certaine recherche et curiosité — je reste convaincue qu’on ne monte pas de toutes pièces un monde secondaire cohérent sans un minimum de connaissances sur son propre monde. C’est lui, vous l’aurez compris, qui s’occupe de mener la petite histoire de fiction servant de fondation à ses co-auteurs scientifiques, qui n’en sont pas non plus à leur premier coup d’essai.
Ian Stewart est mathématicien ; il est enseignant-chercheur dans une université en Angleterre, et s’est fait connaître pour ses participations à des magazines scientifiques et ses nombreux ouvrages de vulgarisation, dont le plus connu est Dieu joue-t-il aux dés ? qui explique tout bonnement la théorie du chaos, même à ceux qui n’en ont jamais entendu parler.
Jack Cohen, quant à lui, est chercheur en biologie, également auteur d’articles et d’ouvrages de vulgarisation et, fait intéressant, consultant scientifique. Qu’est-ce à dire ? Eh bien, quand des auteurs ou des scénaristes ont besoin de documentation pour rendre leur roman/film/série crédible, figurez-vous qu’ils appellent un consultant scientifique.
Jack Cohen a notamment aidé à la création d’extra-terrestres crédibles dans des oeuvres de science-fiction, ce qui n’est pas sans rapport avec le livre qu’il a co-écrit avec Ian Stewart, Evolving the Alien (nouveau titre : What does a Martian look like?) – et dont j’aurai peut-être le plaisir de vous reparler.
On vous explique, je vous dis.
Il faut dire que la vulgarisation, c’est un métier en soi, et tout un art. Tout le monde n’est pas capable d’expliquer avec des mots simples ce qu’il fait depuis, mettons, vingt ans. Il faut être à la fois pédagogue et capable de prendre suffisamment de recul pour appréhender les choses sous un angle différent.
Et je dois dire que dans La Science du Disque-Monde, je les trouve non seulement parfaits, mais aussi très complices — comme si, au final, le livre n’était écrit que par une seule personne. On perd à la lecture cette sensation de brouillon que je vous donne avec mon article (je le jure).
Un univers (délirant et) accessible
Il faut croire que les trois auteurs — et amis — sont devenus tellement complices qu’ils se sont à la fois inspirés et aspirés les uns les autres dans leurs mondes respectifs ; en 1999, tandis que l’université de Warwick, à laquelle est rattaché Ian Stewart, donnait à Terry Pratchett le titre de « docteur honoris causa », ce dernier donnait celui de « Magiciens honoraires de l’Université Invisible » (Honorary Wizards of the Unseen University) aux deux scientifiques. Ce qui n’est peut-être pas si flatteur…
Ils parviennent ainsi, en quatre tomes, à aborder des thèmes très variés, que vous auriez pu croire hors de votre portée. Passé le rapport entre la magie et la science dont je vous parlais plus haut, et qui est omniprésent tout au long de la série, on parle un peu de tout, tout en ayant des tomes plus ou moins spécialisés.
Par exemple, le premier tome va se concentrer sur la création de l’univers et son expansion, la physique quantique, la vie, les dinosaures, les météoroïdes… tandis que le deuxième va être un fascinant voyage dans l’Histoire de la science en passant par la vie extraterrestre, l’alchimie et les réalités alternatives.
Et… allez, je vous le dis : Darwin est au coeur du troisième, et le dernier pousse l’audace jusqu’à s’intéresser à la croyance religieuse. Le tout, bien entendu, parsemé de rebondissements incroyables chez les magiciens de l’Université de l’Invisible. De vraies quiches. (Mais la quiche, c’est bon. Métaphore pourrie, out.)
Loin d’assommer le lecteur, nos trois auteurs établissent un fil conducteur entre le Disque-Monde et le Globe-Monde qui va nous permettre de comprendre un peu mieux aussi bien l’un que l’autre. Et si vous avez toujours la sensation qu’une histoire de fantasy humoristique et extravagante, c’est un peu incompatible avec un traité scientifique, c’est que vous avez vraiment besoin de découvrir à quel point la science n’est pas celle que vous croyez…
Je ne vous laisserai pas sans vous avoir fait au moins une seule fois la remarque : « Oui mais alors, euh, c’est mieux en VO, par contre, hein ». Voilà. Pour équilibrer, je dirais à celles qui disent crotte à l’anglais que ce n’est pas si grave (quoiqu’un peu vulgaire), parce que les traducteurs géniaux de Terry Pratchett, Patrick Couton (chapitres fiction) et Lionel Davoust (chapitres science), rendent à la perfection dans notre douce langue la subtilité de la plume de nos trois Anglais.
Il ne me reste plus qu’à espérer vous avoir donné l’irrépressible envie de vous jeter sur ces petites merveilles à la fois littéraires et scientifiques, et de découvrir ce monde qui nous entoure avec des étoiles plein les mirettes et un grand sourire sur les lèvres. Pour celles et ceux qui ont un peu de tenue et ne se font pas pipi de rire dessus, bien entendu.
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Les Commentaires
C-c-c-combo ! anse: (En vrai j'avais même pas vu)